L’état de la justice française permet-il de lire celui de la société ? Les convictions que l’avocat pénaliste Eric Dupond-Moretti a cultivées dans les cours d’assises en font la démonstration. A sa manière. Forte. D’Edwy Plenel et de Médiapart dont il fustige les « méthodes abjectes » aux Le Pen père et fille – « le premier s’occupe des juifs, la seconde des arabes » – à qui ont été abandonnés les sujets de société « victimes de la pensée unique », « Aquittador » dissèque les ressorts d’une société « hyper » puritaine, hygiéniste et moralisatrice, « hyper » victimaire, normée et politiquement correct, in fine qui infantilise, déresponsabilise, et obstrue les « vrais débats qui font civilisation ». Résultat, une compression des espaces de liberté qui retire à la France le statut de “Pays des droits de l’homme”.
Une fois n’est pas coutume, je relaie ici un long entretien donné par l’avocat Eric Dupont-Moretti à Denis Lafay pour La Tribune. Une réflexion tonique sur l’état de la justice et de la société, qui montre, s’il était besoin, que le débat n’est pas encore mort dans ce pays. L’entretien est ici, le lien : http://acteursdeleconomie.latribune.fr/debats/grands-entretiens/2015-06-25/eric-dupond-moretti-l-hyper-moralisation-pourrit-notre-societe.html
« Enfermer les victimes dans leur statut de victime et dans une posture victimaire, c’est hypothéquer leur reconstruction ».
Belle stigmatisation de la victimolâtrie, qui me renvoie à un texte écrit il a quelques années.
Ce qui a déclenché chez moi ma première réflexion sur ce qu’il faut faire pour les victimes, et surtout pas donner dans la victimolâtrie, c’est une scène de l’extraordinaire « La Nuit du Chasseur ». Powell, un pervers qui a poursuivi des enfants après avoir tué leur mère, Wilma Harper, est jugé. Les Spoon, un couple d’épicemards cons et bigots (ça va de pair), ceux-là même qui avaient poussé Wilma vers Powell, voyant les enfants dans la rue, s’abattent sur eux en pleurant de toute leur compassion gluante, saluant ces « pauvres petits agneaux de Jésus ! ». Et là arrive Miss Cooper, qui les arrache aux griffes des deux grenouilles de bénitier.
Miss Cooper est la femme qui les a recueillis dans leur fuite, qui s’en occupe, qui leur donne la sécurité qu’ils n’avaient plus depuis le remariage de leur mère.
Et qui, si elle les écoute parler au bout de mois de présence chez elle, ne leur a jamais posé une seule question. Jamais.
Les victimes, c’est à la mode. Pour payer de vrais siècles d’indifférence, on fonce dans l’autre sens. On encourage la plainte plaintive, on empêche les nécessaires deuils de se faire : regardez la floraison nouvelle dans les rubriques nécrologiques des « nous ne t’oublierons jamais », des « dix ans après, la douleur est la même ». On oublie que les morts ne doivent jamais empêcher les vivants de vivre. On rejoint le système américain où les familles des victimes, des dix et vingt ans après, sont conviés à la vengeance par injection létale. Pardonner ? Jamais. Oublier ? Jamais. Et donc, souffrir, toujours. La haine est un venin qui pourrit autant son vecteur que sa cible.
Je crois qu’il y a chez les victimophiles un paquet de calculs :
– Une victime, c’est quelqu’un de faible et de manipulable. Qu’elle ne se vive plus en victime, et ils perdent un bon client.
– C’est un merveilleux emblème du combat contre les méchants, combat rendu plus facile par la Peur, peur de tout, de l’autre, du différent, de ce qui fait que les gens en sont à ne plus même mettre de nom sur leur boite aux lettres. Et les gens qui ont peur, comme les victimes, c’est tout bénef un jour d’élection.
– C’est un excellent moyen de se prouver qu’on est quelqu’un de bien.
(EDM a une autre raison de détester Médiapart : il abrite le blogue de la sinistre Gryson, une dame qui aurait bien envoyé x innocents à la guillotine si elle avait pu. Une sœur des Spoon, si on veut)
J’ai oublié d’enlever le “scherzosa” qui ne convient pas.
Sinon, & là je n’ai pas vraiment envie de rire, je viens de poster un commentaire sur la Rdl, sous le pseudo de Soplyak (“petit morveux”), sur le fil consacré au livre de S. Liberati.
Je veux bien croire que “l’hyper moralisation pourri[sse] notre société”.
En un sens, le procès intenté par E. Ionesco correspond bien au propos de ED-M,.
Il n’y a pas eu mort de femme après tt. Les tribunaux sont déjà bien assez encombrés, la justice surchargée.
Mais la liberté absolue de la mère n’est pas compatible avec la liberté de sa fille (fillette & adulte). Traitée comme un moyen, c’est une évidence.
Ce qui est manifestement moins clair, c’est la façon dont il convient d’évoquer le passé. L’hyper hypocrisie permettant de “jouer sur les deux tableaux” me paraît tt aussi susceptible de gangréner notre société.
Le rituel est désormais bien rodé : on prétend dénoncer & on participe. On engrange les bénéfices conjoints (en clics) de l’indignation & du racolage.
Ce n’est pas la couverture du livre.
Qu’on ne s’y trompe pas. PA est un journaliste & un blogueur d’une probité morale exemplaire, il ne fait pas dans le scandale et le sulfureux.
La grande erreur de P.A., qui invalide aujourd’hui son système de défense c’est, d’après moi, d’avoir placé en tête de son article une photographie « d’une autre époque »— une de ces photographies ambiguës d’une enfant parée & dénudée, offerte en pâture.
D’autres ont réussi à faire autrement, à évoquer sans répéter l’offense :
http://www.corriere.it/la-lettura/15_agosto_18/motefiori-ionesco-libro-parigi-privacy-a4f760ca-4593-11e5-a532-fb287b18ec46.shtml
Cet article précise que les photos incriminées ne pourront plus être diffusées sans l’accord de E. Ionesco — qu’en est-il ?
[Ah, non, n’opprimez surtout pas mes opportunités d’imaginer, ne cadenassez pas ma rêverie, n’enfermez pas ma fantaisie, n’étouffez pas mon inventivité …
À chaque fois que l’expression “mariage pour tous” est employée, supposant que ceux qui sont passés du col Mao au Cac 40 ont peut-être gardé de leurs anciennes amours asiatiques le goût du sublime en propagande, je me figure des centaines de milliers de couples de ts genres mais vêtus de façon traditionnelle, habit sombre — longue robe blanche & voile, se pressant sur la place de la Concorde pour une cérémonie de groupe comme ds la secte Moon … Le happening + le collectif, que demande le peuple ?]
