C’est l’une des gourmandises possibles du moment. Un petit livre malin, érudit et drôle qui ravira les amoureux de l’Italie, du quattrocento et de Florence. Un ouvrage empreint de cette élégance faussement désinvolte propre à l’Italie et aux Italiens.
Le prétexte est assez simple : lors d’une visite du couvent San Marco de Florence, transformé en musée national, un visiteur se retrouve enfermé dans une cellule de moine jadis décorée par Fra Angelico. Ce traducteur, en retard sur un travail en cours, saisit l’occasion pour mener à bien une traduction dans laquelle il peinait à se plonger, alors qu’au dehors la ville gronde, secouée par des manifestations hostiles au Cavaliere Berlusconi.
Ces quelques jours de flottement à la surface du temps – le musée reste fermé quelques jours pendant que l’Italie manifeste dans la rue – font la texture de ce livre étonnant. Ce n’est pourtant pas Kafka, plutôt Italo Calvino pour le côté loufoque ou Pirandello pour les emboitements d’identités.
Difficile d’en dire plus sur ce court roman, le premier d’un journaliste nantais, Yan Gauchard, publié aux éditions de Minuit, sinon que le ton est juste, l’atmosphère italienne remarquablement traduite et l’humour délicieusement distancié. Tout juste pourrait-on reprocher un brin d’aridité à ce texte taillé au cordeau. La côté Minuit peut-être, ou le travers du journaliste au souffle toujours un peu court quand il se lance en littérature. Mais les mystères du travail d’édition disent rarement ce qu’un roman doit à la patte de l’éditeur.
Il faudra sans doute attendre quelques années pour cela, comme l’a fait Jean Rouaud en racontant dans Un peu la guerre la genèse des Champs d’honneur, évoquant le “bricolage romanesque” auquel il avait dû se livrer pour voir son premier ouvrage publié par Jérôme Lindon. Jean Rouaud qui débuta également dans les couloirs de Presse-Océan, le quotidien où officie Yan Gauchard.
La presse n’est peut-être, finalement, pas une si mauvaise école d’écriture, pour peu que le journaliste s’affranchisse des lieux communs. Et la cellule de Fra Angelico ou Yan Gauchard nous enferme, et surtout la tête de Fabrizio Annunziato sont tout… sauf des lieux communs.
Mais Savonarole a laissé d’ultimes écrits forts pieux édités je dirais dans les années 1950! Ce n’est pas une raison pour lui pardonnner d’avoir brulé la Léda de Léonard, et quelques autres!
MC
De belles lignes, mais peu de lignes, sur “Le cas Annunziato” dans la Revue En attendant Nadeau, devenue depuis peu partenaire de Médiapart.
” La côté Minuit peut-être, ou le travers du journaliste au souffle toujours un peu court quand il se lance en littérature.”
Ça me rappelle un journaliste qui, chroniquant mon premier livre, lui reprochait d’être parfois trop bien écrit. A la réflexion, il n’avait pas tort, et je suis retourné remplacer “conglomérat lenticulaire” par “plat de lentilles” et “leur vespéral devoir galactique*” par “leur laitier devoir du soir”.
* J’avais trop lu Achille Talon, je pense.
(Quant à l’Italie, quel gouffre entre le Quattrocento et le Berluscono…)
” les amoureux de l’Italie, du quattrocento et de Florence.” dont je suis. Si j’ajoute que les éditions de Minuit sont un gage de qualité, cela fait quatre bonnes raisons de se rendre dans sa librairie préférée.
Mais… la lecture en sera, de facto, exigeante…. on ne se refait pas!
“La presse n’est peut-être, finalement, pas une si mauvaise école d’écriture, pour peu que le journaliste s’affranchisse des lieux communs.” Je ne souscris, Philippe, qu’à la seconde partie de votre phrase. Que le journaliste et les lieux communs entament une procédure de séparation, oui, il est temps. Mais je ne crois pas que, d’un point de vue littéraire, la presse soit une école d’écriture. Suis sûre, en revanche, qu’un journaliste doté d’une plume, d’une passion, et d’un rapport amoureux à l’écriture est un écrivain….
Suis en train de lire “Nêne”, d’Ernest Pérochon, Prix goncourt 1920…..
Ernest est Deux-Sévrien d’origine, du bocage du nord du département, le coin où historiquement les “dissidents” de la Petite Eglise, résistants au concordat se sont enracinés, (et existent encore dans un mode de vie très particulier, en voie de disparition, car ne font aucun prosélytisme, et vivent dans un secret absolu. Si Monsieur Court passe par là….pour une bibliographie ou des références, je prends…). Ce n’est pas le thème du livre, mais on les croise un peu. Je me régale de mots inconnus, peut-être du patois? gringacer, amignonner, gressoti…. pas encore approfondi l’aspect purement lexical.
Hum, en ces temps de rentrée littéraire voilà un livre où respirer et prendre du bonheur !
La cellule de Savonarole est à côté de celles “affresquées” par Fra Angelico. S’il y avait eu méprise, erreur d’hébergement, sur quel bûcher eut fini ce livre !