Petit journal du dimanche

Belle soirée africaine, ce samedi, au village. Il s’agissait de donner un coup de main à un orphelinat « clandestin » à Kribi, au Cameroun. Repas somptueux, musiciens virtuoses (un guitariste, un percussionniste). Bénédicte, qui a fondé l’association « Aimée au Cameroun » l’an dernier a abattu un boulot impressionnant, et doté le bâtiment de sœur Gisèle du minimum vital. « Aujourd’hui les enfants ont un lit pour deux, l’année dernière ils avaient un lit pour six ». Certes le toit du hangar, où une religieuse a improvisé cet orphelinat, fuit encore, mais la petite vingtaine d’enfants accueillis mange à sa faim. Seul regret peut-être : la faiblesse de la mobilisation. Il est des projets d’aéroport qui convoquent des foules beaucoup plus conséquentes sur le même territoire. J’ai dit ici ce que je pensais de la hiérarchie de nos indignations.
camerounLongue conversation avec Marie, pendant de repas. Marie est familière de cet atelier, mais irréductiblement silencieuse. Ce que je regrette naturellement, parce que c’est un esprit vif et profond. D’une culture époustouflante. Mais c’est ainsi. Cela m’a donné l’occasion, entre autres échanges pimentés – nous aimons tous deux les dialogues enlevés – d’évoquer le tenue de cet atelier. Ce qui m’inspire ce matin ce billet. Le journaliste est souvent prisonnier de la représentation des titres auxquels il collabore. Si vous êtes correspondant de Libé vous renvoyez une certaine image, assez romantique dirons-nous, si vous signez dans l’Express ou Le Point vous en renvoyez une autre, plus proche de la complicité avec le méchant grand capital. Créateur de La lettre à Lulu – le canard enchaîné nantais pour faire vite – vous en renvoyez encore une autre. Mais vous n’êtes vous-même qu’en seconde, voire troisième occurrence.

Pourtant, vous faites le même boulot. Et vous ne partagez pas nécessairement tous les partis pris des supports auxquels vous collaborez. Internet, pour un saltimbanque, un mercenaire de mon espèce, a plusieurs vertus. Celle de pouvoir exprimer des points de vue singuliers, iconoclastes au besoin, mais aussi et surtout, et je crois au devenir du web 2.0 dans ce sens, d’entrer dans une logique contributive, de permettre au lecteur de ne plus être victime d’une information délivrée du haut, qui bénéficie de l’aura du papier glacé. De pouvoir l’interroger, la contester, la remettre en cause. Il me semble que le journalisme ne sera plus jamais ce qu’il était, et c’est une bonne chose.

En outre, rebondissons au passage sur le commentaire de Catherine Bernard, ces supports virtuels permettent d’inventer une nouvelle proximité, où chacune et chacun peut jouer un rôle, faire valoir ses arguments, pourquoi pas évoquer ses états d’âme. Et cela permet de promouvoir des réflexions, des initiatives, comme celle de Bénédicte, qui ont du mal à se frayer un chemin dans l’océan d’informations qui nous submerge chaque jour. Le tout en gardant à l’esprit, le côté éphémère de la chose. Une humeur du matin, reste une humeur du matin. Et, comme c’était le cas par le passé pour les billets d’humeur dans les quotidiens, ce type de réflexion n’a pas vocation à être gravé dans le marbre. Il ne servira certes pas à emballer le poisson demain, mais pourra disparaitre des radars dans quelques jours. C’est le charme et la limite bien comprise de l’exercice. Bon dimanche.

Illustration piquée sur le site de l’association

6 réflexions sur « Petit journal du dimanche »

  1. Gaëtan

    Merci pour le lien.

    Concernant la hiérarchie des indignations, je ne peux qu’être d’accord. En terme d’efficacité, sans jouer le refrain du “pansement sur jambe de bois” peu approprié puisque les résultats sont visibles, je renverrai vers une autre association catholique : http://www.aidonslargent.org/ supportée par ccfd-terre solidaire. L’argent qui s’échappe des pays du Sud par le mécanisme des prix de transfert vers les paradis fiscaux (encore eux) équivaudrait à sept fois l’argent donné à ces pays par les pays du Nord.

    Quant aux changements profonds qui travaillent nos habitudes culturelles, il est encore difficile de les analyser. Je crois cependant que l’on continue à davantage consommer que produire l’information. Les choix technologiques des constructeurs informatiques vont d’ailleurs dans ce sens : les tablettes remplacent les portables qui ont remplacé les PC. Au fond l’école forme davantage au commentaire, à la critique (au sens littéraire) qu’à la poétique (production), les technologies ne font qu’accompagner (voire amplifier ?) ce mouvement.

  2. Philippe Auteur de l’article

    Une réflexion intéressante de Gaëtan Jarnot sur les échanges virtuels http://leblogde.gaetan.jarnot.fr/. Et puis, pour revenir sur un papier précédent, une remarque pénétrante de Goethe sur Juliette Récamier, dont je viens d’achever la lecture de la bio, et que l’auteur présente ce mardi soir à la librairie Coiffard de Nantes : “Ceux qui savent combien la pensée s’agrandit lorsqu’elle se développe devant une intelligence de marque, que la moitié de l’éloquence se puise dans les yeux de ceux qui écoutent, ces gens-là, dis-je, ne s’étonneront pas de l’amitié passionnée de Chateaubriand et de Corinne pour cette femme (…) Il y a des âmes qui sympathisent avec toutes les idées élevées et avec toutes les belles productions de l’imagination ; l’on voudrait pouvoir faire toutes les belles actions pour pouvoir les leur confier et jouir du bonheur d’en causer avec eux ! Voilà le secret de l’influence de Mme Récamier.”

