L’arrière-saison se dilate chaque année un peu plus. Début novembre, les feuilles se décident à tomber doucement, et le surplus de bois qui refuse d’entrer dans le bûcher se réchauffe tranquillement au soleil durant la journée. On peut donc fendre et couper les bûches à mesure.
La campagne a toutefois quelques inconvénients : “La mort de Louis XIV”, n’est pas donnée dans le cinéma le plus proche – même si nous avons désormais un petit multiplexe à Savenay – Il faudra donc courir à Nantes, pas avant la fin de la semaine. Les commentaires d’éventuels premiers spectateurs sont les bienvenus.
Quelques Bordelais bien intentionnés ont déposé, à la faveur des vacances scolaires, les documents de présentation de l’exposition Montaigne Superstar, actuellement en place autour de l’exemplaire de Bordeaux. Pour être honnête, cette présentation qui se veut décalée et ludique m’inspire assez peu. Uen carte postale donnée avec le programme attire toutefois l’attention. au dessus du portrait de Montaigne, on lit la mention #premierblogueur.
Le parallèle n’est pas complètement idiot, si l’on se souvient que Les Essais étaient écrits au jour le jour, sans souci de cohérence, selon l’inspiration du moment. Des billets d’humeur en quelque sorte, nourris par l’expérience et prolongés par la réflexion des Anciens. Même si, évidemment, peu de blogueurs peuvent revendiquer la hauteur de vue et la profondeur de champ du Gascon. Et il n’est pas certain que beaucoup de textes tiennent encore debout dans un demi-millénaire, comme c’est le cas pour les Essais.
Côté lecture, la boussole du moment reste Le Ciel & la Carte d’Alain Borer qui ne cesse de renvoyer à d’autre textes, telle L‘Histoire universelle des explorations, quatre précieux volumes que les étagères du bureau ont la bonne idée de porter. Ce qui permet de prendre un peu de vent des mers du Sud, quand le narrateur tourne un peu trop en rond dans sa cabine.
Bonne semaine
On aimerait être victime d’une bonne blague de PMB, qui est autorisé à réapparaître quand il veut dans cet atelier, sous la signature de son choix, Al Ceste par exemple. Mais les heures passant et les confirmations s’accumulant, il semble qu’il faille se résoudre à cette incroyable nouvelle : PMB s’en est allé fin octobre vers d’autres cieux depuis sa petite commune du Maine-et-Loire. Pour mémoire, on trouvera le lien sur son blog “Alceste un jour sur trois (ou quatre)” sur la colonne de droite, blog sur lequel on doit trouver les liens vers ses ouvrages auto-biographiques publiés à l’Harmattan. Livres qui témoignent d’un passage difficile et douloureux dans certaines écoles chrétiennes.
J’ai eu un échange privé récent avec PMB à propos du dictionnaire de la Mayenne en 4 volumes qui l’intéressait et que je lui ai fait passer par l’intermédiaire d’un ami bouquiniste. A aucun moment il n’a évoqué le moindre souci de santé. Je l’avais, par le passé, croisé à une ou deux reprises sur des marchés aux livres. C’était un grand gaillard barbu, bavard et chaleureux, avec qui il n’était pas difficile de s’accommoder. Les relations virtuelles ont ceci d’étonnant et de parfois déstabilisant qu’elles ne permettent pas de connaître la condition de nos interlocuteurs lorsque nous échangeons.
Quoi qu’il en soit, si la nouvelle est confirmée, ce que je ne souhaite évidemment pas, qu’Al Ceste – puisque c’est le pseudo qu’il avait choisi ici – repose en paix. Il n’aura plus jamais mal aux dents.
Dans le JDD, Louis XV présenté comme le petit-fils de Louis XIV… son arrière-grand père!
Agrrr que c’est agaçant! d’autant qu’on ne peut invoquer, en cas de doute, le manque de documents… à défaut d’un trou (monumental) de mémoire…
La première phrase -avant le point-virgule- à elle seule me ravit. Un “s” de plus et voilà notre Saintongeais parti à l’assaut (il connaissait le bougre, les champs de bataille, et les batailles tout court, voilà une écriture au galop!) des appellations les plus drôles, les plus inattendues, les patoisantes (paraît-il), les inventées…. pour “chuter” (procédé très courant, avant lui Montaigne y recourt souvent) sur deux expressions qui, à elles seules donnent le sel et la signification du titre…
Avec quelques modifications orthographiques (quelques hein… pas trop) cela devient très digeste, parce que très drôle, même pour de jeunes cervelles. Mais le déclamer sans reprendre souffle, en redouble encore l’effet hilarant.