Bon après j’arrête, promis… jusqu’à la prochaine fois, mais -ah! perfectionnisme quand tu nous tiens- je me suis relue, et sur la CRPC j’ai omis de dire, contrairement là aussi à ce qui se pratique US, elle ne concerne pas les procès d’Assises. Les séries américaines nous font croire qu’on peut discuter de sa peine même pour des crimes de sang : genre, plaidant coupable d’avoir assassiné son voisin dans le bureau du juge, untel ne ‘prend’ que 15 ans au lieu de perpette… impossible en France. De la même manière, tout le monde est convaincu qu’il faut un ‘mandat’ pour perquisitionner…
A l’inverse, DSK, en France, et pour la même affaire dite du Sofitel, n’aurait jamais été filmé menotté, arrestation en direct et tout le toutim…..
la contamination par les formules toutes faites : au lieu d’écrire “le mariage entre deux adultes consentants quelque soit leur sexe” j’ai écrit “entre tous adultes consentants”…. bravo! je fais la démonstration de ce que je viens de dire, on a tous succombé à cette expression stupide ‘mariage pour tous!’
Si vous voyez le nom d’Antoine Garapon (certaines émissions, ou ses livres évidemment) ne passez pas votre chemin. Voici quelqu’un qui non seulement sait de quoi il parle, mais qui en parle très bien, très finement. Il ne prend pas son interlocuteur pour un imbécile, et explique avec la générosité de qui domine son sujet dont il est investit tout entier. C’est un pédagogue talentueux. On a toujours intérêt à côtoyer des gens brillants, des connaisseurs, dans le pire des cas, il ne se passe rien, dans le meilleur des cas, on en devient soi-même plus connaisseur (ça se dit ça?). C’est le pari pascalien. Gagnant-gagnant disent les politiques de nos jours….
En effet, Elena, ce n’est pas simple. Votre “chiffonnage” est légitime et sérieux.
Je voulais dire, j’espère ne pas m’emmêler les pinceaux, que sur le même ‘fait’ on peut avoir deux pratiques de la Justice (ou plutôt de la loi?). Un comportement répréhensible en droit, l’interruption volontaire de grossesse jusqu’en 1974 (73?) ne l’est plus aujourd’hui, la loi française autorise les femmes à y recourir sans risquer la prison. La loi n’oblige aucune femme qui ne souhaiterait pas y recourir alors même que sa grossesse n’est pas désirée -pour des raisons éthiques, religieuses- à le faire, elle protège sa décision, quelle qu’elle soit. Même ‘logique’, il me semble, dans la loi qui autorise le mariage entre tous adultes consentants, quelque soit leur sexe, (et non cette incroyable expression qui a fini par l’emporter et qui est d’un ridicule accompli “mariage pour tous”, on y succombe tous (à l’expression)).
Cette loi n’a pas pour but, pour mission ou je ne sais quoi, d’obliger tous les couples de même sexe à passer devant monsieur le Maire, mais, en faisant en sorte qu’ils le puissent, qu’ils aient tous les droits attachés au Code du Mariage, avantages et inconvénients compris d’ailleurs!
Les exemples que vous donnez sont très délicats, en effet. C’est là où il faut -désolée pour la rengaine- ‘éduquer’. La loi, des lois, les lois qui font fi du statut de sujet de tout humain et le transforment en objet, de revenus, de plaisir, d’intérêt, pour soi même, (la société évidemment…. cette superbe entité qui permet tout) est peut-être une loi… mais est-elle “juste”? La différence entre le moyen et la fin est un des acquis de l’enseignement de la philosophie kantienne (ouhouhouh…), et jamais quiconque ne doit être un moyen en vue d’une fin.
D’aucuns pourraient rétorquer “et alors?” et s’en prendre à l’inefficacité des intellectuels. Ce sont pourtant eux, sens élargi, qui ont toujours fait bouger les lignes. Notamment en matière de droit. La loi ne sera jamais l’expression d’une justice parfaite, mais qu’elle y tende (en protégeant par exemple la plus pauvre et la plus démunie, qui en 1970 ne pouvait aller en Suisse et faisait appel encore “aux faiseuses d’ange”,) que la loi soit imprégnée, auréolée de ce désir, c’est ce à quoi il faut veiller. Mesdames et Messieurs nos élus, au boulot…..malheureusement je crains qu’en matière de ‘veille’ nos concitoyens aient baissé la garde. Ils confondent leurs désirs avec le droit, leurs pulsions avec le droit, et aimeraient que l’appareil judiciaire serve leurs caprices et leurs intérêts….Mais à l’Assemblée Nationale il sert déjà les lobbies….
Education! Education!! et…. bulletin de vote!
Le “Votre Honneur” n’est pas une légende! et même dans les tribunaux de villes moyennes (ni Paris, ni Lyon, ni Marseille, Toulouse….) il faut demander (exiger parfois d’une voix ferme!) que le prévenu -notamment les mineurs- range son téléphone portable qu’il tient toujours à la main, comme au Moyen-Age on tenait son chapelet! ou de changer radicalement de vocabulaire (les p… font ch…. bord…. et autres joyeusetés fleurissent).
Les films de Depardon (on doit pouvoir les trouver sur internet) sont formidables pour vivre un peu au coeur du quotidien des tribunaux ordinaires, très ordinaires. Ce ne sont pas des fictions, et la caméra, autorisée pour la bonne cause, saisit des regards, j’allais dire des intonations, des silences ; on ne sait pas parfois s’il faut rire ou pleurer. Et puis, pour “éduquer” les scolaires, on peut toujours les emmener suivre une audience correctionnelle. Et je vous assure qu’ils en ressortent scotchés! et pourtant il n’y a pas de crime de sang… (enfin presque, car de plus en plus d’agressions sont ‘correctionnalisées’, les Procès en Assises sont très coûteux!)
