« La lecture en malgache se dit famakian-teny, cela signifie littéralement la parole coupée, ou parole en morceaux (…) Mais la lecture en malgache peut aussi se dire vokiteny, la parole qui rassasie. »
S’il y a plusieurs mots pour dire la lecture en malgache, il n’y en a pas en français pour traduire l’écriture de Douna Loup. S’agit-il de prose, de poésie, de jeu avec la langue, les langues ? Le chroniqueur est bien embarrassé. Mais s’il a souffert à la lecture de ce roman coupé, de ce texte en morceaux, il n’est pas moins sorti rassasié par cette ode à la poésie malgache et à la liberté de création.
Et pourtant dieu sait s’il a pesté contre ce jeu avec la langue, la grammaire, la typographie même, avec cette absence apparente d’axe narratif, ce refus obstiné de posture de l’auteur, qui déstabilise en permanence le lecteur. Le narrateur est-il un homme, une femme, qui est ce « je », qui est ce « il » qui est ce « elle » ?
La forme, très soignée, très musicale, invite pourtant à poursuivre la lecture de ce texte étrange et envoûtant. Une atmosphère s’installe progressivement, qui, débarrassée des codes du roman, de la chronologie, franchit la cloison du récit pour pénétrer dans l’intimité de deux personnages : Rabe (Jean-Joseph Rabaerivelo) et Anja-Z (Esther Razanadrasoa), deux poètes malgaches du début du XXème siècle.
La langue, c’est le propos central de ce beau et grave livre. Peut-on écrire des poèmes dans une langue de tradition essentiellement orale, ouvertement méprisée par le colonisateur, celui qui imprime les journaux et les livres ? Ou doit-on lui montrer en utilisant la sienne, en l’enrichissant, que la poésie ne se résume pas à la maîtrise d’une syntaxe et d’un vocabulaire ?
« … absence de genre et de nombre, manque de flexion casuelles et verbale, formes relatives qui servent à tant de fins, syntaxe misérable… font du malgache une langue convenant à ces primitifs, mais à peine à des demi-civilisés et inapte à exprimer les idées des Hovas instruits. » n’hésitait pas à écrire, à l’époque, un haut fonctionnaire français.
“Les hommes avalent des moustiques, moi je veux mâcher ce qu’on me donne à lire. Les mots ne sont pas à gober, n’oubliez pas de réfléchir” lui répond Anja-Z. “Un proverbe malgache dit “ny teny toy ni kitoza ka izay mahatsakostako no mahita ny tsirony” qui veut dire “les mots sont comme le kitoza (les filets de zébu fumé), seuls ceux qui arrivent à les mâcher profitent de leur saveur.”
Et puis il y a l’amour, la liberté des corps. L’amour charnel dans lequel baigne toute la seconde partie du livre, qui résonne en permanence avec la liberté de création que s’accordent les personnages. Lesquels deviendront, chacun à leur manière, des figures majeures de la littérature malgache.
Ce livre, paru en septembre, est un petit oiseau égaré dans la grande forêt de la rentrée littéraire. Un petit oiseau venu de loin et de très près, puisque Douna Loup, Genevoise, l’a écrit non loin de l’océan, près de Nantes, où elle s’autorise une vie à l’image de ses livres.
Cliquer ensuite, sur cette page indiquée par Philippe, sur le lien” BVH-Monloe” , bien sûr!
Je ne peux empêcher ma petite minute de nostalgie : dans une bonne quinzaine d’années, quand les spécialistes et autres connaisseurs pointus et exigeants ne seront plus qu’une poignée hexagonale, après l’éradication par l’Éducation Nationale de toute vocation à se vautrer avec délectation dans les langues anciennes et le français d’avant 1970, quid de ce genre de travaux, je veux dire qui aura les outils pour en faire bon usage! Heureusement! il restera les chercheurs en sciences humaines transatlantiques, très bien formés par les vieux européens, tout juste bon maintenant à constater les ravages. Oui, je sais, je suis ringarde, l’avenir ne peut être que devant soi!
euh… vous en êtes sûrs?
Merci, Philippe pour ce lien d’or!
On savait qu’environ un millier d’ouvrages constituait le fonds de la “librairie” de Montaigne, dont une belle part lui avait été léguée par La Boétie. Mais pouvoir disposer -en quelque sorte- de ceux qui sont à nous parvenus, seraient-ils éparpillés, c’est un vrai bonheur.
Étonnement de constater que certains livres grecs sont en italien, ou que d’autres, latins -la langue que notre gascon parlait avant le français- sont en français.
Il ne reste plus, à tout montaignien qui se respecte, de prendre la liste et l’absorber…. après tout, cela ne fait qu’une petite partie du tout! Pour quelqu’un qui disait prendre de la distance avec le savoir livresque, et compte tenu de l’époque où l’on n’entrait pas flâner dans une boutique à livres -ni réelle ni virtuelle- ce n’est pas mal!
Enrichir la lecture des Essais de quelques pincées de ces ouvrages, dont certains sont quand même facilement accessibles (Appien, Ausone, Baïf, Théodore de Bèze, Castaneda, Caton, César, Denys d’Alexandrie, Diogène Laërce, Dion, Erasme, Horace, Lucrèce, Pétrarque, Philon d’Alexandrie, Plotin, Politien, Quinte-Curce, Sophocle, Strabon, Térence, Virgile, Xénophon…) dans des collections “du commerce”, ou en lecture bilingue et quasi intégrale “Textes et hypertextes, grecs et latins” sur Internet, c’est se donner, à mon sens, une meilleure chance d’entrer dans la tête de Montaigne, qu’il avait, quoiqu’il en dise, bien pleine…. et éviter quelque surinterprétation toujours fort dommageable.
Youpi!
Hors sujet aussi : des livres en Italien dans la librairie de Montaigne http://editef.hypotheses.org/1691
Hors sujet :
Le Bouton de Nacre.
Vous enveloppe d’émotions et de beauté.
Une leçon de poésie. De politique. D’ethnologie. De géographie. D’astrophysique.
Et bien mieux encore….
Il y a de beaux concours de circonstances : http://bibliobs.nouvelobs.com/sur-le-sentier-des-prix/20151104.OBS8888/le-prix-virilo-2015-pour-douna-loup-le-trop-virilo-pour-sophie-divry-et-jean-teule.html
Quelle jolie question, qui mérite qu’on n’y réponde pas, pour ne pas la faire disparaître, pour ne la rendre pas inutile, en donnant plus d’importance à ce qui la fermerait, l’enfermerait (la réponse) qu’à ce qui la rend possible. Mais qu’on ne s’interdise pas de la multiplier, de la décupler, de la formuler sans fin.
Est-ce que les mots se mâchouillent…. comme un bâton de réglisse?