“Si vous ne voulez point discourir de chauses si hautes, vous philosophez sur les bas de chausses de la cour ; sur un blu turquoise, un orenzé, fueille morte, isabelle, zizoulin, coulur du Roy, minime, tristamie, vantre de biche (ou de Nonain, si vous voulez), amarante, nacarade, pensée, fleur de seigle, grisdelin, gris d’esté, orangé, pastel, espagnol malade, céladon, astrée, face grattée, couleur de rat, fleur de pesché, fleur mourante, verd naissant, verd gay, verd brun, verd de mer, verd de pré, verd de gris, merde d’oye, jaune paisle, jaune doré, couleur de Judas, de verollé, d’aurore, de serain [1], escarlatte, rouge-sang-de-beuf, couleur d’eau, couleur d’ormus, argentin, cinge mourant, couleur d’ardoise, gris de ramier, gris perlé, bleud mourant, bleud de la febve, gris argenté, merde d’enfant, couleur de selle à dos, de vefve resjouie, de temps perdu, fiammette, de soulphre, de la faveur, couleur de pain bis, couleur de constipé, couleur de faute de pisser, jus de nature, singe envenimé, ris de guenon, trespassé-revenu, Espagnol mourant, couleur de baize-moi-ma-mignonne, couleur de péché mortel, couleur de crystaline, couleur de bœuf enfumé, de jambons communs, de soulcys, de désirs amoureux, de racleurs de cheminée. J’ay ouy dire à Guedron que toutes ces couleurs s’appellent la science de Cromaticque, et que doresenavant on s’abilleroit de couleur de physicque, comme de jambes pourries, de nez chancreux, bouches puantes, yeux chacieux, testes galeuses, perruques de pendus, et le tout à la mode, sans y comprendre les couleurs de Rhétorique, et m’a dit qu’il se falloit garder de la couleur d’amitié.”
in Les Aventures du Baron de Faeneste (Livre I, chap 2 : les moyens de paraître)
Merci M.Court pour ce rappel, en effet, on oublie tout, sauf les Tragiques, de l’œuvre de Théodore…
Là, vous touchez la différence entre Montaigne et d’Aubigné. En mutilant le texte, on peut faire du premier quelqu’un de présentable! Mais d’Aubigné, halte là! Sauf à étudier Faeneste, mais qui sait que c’est de lui?
Bien à vous.
MC
Désolée de revenir, mais j’ai osé, à l’instant, faire ce que je redoutais, cliquer sur le lien “Montaigne Superstar”! Monsieur Court, passez votre chemin, vous allez avoir une attaque…
Tout y est depuis les “thèmes qui nous interpellent encore aujourd’hui”, qui confirme non pas, à mon sens, l’actualité de Montaigne qui serait “trans-temps” en quelque sorte, mais plutôt qu’il n’y a pas de tant de diversité dans les sujets de méditation ou d’interrogation pour un homme honnête ; suivis des “conseils antistress” totalement ridicules, comme si Montaigne parlait (écrivait) à tout le monde, il a dit lui-même qu’il souhaitait n’être lu que par un petit nombre de ses proches, certes il a accédé à l’édition de son vivant, mais on n’est pas dans le Goncourt, ni dans les “à lire absolument” des sections “culture” de chez Leclerc… ; et bingo, les inévitables “ludique” et… “interactif” … ben voyons, Montaigne est un gars sympa… et ce qu’il écrit est tellement facile qu’on va bien rigoler, et surtout sans le moindre effort. Charitablement je passe sur “sexualité et genre” ou comment tromper le consommateur (oui, oui, c’est le même registre…) ; et je note, dans la même phrase “info”, “expo”, faudrait pas nous infliger des mots entiers, et … “bonus”, soit le cadeau dans le paquet de lessive ou le bonbon en chocolat, soit la remise de mon assureur pour bonne conduite.
Ben quoi, j’ai “bien le droit” moi aussi de m’amuser!