Je n’ai pas souvenir que l’éducation civique enseignait le fonctionnement de la justice. Mais, certains profs ont peut-être “profité” de ce créneau pour le faire, tant mieux. En tout cas, les seuls cours de droit qui sont dispensés au Lycée sont, depuis 2 ou 3 ans une option facultative en Term L! très peu de Lycées le font -il faut mobiliser un prof de droit pour quelques heures et quelques élèves, ils déclinent -surtout si ce n’est pas dans une ville universitaire!
Les tribunaux d’arbitrage ne sont pas des …. tribunaux. C’est une sorte de justice privée (oxymore) et ce sont les magouilles entre Tapie, les Banques et le Ministère de l’Économie, qui les ont fait connaître. D’ailleurs, il me semble (à vérifier) qu’ils n’existent qu’à chaque fois qu’on les réunit! ils sont coexistants aux affaires qu’ils sont censés régler entre amis…
Pour le “plaider coupable”, c’est plus compliqué. D’ailleurs en France on pratique la ” Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité”, qui a été inventée pour désengorger les audiences. C’est une manœuvre économique à l’origine…. elle ne ressemble pas tout à fait à son aïeule américaine puisqu’il n’y a pas ce marchandage à la sanction (10ans puis 5ans etc……) que nous montrent toutes les séries US, en effet. C’est bien plus mécanique si l’on peut dire. Si le prévenu (et son avocat) accepte de se soumettre à la CRPC proposée par le magistrat du Parquet, et reconnaît donc sa culpabilité dans les faits qui lui sont reprochés, la sanction tombera, il évite (tout le tralala du) le procès. S’il refuse, pour préparer sa défense, estimant (son avocat) qu’il n’en a pas les moyens par la CRPC, c’est assez courant, il va aller méditer en détention préventive…. Le choix de cette procédure est du strict ressort du magistrat.
-à propos des Cours d’Assises -qui est presque le quotidien de EDM- il fut un temps, il n’y a pas si longtemps (à l’époque de l’affaire Patrick Henri par ex) où le jugement aux assises n’était pas susceptible de procédure d’appel, sous l’argument suivant : étant rendu par le peuple, le peuple ne peut se déjuger (même si les jurés ne sont, évidemment, pas les mêmes) on était quand même dans une Béatification quasi religieuse du Peuple…
Aujourd’hui, le législateur a dû penser que bien que “souverain” le peuple n’en est pas moins potentiellement soumis à l’erreur…. et tout condamné aux assises peut faire appel de son jugement. Heureusement!
Une petite chose me chiffonne qd même.
Dire qu’une loi qui permet n’oblige pas est évidemment exact, sémantiquement, techniquement aussi — mais qq peu trompeur ; on peut s’abriter politiquement derrière ce distinguo, en faisant mine d’oublier que les rapports de force prennent alors le relai.
On se retrouve souvent face à une nouvelle application de la loi (“scientifique” & non juridique) de Gresham : la mauvaise pratique (mais pour certains la plus profitable) chasse la bonne.
C’est tt le pbl d’autoriser le travail le dimanche.
Même remarque à propos de la Gestation Pour Autrui.
Présenter cela comme une extension des libertés c’est dissimuler que l’on fait sauter une à une les digues contre l’exploitation.
Vs ne rencontrerez jamais de textes OBLIGEANT les indiennes à porter les enfants des occidentaux.
Ou tel autre habitant du tiers-monde à vendre un rein. Ou la caissière du magasin de bricolage à ne pas passer le dimanche avec ses enfants. Ou le pauvre du coin de la rue à trouver un petit revenu ds la vente de son sang.
C’est leur choix, non ?
Au lieu de parler de protection des plus faibles il faudrait invoquer leur droit à la libre entreprise — chacun “gère sa vie” comme il l’entend … Débarrassez-ns de ces entraves !
Je ne sais pas où l’on s’arrêtera.
D’autant que l’on trouve tjs des “vrais gens” pour expliquer que c’est ce qu’ils veulent — travailler le dimanche & les jours fériés, ou ne pas prendre leur congé de maternité — d’après Rachida D. qq jours suffisent largement.
On voit régulièrement des reportages-photos en ligne (plutôt sur des sites anglo-saxons pour l’instant) montrant des octogénaires au boulot : heureux, épanouis ! Enlevez-leur les satisfactions de leur job, ils s’écrouleront, c’est sûr.
Merci P. de ns avoir fait un peu partager votre connaissance “de l’intérieur” du fonctionnement des tribunaux.
L’enseignement du fonctionnement de la Justice que vs appelez de vos vœux serait en effet vivement souhaitable. Les cours d’ “éducation civique” d’autrefois étaient censés l’assurer …
En dehors du lycée le meilleur moyen consisterait sans doute à réaliser des films & des séries judiciaires (au moins en partie) françaises suffisamment passionnantes pour rivaliser avec les productions américaines qui ns inondent & colonisent l’imaginaire des jeunes. Il paraît (est-ce un légende ? ou bien est-ce une spécificité de nos banlieues ?) que nos sauvageons donnent du “Votre Honneur” au juge …
Je ne sais pas si les justiciables français en deviendraient moins râleurs & partiaux, il ne faut pas trop rêver, mais il deviendrait peut-être plus difficile de faire gober à l’opinion l’intérêt des tribunaux d’arbitrage ou du “plaider-coupable”.
La Justice est une affaire humaine, à moins de vouloir revenir aux Tribunaux et aux pouvoirs de Droit Divin… Soumise à des imperfections et des faillites, elle n’a pas vocation pour autant à ce que celles-ci l’emportent, du moins dans l’esprit du citoyen, sur ses réussites… Mais par quelle incroyable illusion a-t-on pu confondre rendre le droit et atteindre le Vrai (je choisi volontairement ce mot sulfureux), au sens métaphysique…. la vérité judiciaire suffira bien.