  3. Pascale

    Je concède volontiers avoir été rapide dans mon propos, mais le fond de ma pensée lui ne bouge guère. S’il est vrai qu’internet abolit les frontières et les distances, il les brouille aussi… et en matière de “proximité” je crois qu’il est assurément trompeur. Seuls certains rapports humains échappent au broyage et à l’effet de loupe de l’écran, effet déformant donc, et ce n’est pas internet qui en est la cause, juste le support. Je suis étonnée, par exemple, que l’écrit (sous toutes ses formes, tous ses abus, toutes ses dérives) soit devenu le mode prioritaire des relations humaines surtout et y compris quand les justifications ou les raisons sont quasi nulles (soyons charitables ne parlons pas du fond…). Alors que les récriminations pleuvent (à juste titre) contre des sociétés qui ne maîtrisent plus l’usage de leur langue, dans sa créativité, finesse, signification etc… tout le monde se pique d’écrire, tout n’importe quoi, n’importe quand, n’importe comment…. à tout le monde. C’est cet aspect-là des écrans que j’observe avec une certaine distance et une grande réserve, et qui participe à la régression narcissique infantile de nos congénères qui ne cesse de m’étonner. Tout le monde réagit sur tout, tout de suite, comme un petit enfant capricieux tape du pied en criant et se prenant pour le centre du monde….
    Bien sûr, je bénis tous les jours, et surtout les nuits, où je peux travailler, trouver, chercher, tout ce qu’internet apporte là, sur mon bureau, sans intermédiaire, sans délai. Internet rend gourmand et boulimique, pour une fois on peut consommer sans modération. Mais ce grand foutoir demande encore plus d’éducation et de savoirs, paradoxalement. Et je crains que personne -ou si peu- n’ait envie d’en convenir, considérant que c’est un réservoir où il faut puiser, choper, rapter, saisir, ce que l’on ignore, et colmater les brêches à la va-vite, sans consolider… les apparences suffiront, l’habillage est l’essentiel.

  4. Philippe Auteur de l’article

    Proximité n’est sans doute pas le terme ad hoc Pascale. Mais internet bouleverse quand même singulièrement la géographie des relations. Non seulement la distance n’est plus un obstacle (ce qui était déjà le cas, certes, avec des techniques plus anciennes comme le téléphone ou la télé) mais la toile offre des possibilités, une vision panoramique, une interactivité, jusqu’alors inconnues, et ouvre des possibilités dont, me semble-t-il, nous n’avons pas encore pris la mesure.
    Pour autant cela reste un outil. Et, c’est un lieu commun de le dire, tout dépend de la façon dont on l’utilise. Je ne l’ai pas évoqué ici, parce qu’on n’en finirait pas de lister les conséquences de cette révolution technique, mais un des dangers les plus évidents est l’explosion de la sphère privée. Aujourd’hui ce sont les personnages publics qui sont les plus exposés, mais demain ce sera le lot de tous. Il est devenu quasi impossible d’échapper à google. Un nouveau type de contrôle social va se mettre en place, avec notre propre complicité. Mais c’est déjà un autre sujet.

  5. Pascale

    Je ne crois pas vraiment à cette réinvention de la proximité…. par des moyens, finalement, extérieurs. Que des proximités aient vu le jour, alors que sans le net, elles n’auraient pas existé, oui, bien sûr. J’en ai fait l’expérience, mais je dirais volontiers, que c’est comme dans la vraie vie, juste le moyen d’y accéder a changé. On y va par l’écran et les clics, mais rien ne se fait hors de l’humain. Et même c’est pire encore, à mon sens, dans la désillusion, l’erreur. Je ne suis pas en train de dire que rien n’a changé avec l’internet, non, bien sûr, (pas trop idiote, mais peu encline à l’engouement) mais je crois que vouloir régler l’objectif (au sens photographique du terme) exclusivement sur lui, procède d’une sorte d’immaturité de notre civilisation, ce qui, du coup, en signe aussi le changement…
    Quant à la hiérarchie de nos indignations, alors là, Philippe, totalement d’accord. C’est bien plus difficile qu’on ne pense de faire comprendre cela… et l’immaturité ici encore fait des ravages. Nos contemporains renouent avec un narcissisme infantile (auquel internet participe, mes deux réactions sont finalement liées) que certains grands moments historiques de luttes sociales avaient mis sous le boisseau…. ouh là, mon côté crypto-marxiste se réveille un dimanche?
    Je veux dire, mais peut-être que je bafouille, que la sécurité à tout va, (-quand même, quand même… un confort général moyen dans nos sociétés, où la question n’est pas ‘est-ce qu’on va manger?’ mais qu’a-t-on mis dans le plat cuisiné qu’on achète?) a sacrément abaissé le seuil de nos exigences et les raisons de nos colères.

  6. Charles

    Outre la nouvelle adresse de ce blog qui souligne la liberté nouvelle de son auteur, la nouvelle formule du blog est vraiment réussie. Le style est sobre et léger et c’est toujours un plaisir de te lire.
    Bises de Bordeaux

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