“ce qui ce faisait”…. ah!la!la! honte à moi : “ce qui se faisait…”
quel qu’en soit les plaisirs momentanés : quels qu’en soient….
(je me souviens avoir hésité entre le ou les plaisirs, du coup j’ai fait des désaccords…)
Ah! merci Philippe, pour la précision.
Je craignais un peu ce que pouvait bien cacher le “tourne un peu en rond”, me voilà rassurée. Ces pages que vous dites “très belles” sont vraiment surprenantes à plus d’un égard. Et sont franchement culottées. Ce qui m’a bluffée, et rejoint un peu ce que j’ai tenté de dire -et faire partager- sous l’autre fil, c’est l’inventivité à partir de presque-rien, et surtout de ce qui ne fait jamais l’objet d’un développement littéraire. Entre quelque chose comme “pendant ce voyage, j’ai horriblement souffert du mal de mer” -une phrase- et les pages ahurissantes de cet épisode qui prend 1/3 du livre, il n’y a…. que des mots. Mais quels mots! quels registres! quelles trouvailles! quelles astuces même! (et encore une fois, ce n’est pas un roman… et l’exercice -carnet de voyage- était une sorte de “commande”). Et en plus, c’est drôle.
En ces temps de couronnement à tout-va de livres dont on peut être sûr qu’ils ne marqueront pas l’histoire, quel qu’en soit les plaisirs momentanés de lecture par ailleurs, la rencontre d’un livre qui dérange, qui déstabilise par le traitement que l’auteur lui donne, est un vrai bonheur.
C’est une écriture sacrément gonflée, pour ne rien dire des trésors lexicaux, et pour les 1ère et 3ème parties surtout, de la qualité des références, des croisements, de la réflexion, et toujours en donnant l’impression au lecteur d’être intelligent sans effort… (Il faudrait aussi développer).
Vous vous doutez bien, Philippe, que j’ai grimacé devant le traitement, non point moderne, mais “moderniste” que d’aucuns ont trouvé bon de réserver à notre Gascon préféré. Ca doit être ça qu’on apprend dans certaines “écoles” genre marketing ou pub…. où comme on ne peut pas toujours faire passer le passé pour dépassé, on le rhabille au goût du jour, ce que Montaigne lui-même aurait détesté. Il n’y a aucun sens (dans tous les sens) à faire des outils du présent la mesure de ce qui ce faisait avant qu’ils n’existent….
Suis même pas sûre (suis pas sûre du tout) que faire passer Montaigne pour le premier blogueur est une formule suffisante pour faire entrer la génération censée “en être” à cette exposition (“Superstar”! mon Dieu, au secours…), à part, et je leur souhaite bien du courage, dans un exercice scolaire obligé, les valeureux profs qui emmèneront leurs classes la visiter, mais il y aura eu un travail en amont. Plus aucun lycéen ne lit Montaigne, et les enseignants peuvent faire l’impasse, ou se contenter d’un extrait d’une trentaine de lignes -le Chapitre “Les Cannibales”, toujours le même- à condition que ça ne dure pas trop longtemps, qu’on en profite pour demander “qu’est-ce que l’auteur a voulu dire -question que j’abhorre, il a dit ce qu’il a écrit, il faut donc travailler le texte non?-” et qu’on évite soigneusement les citations des Anciens…. le plus prudent pour la santé psychique du prof étant de parler d’autre chose que de littérature.
Il y a quelques jours à peine, un prof de Lettres de mes amis, a, pour la xième fois, tenté -élèves de 1ère L- de faire profiter d’une exceptionnelle présentation -y compris “interactive”- autour d’Agrippa d’Aubigné. Il n’a fallu que quelques minutes pour commencer à rechercher les premiers partis fumer une cigarette dehors pour échapper à “ces conneries”.
Montaigne bénéficie d’une meilleure image, serait-elle parfois réduite à peu de choses, il reste un “champion” y compris pour des gens qui ne l’ont jamais lu… mais je suis persuadée qu’on ne prête qu’aux riches, ou qu’on prêche à des convaincus. Et que se déplacer pour vivre un moment de recueillement intellectuel à cette occasion ne trouve pas sa motivation dans les images et les slogans présentés.
“Tourne une peu en rond dans sa cabine” : il eut été préférable de dire “vomit en rond dans sa cabine”. Très belles pages sur le mal de mer.