L’Obs cédé à vil prix, L’Express et Marianne à vendre, Le Point en restructuration : ça y est, l’heure des hebdos est venue. Après les quotidiens nationaux c’est au tour des news magazines de flancher face au numérique. Les hebdos, qui proposent en théorie analyses et mises en perspective, auront été quelque temps l’abri de la chaude concurrence des écrans. Mais pour avoir cru qu’ils s’en sortiraient en pratiquant une douteuse surenchère dans la caricature – certains lecteurs se souviennent peut-être d’une verte chronique sur le sujet – ils s’apprêtent à payer le prix fort d’une coupable erreur stratégique.
Le commun des lecteurs ne le sait généralement pas, mais les news magazines ont un modèle économique singulier. Ils tirent l’essentiel de leurs ressources de la publicité, laquelle peut atteindre 70% de leurs recettes. En d’autres termes lorsque le lecteur achète un magazine 3 euros, ce magazine en coûte en réalité 10 à fabriquer et à diffuser. La chute des recettes publicitaires a donc des conséquences extrêmement sévères pour leurs caisses, plus sévères encore que l’érosion du lectorat.
Je me plais, sur ce chapitre, à expliquer aux étudiants les raisons pour lesquelles ces magazines font régulièrement des offres promotionnelles apparemment délirantes en proposant des abonnements à prix cassés auxquels ils ajoutent un sac en cuir ou un ordinateur portable, offres confinant au non-sens économique. Ces magazines ont tout simplement intérêt à acheter des lecteurs pour augmenter leur diffusion et justifier ainsi de tarifs publicitaires élevés. Un lecteur de magazine est, en premier lieu, un consommateur de publicité. Il n’est qu’accessoirement un lecteur de contenus.
Ce n’est pas révéler un grand secret de dire que la pagination des contenus est dépendante du nombre de pages de pub. Lorsque Le Point réalise un spécial Nantes ou un spécial Strasbourg, la pagination de la copie est liée au nombre de pages de pub locales (grosso modo : deux tiers/un tiers). Cette pagination peut varier jusqu’au dernier moment et des contenus être commandés aux journalistes en urgence si les commerciaux décrochent plus de pages de pub que prévu.
Mais là n’est même plus la question aujourd’hui. Le newsmagazine, calqué sur le modèle américain (Times et Newsweek) dans les années soixante, semble bien avoir vécu. Il ne mouline plus guère que du marronnier (le palmarès des cliniques ou le prix de l’immobilier) en se finançant sur les montres Suisses et les voitures allemandes. Et sa reconversion annoncée sur des supports numériques est loin d’être gagnée. Ses rédactions sont de petites cylindrées au regard de celles quotidiens, qu’elles auront des difficultés à concurrencer sur le terrain de l’actu chaude, faute de moyens humains.
La bonne nouvelle dans ce grand chambardement, c’est que cette presse, pour l’essentielle parisienne, dont l’arrogance n’a d’égale que la suffisance, va devoir sérieusement se remettre en question pour survivre, confrontée à un public infidèle et volatil. Pendant ce temps, de nouveaux modèles tracent discrètement leur chemin, sans faire de bruit, dans les replis du web. Mais chut, il ne faut pas le dire.
Illustrations : DR