Trop rapide –mais nous voilà en train de croire qu’un article a vocation à tout dire et à tout régler- les propos sur les jurys populaires. En effet, quand la bataille des micros et des petites phrases réactives, des larmes -d’accord encore avec DM- en gros plan de celui ou celle qui “croit” qu’il n’a pas été entendu parce que l’accusé n’a pas été condamné ou pas assez sévèrement, fait rage aux journaux d’infos en continu, et que l’on entend « il n’y a plus de Justice », « si c’est cela la Justice », ou « elle est belle la Justice » et autres formulations dictées par l’incompréhension (cf plus haut), il me prend toujours l’envie de rappeler qu’aux Assises –les procès les moins nombreux mais les plus médiatisés- le jugement est rendu par des jurés de la société civile, et sauf à être récusés –très encadré- ou être mort, ou ne pas être inscrit sur les listes électorales ( !!) sont tenus de se présenter (récemment un juré absent sans motif fut bel et bien condamné pour ce délit.) Rappeler donc, que le législateur –ce que ne sont pas les ‘professionnels’ du droit- a inscrit dans l’immense responsabilité qui consiste pour les humains à juger d’autres humains pour les crimes les plus graves, le législateur a voulu que cela fût fait par ses semblables au sens le plus direct, des citoyens non formés aux techniques, procédures, vocabulaire et autres apprentissages du droit. Idem pour les Tribunaux pour Enfants –avec cette différence que les deux assesseurs, de la société civile, non spécialistes eux aussi, qui doivent obligatoirement entourer le Président sont volontaires et ont fait une demande spécifique –très encadré tout cela aussi, ils sont là pour plusieurs années. Leur avis dans le délibéré compte autant, donc 2 contre 1, que celui du Juge-Président d’audience. Dans deux juridictions au moins (Assises et justice des mineurs) c’est le peuple qui dit le droit… A rappeler autant que faire se peut.
Un autre aspect qui me tient particulièrement à cœur dans cette immensité d’incompréhension sur le fonctionnement de la Justice, est celui qui consiste à confondre ceux qui font les lois, qui bien que rédigées in fine par des juristes, sont de la volonté des politiques, et ceux qui sont censés les appliquer. Et là DM a raison de fustiger le repliement sur des postures frileuses donc sécuritaires et répressives des élus. Pour ne rien dire de la morale. DM est un grand fumeur devant l’éternel….il a beaucoup de mal, mais il n’est pas le seul, avec l’inflation des lois qui répriment, aux dépends de lois qui permettent, ce qui ne veut pas dire qui obligent ! (je pense avec tristesse et consternation encore aujourd’hui aux incroyables confusions sémantiques au moment du « mariage pour tous ») Ce qui est, à mon sens, une ligne de démarcation très efficace…
Un point encore qui n’est pas dans l’article, mais puisque j’y suis…. La question de la justice au Civil, la justice « du quotidien » celle qui devrait régler au mieux votre désaccord avec votre voisin, votre assureur, votre ex…. puisqu’elle ne formule pas de « peines » mais évalue les préjudices. Les tâcherons de la Justice…. A laquelle les mêmes commentaires sont dévolus….qu’on peut résumer par cette formule : tout justiciable a une tendance particulière à penser que la Justice qui lui donne tort est nécessairement injuste, et juste, en revanche, celle qui lui donne gain de cause…..
Ça y est, j’ai relu, avec application et lenteur.
Et je salue tout d’abord, les remarques réitérées, que dis-je ! les constats désespérés de DM sur l’Education. ‘L’extrême pauvreté du vocabulaire’ c’est le quotidien des audiences.
“De vrais intellectuels à la tête du pays, une vraie politique culturelle, une vraie stratégie éducationnelle qui réhabilite l’emploi pour tous de cette langue française qui véhicule la pensée et fait lien dans la société, sinon l’éradication au moins la maîtrise de la dictature des émissions télévisées, réseaux sociaux, smartphones, tablettes et autres jeux vidéos qui abrutit la jeunesse et le vide d’esprit critique et autonome. Je prends le droit de rêver…” En effet ! je ne vois guère ce qu’on peut ajouter sans redondance à ces lignes. En effet, Elena, elles font un bienfaisant et douloureux ( !) écho au post précédent. Mais cette conviction, cette réalité, aussi fermement exprimée est rare chez un avocat. Aussi, bien des avocats confisquent la parole de leur client, trop indigente, au profit d’une parole technique (plus efficace) mais n’ont aucune pédagogie.
Ce qui est un vrai paradoxe. Car s’il n’y a pas de place dans les prétoires pour l’expression directe des pulsions, si la nature même du Droit est de faire obstacle à la force, la parole des spécialistes est reçue par les profanes comme une véritable langue étrangère, -imaginez et transposez chez les mineurs !- elle leur semble hostile, d’emblée. Et pourtant, elle doit être. Et EDM a tout à fait raison de dire qu’elle est pourtant insuffisante. Comment faire comprendre, en effet, qu’un jugement d’acquittement ne signifie pas rejet de la parole des victimes ? Une (timide) proposition : enseigner le fonctionnement (pas les métiers) de la Justice au Lycée. Les plus grands de nos lycéens, une carte d’électeur peut-être en poche, ou à venir dans quelques mois ! ignorent le b-a-b-a de ce qui se passe dans un Tribunal (a fortiori en amont et en aval, l’audience n’est que la partie immergée de l’iceberg). Certains –et bien des adultes avec eux- pensent, par ex, qu’un Avocat Général est un avocat ! ou pensent que tous les magistrats sont des juges (la réciproque, en revanche fonctionne), ignorant la distinction radicale et française entre Siège et Parquet…. Toute pratique spécialisée requiert son vocabulaire, et l’écrasement, quand il s’agit de Justice (ah ! cette majuscule qui nous exempte de tout travail de connaissance !), par les opinions générales, que je distingue des convictions lesquelles se doivent d’être un tant soit peu éclairées, de toute approche fine, est désespérante. Pourtant viendrait-il à l’idée de quiconque de soutenir une conversation sur la chirurgie cardiaque, l’économie mondiale, la physique quantique, ou le fonctionnement du moteur à explosion, sur un mode ‘général’, pire ‘généralisant’…. Autant de domaines où notre quotidien est pourtant impliqué. Mais, la Justice, oui –et j’en ai en réserve quelques autres. Je ne suis pas en train de plaider ( !) pour que chacun reste et garde jalousement son pré carré, mais pour un vrai travail de pédagogie et d’éducation. Faire que chacun remplisse –ou constitue- sa boîte à outils la meilleure possible, forcément d’abord avec les outils de base, ceux sans lesquels on va se faire avoir…… Retour à la case départ ! tout est question d’éducation, au sens large ET étroit. Monsieur DM, oui, il ne faut jamais cesser de le dire et le redire.
