« Ignorer qu’on ignore, c’est ne pas savoir du tout. Mais savoir qu’on ignore, c’est vraiment savoir, car cela suppose de savoir tout ce qui est déjà su et d’être capable de détecter ce qui fait trou dans la connaissance. C’est croire savoir sans vraiment savoir qui constitue la vraie pathologie du savoir. C’est pourquoi, au fond, l’ignorance est la grande affaire des savants. Elle est le pays dont le savoir est le pays limitrophe. A ce titre, elle est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls ignares : c’est une affaire de spécialistes. (…)
Aujourd’hui, alors même que plusieurs centaines de particules ont été découvertes grâce aux accélérateurs du Cern ou ailleurs, les physiciens savent qu’ils ignorent la nature des éléments principaux du mobilier de l’univers : ils ont constaté que la matière telle qu’ils la connaisssent ne constitue qu’une part très faible du contenu de l’univers, et que tout le reste leur échappe. En somme, ce qu’ils ont appris leur permet de dire qu’ils en savent moins qu’avant, quand ils croyaient savoir. »
Extrait du Monde selon Etienne Klein, Champs, Flammarion.
C’est toute la différence entre les savants authentiques et les dogmatiques….
E.Klein, formé aussi à la philosophie, n’a pas oublié la leçon de Socrate. Mieux vaut être conscient de ses ignorances que dans l’illusion de pseudo-savoirs. Il y en a, qui feraient bien de s’en souvenir….
Les physiciens quantiques du début du XXème siècle (cf. E.K, l’affaire Majorana) étaient de cette trempe. La science, le savoir, ne sont pas des démarches pour avancer vers un but, comme le croyaient, à tort, les positivistes du XIXème, pour lesquels, arriverait le jour où l’homme pourrait dominer l’ensemble des connaissances sur le monde. Tout ce que le savoir ajoute au savoir, ne diminue pas ce qu’il reste à conquérir pour les savants à venir, mais l’augmente, au contraire. Or la doxa scientifique et l’opinion commune, envisagent toujours que les connaissances sont, et ont, une fin. Qu’il suffit juste de s’y mettre…. Entendre les préjugés que des élèves, même des étudiants, lambda, de séries scientifiques peuvent proférer sur ce qu’ils croient savoir! Il n’y a aucune offre épistémologique pour eux. Aussi, il ne faut pas s’étonner que la réflexion ne vienne que de quelques-uns, et que les autres ne sont que de puissantes (mais passives) machines à calculer ou à expérimenter.
(Après ce Monde selon Etienne Klein, lu dans la foulée de Majorana, en réserve, le Discours sur l’Origine de l’Univers, même édition, qui publie de très beaux textes de scientifiques)