Petit manuel de survie numérique pour sexagénaire

L’homo Sapiens, nous rappelle Yuval Noah Harari, a tiré sa force de sa capacité à dépasser les petites communautés originelles en créant des histoires, des mythes que de grands groupes humains pouvaient partager. Les religions en sont l’exemple le plus parlant. Et de tout temps, nous sommes ainsi faits, la lecture émotionnelle du monde a prévalu sur sa lecture rationnelle.

Quelques parenthèses historiques, notamment au lendemain de l’invention de l’imprimerie, autorisant le partage des savoirs, ont permis à l’humanité de faire des bonds notables, produisant des avancées techniques et scientifiques remarquables. Les relations entre les grands mythes et les découvertes scientifiques sont pas moins restées tendues au long des siècles, comme en témoignent la belle santé des religions à travers le monde et le succès constant des œuvres de fiction, en littérature comme sur les écrans. Nous aimons les histoires.

Depuis ce que l’on appelle communément le siècle des lumières, une distinction s’était toutefois opérée entre d’une part l’information, qui rapporte des faits, et d’autre part les croyances et les œuvres d’imagination. Cette distinction a commencé à s’affaiblir avec l’apparition de la télévision, qui a progressivement scénarisé l’information, et basculé insensiblement vers le récit romanesque. Face au flux débordant d’informations, parfois contradictoires, qui s’est abattu sur nos cerveaux, nous avons eu besoin de nous raccrocher à des histoires pour conserver une lecture possible du monde.

L’apparition du numérique et des réseaux a accéléré le processus en utilisant deux ressorts subtils, celui de la séduction, en caressant nos croyances et en confortant nos angoisses, et celui de notre dénuement face à la masse d’informations à traiter en nous proposant de l’information prête-à-porter, servie sur un plateau sur nos téléphones portables ou nos ordinateurs. Le tout gratuitement. Curieusement nous acceptons de payer pour les tuyaux mais rarement pour les contenus. Nous nous retrouvons ainsi enfermés dans des bulles cognitives régies par des algorithmes pilotés par des aventuriers sans scrupules tels Elon Musk ou Mark Zuckerberg.  Et ce n’est sans doute qu’un début avec le développement de l’intelligence artificielle.

Si l’on ne souhaite pas se laisser aveugler, quelques mesures de survie peuvent s’envisager. Il existe des îlots refuges dans l’océan numérique que l’on aurait tort de ne négliger. Wikipédia, site participatif à but non lucratif en est un. Et il mérite d’être préservé, en dépit de quelques lacunes, face aux assauts des groupes prédateurs. Une contribution épisodique au regard de son utilité est, de ce point de vue, cohérente. Quelques abonnements à des sites d’information fiables sont également possibles, nous encourageant à aller chercher, vérifier, croiser les informations à froid, plutôt que de les subir. Côté intelligence artificielle, il existe au moins une alternative éthique (et française) aux géants américains, Mistral IA, et son moteur Le Chat Mistral, d’une utilisation simplissime.

L’autre versant de la survie est bien sûr de fuir, autant que faire se peut, les réseaux toxiques. X en est un bel exemple. La résistance coupable de la plupart des  politiques à mettre leurs opinions en accord avec leurs principes est de ce point de vue intéressante à observer. Et de n’accorder qu’une confiance prudente aux informations servies généreusement par google sur nos téléphones (selon les principes évoqués plus haut), en vérifiant toujours la source avant de cliquer. Tout en n’étant pas dupes de notre propre humanité et de notre attrait irrépressible pour les histoires qui nous confortent dans nos propres représentations.

 

 

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