(suite)
Oui Philippe, ce n’est qu’une lecture personnelle. J’ai surtout voulu analyser ce qui me dérangeait moi, & qui me semblait relever du plaidoyer pro domo & de l’impensé, ds cette réflexion présentée comme dérangeante vis-à-vis d’autres certitudes — alors même que je suis d’accord avec bon nombre de ses constatations. L’exercice était important pour moi, alors qu’il est sans doute injuste à l’égard d’un entretien, même long, qui ne saurait évidemment aborder en détail ts les problèmes, aller jusqu’au bout de ttes les objections, envisager ttes les contradictions — bref, tt dire.
Mais la politique est aussi affaire de choix & de priorités, & il n’est peut-être pas inutile de faire apparaître plus nettement les choix & les priorités qui se dégagent d’une position, de souligner ce qu’elle néglige, plutôt que de succomber à l’argument d’autorité : un spécialiste vs parle, écoutez & prenez-en de la graine, profanes & non initiés — restez cois devant l’expert qui pense pour vs.
D-M est pénaliste, je ne peux pas lui reprocher de ne pas s’intéresser au “détricotage” du droit du travail.
En relisant le passage où il évoque le déplacement sur le terrain de l’insécurité (ex-UMP & PS confondus) & du politiquement correct (surtout PS) de la tutelle exercée par les politiques & de la justification de leurs mandats, je m’aperçois qu’il en reste au constat : “les dirigeants politiques ont admis que leur prise sur l’économie déclinait irréversiblement”. La dérégulation de l’économie entraînant une volonté de contrôle ds d’autres domaines.
Mais si cette image de vases communicants m’avait frappée & séduite, j’ai mis du tps à comprendre qu’elle laisse de côté les bénéficiaires communs de cette dérégulation économique & culpabilisation en bout de chaîne des citoyens/usagers/consommateurs : par ex les transnationales du tabac, des drogues, de la malbouffe, du trafic d’êtres humains …
Puisqu’il n’y a rien à faire, puisque l’on renonce au politique, étendons donc (les “bénéfices” de ?) la dérégulation à l’ensemble de la société.
Elena, je suis, sur l’essentiel -au sens où j’ai lu un peu vite- d’accord avec vous.
J’ai 5heures de route sous les pneus, aussi, je repasserai déployer un peu ce qui me semble.
A commencer par le grand malentendu sémantique dès qu’on parle de Justice.
Ce gros nounours de DM est quelqu’un de très sensible. Il ne dit pas qu’il ne faut pas se pencher sur les victimes (je crois, même qu’il dit l’inverse au début, mais là encore il faut que je m’y remette), mais il rappelle que les salles d’audience et les prétoires sont des lieux où comparaissent des auteurs de faits délictueux ou criminels… Il replace le curseur au bon endroit, il me semble. Et son analyse est rationnelle comme doit être le droit lui-même, ce qui n’est pas une contradiction avec l’humanité. Bien au contraire!
Petite anecdote récente (15 jours) : au TPE (Tribunal pour Enfants ) d’une ville de province, un mineur, extradé, -2h de route, les prisons pour mineurs sont quand même rares- et escorté par 3 gendarmes -gilet pare-balles- comparaît dans l’urgence -à sa demande! pour une histoire de domiciliation après sa sortie….qui n’est pas d’actualité. Battre le rappel, nous sommes fin Juillet : un huissier, un magistrat du parquet, le président (juge du siège), deux assesseurs de la société civile (obligatoire, la procédure est annulée sans eux), une greffière, un avocat, évidemment…. Le casier judiciaire est long comme le bras (plus d’une quarantaine de condamnations). Rien dans la presse, le TPE est à “public restreint”, cad les proches, les éducateurs, les familles d’accueil… Portes fermées pendant les débats, portes ouvertes lors de la lecture du jugement. En l’espèce, la décision n’a ici aucune importance -le fait est qu’elle était favorable à cet adorable ado!
M’entretenant avec un des “professionnels” de la Justice sur ce déploiement improvisé, hors agenda, -j’étais moi-même un des deux assesseurs… J’ai eu cette réponse : “c’est l’honneur de notre Justice de s’occuper des enfants perdus de la République”! Chapeau!
Et aussi, un conseil très sincère : j’invite tous ceux qui ont une furieuse envie de savoir un peu de quoi il (en) retourne, d’entrer dans les prétoires, au Pénal, (le Civil c’est autre chose ( EDM est un pénaliste) en correctionnelle, aux Assises). La Justice se rendant au nom du peuple, tout le monde peut y aller. Et pourtant, sauf à être soi même concerné… le moins possible j’espère pour la Correctionnelle et les Assises…. personne n’y va.
On pourrait croire que j’avais dit tt ce que j’avais à dire hier soir, & bien j’ai oublié un tas de choses …
C’est là qu’on mesure combien il est difficile de “tenir tête” (& encore pas en face-à-face & du tac au tac !) à un sophiste de talent & tr bien entraîné, d’autant plus que l’on partage une partie de ses analyses.
Je ne peux pas m’empêcher de garder tjs présent à l’esprit D’OÙ parle (professionnellement) D-M : son pt de vue particulier & peut-être partial, bref son intérêt en tant qu’avocat. Il ne saurait logiquement me faire grief d’exercer moi aussi « la circonspection a priori » à laquelle ns invite Nietzsche, qu’il cite ds l’article [vs pouvez vérifier, ce n’est pas une invention de Puck], ni de l’exercer à l’égard de ses propres certitudes — comme le fait que cette indispensable capacité à commencer par douter « distingue[rait] les avocats de leurs contemporains ».
On ne peut certes pas reprocher à D-M de « pousser à la consommation », d’accompagner le mouvement vers une société tjs plus procédurière (& donc tjs plus propice à la carrière & la prospérité des avocats) ; mais je me permets la mesquinerie de remarquer qu’à son âge & son niveau de réussite, ds sa propre spécialité, c’est un luxe qui ne lui coûte rien, qui ne représente aucun manque à gagner personnel.
Je ne prétends évidemment pas, ce serait odieux, lui dénier tte possibilité, tte capacité de se distancier de cet intérêt, mais il ne faut jamais oublier d’expertiser les experts — comme il le fait d’ailleurs lui même qd il parle des juges tels qu’ils sont (humains, faillibles) & non tels qu’ils devraient être & tels qu’on les idéalise.
• D-M dénonce chez certains d’entre eux la porosité entre la morale (personnelle, particulière) & l’exercice de leur métier — si le juge ne s’efforce pas de rester objectif (de faire abstraction non seulement de sa morale mais aussi pourrait-on ajouter de ses convictions politiques, de son statut social, de ses opinions, de son sexe) le cours de la justice sera faussé.
