Borgia en technicolor

« Dogmatiquement sobre, le pontificat d’Alexandre VI ne devait guère troubler les théologiens. Quant à son arbitrage entre Espagnols et Portugais, il n’y avait eu là rien que de très catholique…» C’est ainsi que s’achève la courte note biographique consacrée au pape Alexandre VI, alias Rodrigo Borgia, dans l’Encyclopaedia Universalis. Une note somme toute assez lisse, qui évoque prudemment la vie « dévergondée » du pape et l’existence de ses six enfants, mais reste muette sur les frasques que la chronique contemporaine lui imputent.

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La note Wikipedia est beaucoup plus crue, qui affirme notamment : « Alexandre VI s’est rendu célèbre par la fameuse orgie du 31 octobre 1501 pendant laquelle ses convives ont été invités à faire preuve de la plus grande virilité auprès d’une cinquantaine de danseuses dévêtues. La compétition a été arbitrée par les propres enfants d’Alexandre VI, ce qui déclencha l’un des plus grands scandales de la chrétienté. » Difficile, faute de disposer d’une solide biographie (s’il en existe une, je suis client), de faire la part entre la réalité et la sulfureuse légende.

 Je n’en viens pas moins, piqué par la curiosité, de visionner les deux premières saisons de la série franco-allemande « Borgia » désormais disponible en DVD. Cette période est décidément fascinante, qui couvre en un peu plus dix ans (1492/1503) la découverte de l’Amérique, le partage du monde entre le Portugal et l’Espagne, les guerres d’Italie, le couronnement d’une double reine de France (c’est Rodrigo Borgia qui annule le mariage de Louis XII pour permettre à Anne de Bretagne d’épouser le successeur de son mari défunt), l’ascension de Machiavel, l’âge d’or de Léonard de Vinci et de Michel-Ange.

 Cette super-production européenne répond aux canons du genre. Costumes magnifiques, reconstitutions spectaculaires, personnages en acier trempé, violence à tous les étages et sexe en veux-tu en voilà. Et on se laisse, ma foi, volontiers emporter par le lyrisme du scénariste qui reste à grands traits, dans les clous de l’histoire. Mais si les épisodes historiques avérés semblent respectés, le dit scénariste (en fait plusieurs) prend toutefois quelques libertés coupables à l’égard de la chronologie et semble faire preuve d’une imagination débridée sur le registre de la vie privée.

 Au cours des deux premières saisons (une troisième et dernière est annoncée), les dix premières années du pontificat de Rodrigo Borgia sont ainsi ramassées en deux ans (1492/1494). Ce qui fait mourir Charles VIII quatre ans avant son décès effectif, et produit quelques coupables anachronismes. Nous ne verrons donc pas Machiavel venir négocier à Nantes l’annulation du mariage de louis XII (1498 ou 1499 les sources varient) puisque l’affaire est déjà pliée en 1494 dans la série. Machiavel, qui, comme la plupart des personnages secondaires (Léonard, Michel-Ange ou Anne de Bretagne) sont, à mon goût, tristement caricaturés.

Mais bon, chacun le sait, chaque époque lit l’histoire avec les lunettes du moment, lesté de ses propres représentations, plombé par ses idées reçues. Et on ne peut pas demander à la télévision d’afficher la rigueur d’un travail universitaire. Et puis cela donnera peut-être l’envie à certains d’en savoir un peu plus sur cette période invraisemblable, où un monde creuse en quelques années son tombeau dans un délire cruel et flamboyant.

Illustration extraite de la série.

3 réflexions sur « Borgia en technicolor »

  1. pascale

    rien à voir
    Rencontre avec Denis Montebello, hier soir, dans ma ville.
    L’écriture est un parcours, les mots ont la saveur des choses, la mémoire est leur “assaisonnement” pour reprendre un bout d’un des titres de cet archéologue de lui-même, ce que nous sommes tous, ne le sachant pas la plupart du temps.
    Beau moment. Où l’intime en soi, et l’intime de soi, entrent en résonnance douce avec des images restées secrètes, du moins le croyait-on.

  2. Philippe Auteur de l’article

    Merci Pascale, cela semble pour l’heure la bio la plus sérieuse. Et elle est disponible sur livre-rare-book pour faire le lien avec le papier précédent. Mais un coup d’oeil s’impose tout d’abord au mardi du livre.
    Bonne journée

  3. pascale

    Il y a le Ivan Cloulas, biographie honnête sur la famille Borgia. Pour commencer. C’est ce que j’appelle “grand public” mais au moins, pas de faute de chronologie.

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