Ns lisons cela & ns tremblons : ns ns voyons déjà au pilori, voire marqués au fer rouge, embastillés pour délit d’opinion ou « délit de sale gu. » ou d’insolence (comme ds le documentaire de Depardon sur les comparutions immédiates, le sociologue qui avait entrepris de se défendre tt seul pour une histoire de couteau qu’il portait sur lui je crois, « Monsieur vs n’allez pas m’apprendre mon métier »).
Et c’est tr bien, car ns ne pensons pas tjs à ns identifier à ceux qui ne disposent pas du vocabulaire & de la maîtrise de la langue suffisants, ni des codes sociaux ; leur monde est trop loin du nôtre. Qq frissons réveillent notre capacité d’empathie.
C’est la tentation qui accompagne le métier de juge comme son ombre, une sorte de pente naturelle à cette fonction & contre laquelle il convient de se garder. Si un magistrat passe par ici j’aimerais qu’il oppose sur ce pt son éloquence & son expérience à celles de l’avocat, de manière à ce que ns ne restions pas sur un seul pt de vue.
• En revanche, D-M, s’il n’a guère de peine à se décerner (lui-même) un certificat d’étanchéité absolue entre sa morale & l’exercice de son métier, n’approfondit pas trop le fait que son absence rendrait d’emblée impossible l’exercice de la profession d’avocat. Les exigences extraordinairement élevées pour un juge ne s’appliquent pas à sa propre profession, quelle chance ! L’un doit impérativement être « un immense bonhomme » (si vs n’êtes pas Salomon choisissez un autre métier), l’autre n’a pas à être impartial, il peut se contenter d’une vérité relative (sophistes bienvenus donc).
Qd D. Lafay aborde la question (« Vous avez pour responsabilité d’obtenir non pas la plus juste peine mais la plus faible peine pour les inculpés que vous défendez ») il lui tend en même tps, fort respectueusement, une énorme perche : « une situation qui depuis la naissance même de votre métier continue d’intriguer les profanes ».
Perche dûment saisie par D-M, qui traite ces préoccupations par le mépris : « Cette question, bien sûr fondamentale, sur la “juste justice” et sur l’appréciation – morale ou non – des avocats qui obtiennent l’acquittement de coupables, demeure depuis la nuit des temps au centre des préoccupations des non initiés »
Non, s’interroger à ce propos ne revient pas à ne pas comprendre ou admettre le rôle & la mission des avocats, ni à remettre en cause la nécessité d’ « apporter la preuve d’une culpabilité avant de condamner ».
Quelle condescendance envers les non-initiés & les profanes — condescendance qui lui évite en tt cas de s’interroger sur le cloisonnement rigoureux entre son intérêt financier & les opinions qu’il énonce du ht de sa position de “spécialiste”. Sur le risque d’une justice de classe par ex. D’une justice douce aux puissants, & pas forcément à des individus (que de vilains envieux poursuivraient de leur vindicte, comme ce pauvre Strange Fruit DSK qui ressuscite après chaque lynchage médiatique — manifestement ce qui ne le tue pas le rend plus fort, on n’échappe pas à Nietzsche que voulez-vs). Douce aux multinationales.
« Traquer » les fumeurs, les buveurs, les obèses, les drogués, les clients de prostituées, (il manque au tableau les parents ayant eu recours à la GPA), c’est mal, c’est liberticide.
Fort bien. Mais on ne peut pas en rester là — à moins que l’on ne défende haut & fort la loi de la jungle, la loi du plus fort, un darwinisme social généralisé.
Ne plus culpabiliser le « consommateur » — le corrompu malgré lui, en dépit de son plein gré ? — devrait impliquer de s’attaquer aux producteurs/organisateurs/dealers, de prendre le pbl à la source. Plus facile à dire qu’à faire, nécessitant une véritable volonté politique … & à peu près impossible à mener à bien ds un monde globalisé & entièrement soumis au marché . Ds ce domaine la tyrannie du moralisme ne paraît pas trop écrasante.
Revenons à « l’affaire du Carlton » — non parce que l’on se délecterait ds l’étalage du linge sale, ou que l’on se passionnerait hypocritement pour le supposé « libertinage », mais parce que l’identité du protagoniste le plus célèbre montre bien la continuité entre le domaine économique & ce que l’on veut ns présenter comme une avancée ds le domaine des mœurs, avancée qui profite évidemment à tt le monde (non, non, il paraît que les hommes riches & puissants, qu’ils soient jeunes & beaux ou vieux & pas particulièrement désirables quoi qu’ils en pensent, ne seraient absolument pas plus égaux que les autres).
Je me fiche pas mal de la vie sexuelle de DSK, de ses pratiques de prédilection ; le rôle qu’il a joué au FMI me paraît bcp plus grave.
http://www.independent.co.uk/voices/commentators/johann-hari/johann-hari-its-not-just-dominique-strausskahn-the-imf-itself-should-be-on-trial-2292270.html
Mais Jack is back, & il ne se souvient pas de ce qu’il a fait ds une autre vie. « Je suis Oiseau : voyez mes ailes », « Je suis Souris : vivent les Rats ».
Mais en dehors de l’onanisme, la vie sexuelle n’est pas autarcique que je sache. D’autres sont impliqué-e-s. Rentre en ligne de compte le pbl du consentement, qui n’est pas tjs limpide — par ex qd l’un-e des protagonistes est le/la supérieur-e hiérarchique ou le/la prof de l’autre (le fait d’avoir une fille ravissante, bien que pas spécialement vulnérable, à Sciences Po m’influence peut-être indûment).
Il ne s’agit pas de moralisme étroit, ni d’une vision du monde en noir & blanc : il arrive aussi que la promotion canapé fasse partie du plan de carrière de joli-e-s jeunes femmes/gens. Qu’un homme politique qui assume ses appétits, n’en fait pas secret, soit moins exposé au chantage qu’un hypocrite est évident — mais n’écarte pas pour autant le risque de favoritisme en échange de petits services rendus (il suffit de jeter un coup d’œil à l’Italie de Berlusconi) ; d’autant que la fourniture régulière d’escorts peut se révéler moins coûteuse — les ressources humaines sont abondantes & sans cesse renouvelées, & l’on peut faire jouer la concurrence — que l’arrosage financier en bonne & due forme.
Alors oui, je suis un peu gênée que qqn me déclare benoîtement que la morale n’est pas indiscutable. La vérité de nos politiques est déjà bien assez relative comme cela : un discours de campagne ds un sens, une interview à the Economist de l’autre. Ou bien des propos ultra-libéraux en amphi à Sc Po le matin & des propos compatibles avec une étiquette socialiste le soir à la télévision, vs vs souvenez ?
Très fine lecture Elena. J’ai aussi un peu tiqué sur deux ou trois points, notamment sur la nature humaine et la morale. Mais il me semble que comme Camus, il considère que la morale est une affaire privée et que la cité n’a pas à s’en mêler (dans la mesure naturellement où elle ne nuit à personne).
Puck, vous êtes étrange, vous vous faites un plaisir de jouer les rabat-joie quand ça vous chante, mais vous l’acceptez mal que les autres endossent le costume. D’autant que ce ne semble pas le bon angle d’attaque sur le sujet.
Oui, mais …
— Maître D-M n’échappe pas pour lui-même à ce tropisme victimaire.
Deux poids deux mesures : le procès n’est pas fait pour réconforter les victimes ! — tonne l’avocat au service des accusés.
Mais cela dit, il n’est pas tjs fâché avec la psychanalyse de bazar ou de magazine féminin : [Tr tôt orphelin de père] « De cette blessure inguérissable suinte une part de folie, une névrose productive qu’on met au service des clients sans jamais chercher vraiment l’apaisement ; de ce chagrin naît, baptisé par nos larmes, l’égo fort et gourmand nécessaire pour affronter les assises. »
Ce qui est formidable ds le procès, qd même, c’est la thérapie gratuite (non, mieux, fort bien voire grassement rétribuée, & en prime gratifiante) qu’elle permet à l’avocat : « Les métiers qui mettent en risque et en scène publiquement correspondent à “quelque chose” qui est de l’ordre de la thérapie. Y compris lorsqu’on explore l’origine ou les ressorts narcissiques et égocentriques qui les caractérisent ; ces attributs constituent un moteur, à l’élaboration et l’entretien duquel l’histoire personnelle, affective, familiale contribue de manière significative […] m’exprimer oralement me permet de juguler des névroses, de cautériser des plaies personnelles. »
On est bien contents pour le Petit Chose.
— [Supplément au précédent, mais Denis Lafay, qui l’interroge, est au moins complice]
On a envie de demander à ces 2 messieurs (& que l’on n’y voie pas pour autant un geste de solidarité réflexe avec “Madame La Présidente” !) si les avocatEs orphelinEs souffrent autant de ce surmoi douloureux, du manque, de la rage ds lesquels elles trouveront elles aussi (ou non ?) l’énergie thymique pour arracher un acquittement ?
— Beau plaidoyer contre la la réduction, la compression des « espaces de liberté », bien mené, étayé d’exemples caricaturaux mais bien réels. C’est le métier de maître D-M de savoir présenter habilement les arguments de façon à emporter (comme un fleuve en crue) notre approbation submergée par son éloquence.
Attention, la « traque » a commencé ! Le puritanisme est à nos portes !
Heureusement, Super-Résistant (merci encore D. Lafay), armé de sa baguette tradition, le béret coquinement de traviole sur la tête, la gaudriole & le cigare à la bouche, est là pour vs protéger braves gens ! Vivent les latin lovers ! [Et là je suis obligée de me défendre, en anticipant les accusations possibles : non je ne fais pas partie de celles qui estiment qu’une main aux fesses mérite la prison à perpétuité, mais « l’ambiance” des bus égyptiens ne me tente pas non plus].
D’ailleurs « le délit et le crime sont consubstantiels à l’humanité, à toute civilisation et à toute société, puisqu’ils “font partie” de la nature humaine. »
Curieusement, j’aurais plutôt dit que s’ils font partie de la nature humaine, s’ils se sont manifestés ds ttes les sociétés, l’action civilisatrice consiste précisément à contrer certains comportements naturels. Ce n’est pas parce que l’on sait bien que l’on ne parviendra jamais à éradiquer les crimes, les meurtres, les assassinats, qu’on doit se dispenser d’essayer. Qd on commence à invoquer la nature pour justifier des comportements humains je dresse l’oreille.
Devrait-on par exemple arguer du précédent du lion qui élimine la progéniture du mâle précédent pour assurer l’avenir de sa future descendance à lui qd un gamin est malencontreusement estourbi ou ébouillanté ou défenestré par le nouveau compagnon de sa mère ?
Je redoute & refuse pourtant moi aussi l’américanisation sournoise de la justice française.
Mais je trouve paradoxalement des relents très Tea Party à certains des arguments de maître D-M ; est-ce que je sollicite trop les connotations ? « Sous le joug […] de règles étouffantes […] qui oppriment les opportunités ». Certes, & il faut le préciser, il ne s’agit pas du matraquage par les taxes qui étouffent l’initiative & l’esprit d’entreprise, mais des mots, du politiquement correct ; toutefois, la rhétorique est la même — libertarienne. Libérale-libertaire ?
Et, désolée pour cet homme de gauche (appartenance garantie par ses origines, apparemment), mais cela me fait penser à « la liberté du renard ds le poulailler”.
Puck, vs qui parliez l’autre jour (mais je ne me souviens plus ds quel commentaire, sur quel fil) de « démoralisation », rien ne vs a fait tiquer ds cet entretien ?
Ah, la morale, mon cher maître (D-M), cette pelée, cette galeuse, d’où venait tout leur mal !
Qui oserait de nos jours prôner la morale ? Surtout qd elle est décrite, comme ici, en termes constamment négatifs. La morale, forcément répressive, c’est uniquement ce qui influence indûment les juges (ts des bourgeois étroits d’esprit & des sadiques selon D-M ; ts des gauchistes affreusement laxistes selon la police, c’est un métier populaire & confortable).
Bien sûr, mesdames & messieurs les jurés (on imagine le clin d’œil complice, destiné à évoquer leurs inévitables peccadilles) « ce n’est pas dans la chaleureuse douceur de son hermine [celle de l’avocat général] qu’ils trouveront l’écoute et l’appui nécessaires si un jour ils sont convoqués de l’autre côté de la barre ».
Ns voilà pleinement rassurés. Tt va mieux depuis que l’on a enfin compris que la politique ne devait pas se soucier de morale, ni l’économie. Maintenant c’est la justice. Un avenir radieux & ENFIN LIBRE ns attend.
Je n’ai pourtant rien contre les jurys populaires, mais D-M m’inquiète qd (alors qu’il vient de reconnaître le plaisir pour l’avocat de séduire les jurés) il termine sur une envolée & un effet de manche : leur plus gde vertu ? « le bon sens. On ne les trompe pas, on ne les instrumentalise pas, ils voient… juste. »
Par essence sans doute. Autrefois c’était la terre, maintenant c’est le peuple qui ne ment pas.
Est-ce que je peux donner mes impressions en vrac ?
Parce que je trouve cet entretien à la fois passionnant & un peu dérangeant sous certains aspects ; mais comme je suis affreusement ignorante en matière de justice & de droit je crains que mes réactions ne soient pas d’une gde pertinence.
(Si je dis trop de bêtises vs pourrez effacer, Philippe)
Je vais commencer par ce qui m’a paru stimulant (&/ou les ch avec lesquelles je suis d’accord …) avant de me mettre à ergoter & étaler une fois de plus mon regrettable esprit de contradiction.
— Le rappel de l’inévitable décalage entre les gds principes, l’idéal d’équité, & la réalité, la justice telle qu’elle s’exerce au quotidien : la pente infuse de l’institution (qui “partage les qualités et les travers communs à toutes les administrations – y compris le regrettable réflexe corporatiste et d’autoprotection”). Son « incarnation » ds des humains faillibles.
Il me semble que ce qu’il en dit pourrait fort bien être transposé à d’autres professions &/ou vocations à htes responsabilités envers lesquelles on a donc des attentes particulièrement élevées, ds les domaines de la médecine, de l’enseignement, de la recherche, etc. D’autant qu’il ne se contente pas d’avertir que ces attentes sont qq peu irréalistes : ds son refus de généraliser, il renvoie chaque praticien à ses responsabilités (“la justice porte la signature de chacun de ceux qui l’exercent, un “bon” et un “mauvais” juge ne rendent pas la même justice”).
— Fort éclairant à mes yeux le lien qu’il établit entre la marginalisation ou la neutralisation des pouvoirs de l’État & la régression des libertés : « les dirigeants politiques ont admis que leur prise sur l’économie déclinait irréversiblement, et ont alors cherché à déplacer leur tutelle et la justification de leurs mandats sur d’autres terrains. Sont alors apparus celui de la sécurité et celui de la réglementation. »
— Plus attendue (ce qui ne l’invalide pas nécessairement), la dénonciation de l’infantilisation & de la culpabilisation simultanées des citoyens buveurs, fumeurs ou à l’expression insuffisamment corsetée — démarche à la fois abêtissante (une forme de pensée magique liée à la phobie de « l’imprévu & l’incontrôlable ») & inutilement répressive (volonté de « désigner un responsable à chaque échec »).
Qt au triste & mesquin “féminisme” procédurier il est évidemment consternant & contre-productif.
— EDM épingle de façon concise un phénomène que je ressentais de manière floue : la dérive du procès pénal (censé être « en premier lieu celui d’un accusé » pour lequel il s’agit de déterminer si l’on dispose ou non des preuves pour étayer sa culpabilité, « et dans l’hypothèse ou celle-ci est avérée » la condamnation qu’il convient de lui associer) alors qu’il « est désormais réduit à la catharsis du règlement psychiatrique des douleurs des victimes. » Et il en souligne une conséquence indésirable : « Enfermer les victimes dans leur statut de victime et dans une posture victimaire, c’est hypothéquer leur reconstruction ».
— Je suis effrayée rétrospectivement de ce que ns ayons frôlé Kafka de si près ( « S. Royal, “encouragée” par la pression publique et les associations de victimes, n’avait-elle pas suggéré l’inversion de la charge de la preuve, et, donc, que la présomption de culpabilité s’impose à celle d’innocence ? ») … mais aussi de ne pas avoir été suffisamment attentive : je n’en avais même pas entendu parler.
— L’exploitation du thème de l’insécurité, l’instrumentalisation des statistiques, l’effet amplificateur anxiogène produit par les médias « & particulièrement les chaînes d’information en continu », bien sûr
— Ns retrouvons (merci Philippe pour ce prolongement tt à fait bienvenu) l’importance décisive de l’éducation évoquée sous le fil précédent, & notamment l’accès à une langue suffisamment riche & précise pour permettre de penser. EDM est un homme de notre génération, fils d’un ouvrier (mort qd son fils n’avait que 4 ans) & d’une femme de ménage : aurait-il pu connaître la même trajectoire s’il était né 30 ou 40 ans plus tard, s’il avait fréquenté une école ne lui apprenant quasiment rien, si son adolescence avait été exposée à « la dictature » abrutissante de la téléréalité, des jeux vidéos & des réseaux sociaux, si les seuls modèles de réussite à sa disposition avaient été des chanteurs de rap & les trafiquants de drogue de sa cité ?
— J’avais repéré une bien belle formule — mais elle appartient au journaliste, : « Cette société qui refuse les vulnérabilités, les défaillances […] est la même qui traque le doute et le silence. Doute et silence […] que raréfient les tyrannies de la certitude et du bruit. »
ainsi fond fond font…
je viens de me retaper tout l’entretien, c’est terrifiant, on vit vraiment l’époque des rabats joie.
et ça je suis désolé de le dire mais c’est typiquement français, dès qu’on passe les frontières on retrouve des gens qui ont enfin le sourire, même quand ils vivent dans des conditions cent fois pire que les nôtres, et dès qu’on revient en France, à peine arrivé à l’aéroport, vlan ! on retombes sur des gens qui fond la tronche, en plus cette ribambelle de prophètes qui à chaque coin de rue vous annoncent l’apocalypse, à la longue c’est vraiment usant.
“la loi du fort et le rejet du vulnérable, la sacralisation des vainqueurs et l’ostracisation, d’ailleurs souvent humiliante, des perdants. Célébrer la “réussite” – professionnelle, humaine, etc. – est essentiel ; mais disqualifier et stigmatiser l’échec est délétère. Comment, dans de telles conditions, peut-on espérer faire vivre la solidarité et la fraternité ? Comment peut-on cultiver l’empathie et l’altruisme ? Comment peut-faire “faire” société ?”
oui c’est bien mais je le trouve un peu trop expéditif, idéaliste et désespéré à mon gout….