Les écologistes auront réussi une prouesse remarquable à Notre-Dame-des-Landes : discréditer durablement la désobéissance civile. En soufflant sur les braises d’un conflit qu’ils savaient explosif, ils ont affaissé cette belle idée en lui retirant sa force première : la non-violence.
Certes, leurs responsables patentés se sont précipités samedi soir sur les plateaux de télévision pour s’indigner contre les exactions commises à Nantes ou à Toulouse. Mais il faudrait être sacrément angélique pour être dupe de ce double langage. Le communiqué envoyé ce dimanche 2 novembre matin à la presse par les « Zadistes », avec lesquels les « défenseurs » de l’environnement vivent, travaillent, occupent les lieux depuis plus de deux ans ne laisse d’ailleurs guère de doutes sur la question :
« Évidemment la presse accusera les « casseurs », des « groupes venus de l’extérieur », mais samedi dans les rues de Nantes, comme ailleurs dans nos luttes, nous faisons bloc. Il n’y a pas de « groupes radicaux » qui « s’infiltrent » dans les luttes. Il y a diverses présences unies dans une commune détermination. »
Cette ambiguité permanente entretenue entre les groupes, cette confusion des valeurs, risque fort de s’avérer redoutable à terme. Et les jeunes anges qui participent à ce joyeux bordel ne mesurent peut-être pas qu’ils jouent contre leur propre camp. L’extrême-droite se frotte évidemment les mains, qui déclarait dimanche soir engranger les adhésions à Nantes « pendant que les fils de bourges jouent aux révolutionnaires ».
Mais au-delà de ce naufrage politique, ce sont les luttes futures qui risquent d’être durablement entachées. Elles seront nécessairement frappées de suspicion et d’arrière-pensées anti-démocratiques et sectaires. Les écolos ont une grande responsabilité dans cette dérive, quoi qu’ils cultivent l’irresponsabilité comme un des beaux-arts, il faut le reconnaître.
La puissance publique (dont on va finir par se demander si elle ne se satisfait pas de ce petit jeu) n’en doit pas moins conserver son sang-froid et éviter de répondre à la violence par la violence. Il faut savoir arrêter une guerre disait l’autre.
Illustration lâchement piquée à mon ami Frap. http://frap-dessins.blogspot.fr/
Entre opposition physique et violence délibérée, il y a une nuance me semble-t-il. “Pour ma part, je n’emporte jamais d’acide pour pleurer mes morts” écrit aujourd’hui un confrère qui a couvert la manifestation. Je peux partager la remarque.
Quant au boulevard ouvert au FN, je vous souhaite d’avoir raison, mais j’en doute fort. Rendez-vous au prochain scrutin, même s’il risque d’être un peu tard pour s’indigner.
Comme toute chose, les “violences” exigent de la réflexion. Il ne peut y avoir ni glorification béate ni condamnation stérile. Je pense pour ma part que celle de samedi dernier n’étaient pas pertinentes, mais force est de constater que c’est l’opposition physique qui a permis d’enliser le dossier à NDDL. Et l’on doit une fière chandelle aux hommes et aux femmes qui ont eu ce courage, lors de l’opération César.
Si l’on reproche aux opposants d’être anti-démocratique et de ne pas respecter l’État de droit, comment expliquer dès lors que des experts valident leurs arguments à Sivens ou à NDDL ? Faut-il qu’il y est des jeunes qui risquent leur vie pour qu’on découvre au Testet que le barrage est entaché de multiples conflits d’intérêts ? Des opposants sont obligés de faire 50 jours de grève de la faim pour demander non pas l’arrêt du barrage mais la publication d’un rapport… sans succès. Car c’est bien l’incapacité des potentats locaux et du pouvoir en général a faire exister un vrai débat démocratique légitime qui cristallise les tensions et génère des conflits violents.
Quand à la question du FN, celui-ci ne grimpe pas parce que les gens adhère de plus en plus à leurs idées, mais bien parce que de plus en plus de monde s’abstient. Le PS ou l’UMP ne font plus recette, ce qui fait mécaniquement monté les scores du FN en chiffres relatifs (mais pas absolus). Je ne crois pas que les “casseurs” ait grand chose à voir là-dedans, mais bien plutôt le mépris des classe dirigeantes.
“L’union du nombre doit être stable et durable. Si elle se créait à seule fin de combattre un plus puissant pour se dissoudre une fois qu’il est vaincu, le résultat serait nul. Le premier qui viendrait ensuite à s’estimer plus fort chercherait de nouveau à instituer une hégémonie de violence, et le jeu se répéterait indéfiniment.”
On ne saurait mieux dire.
« L’union fait la force. » La violence est brisée par l’union, la force de ces éléments rassemblés représente dès lors le droit, par opposition à la violence d’un seul. Nous voyons donc que le droit est la force d’une communauté. C’est encore la violence toujours prête à se tourner contre tout individu qui lui résiste, travaillant avec les mêmes moyens, attachée aux mêmes buts ; la différence réside, en réalité, uniquement dans le fait que ce n’est plus la violence de l’individu qui triomphe, mais celle de la communauté. Mais, pour que s’accomplisse ce passage de la violence au droit nouveau, il faut qu’une condition psychologique soit remplie. L’union du nombre doit être stable et durable. Si elle se créait à seule fin de combattre un plus puissant pour se dissoudre une fois qu’il est vaincu, le résultat serait nul. Le premier qui viendrait ensuite à s’estimer plus fort chercherait de nouveau à instituer une hégémonie de violence, et le jeu se répéterait indéfiniment. La communauté doit être maintenue en permanence, s’organiser, établir des règlements qui préviennent les insurrections à craindre, désigner des organes qui veillent au maintien des règlements –des lois-, et qui assurent l’exécution des actes de violence conformes aux lois. De par la reconnaissance d’une semblable communauté d’intérêts, il se forme au sein des membres d’un groupe d’hommes réunis, des attaches d’ordre sentimental, des sentiments de communauté, sur lesquels se fonde, à proprement parler, la force de cette collectivité.
FREUD. Lettre à Einstein (1932)
Un très bon papier d’Eric Chalmel sur le sujet : http://etatsetempiresdelalune.blogspot.fr/2014/11/grenade-explosive.html
Pas le temps de développer non plus. C’est évidemment la question de l’usage de la force et de la violence qui s’impose, je n’aime ni l’une ni l’autre, dans la vie privée comme dans la vie publique. Qu’on ne me dise pas que c’est le cas de tout le monde, ce n’est pas vrai. La revendiquer et en appeler à elle ex abrupto, quelque soit la cause en quelque sorte, n’est évidemment pas ce qui fait débat. Mais c’est la vieille et authentique interrogation machiavélienne (portée dans un tout autre contexte) de savoir ajuster la fin et les moyens. Ce qu’on ne peut vérifier qu’a posteriori. Je crains que nos casseurs patentés, n’aient pas l’once de cet éclairage. Et, il va de soi que ce n’est pas un blanc seing que je leur délivre. Je condamne. Je condamne. Que cela soit clair. Mais, j’essaie de débrouiller les fils et d’en tirer quelques-uns, je voudrais pouvoir comprendre, en dépit de la nature incompréhensible de ce qui s’est passé. Quelle naïveté de ma part!
Pas le temps de développer aujourd’hui, mais deux choses ont motivé ce billet d’humeur : la question de la violence et la récupération de l’extrême-droite. Je fais partie d’une génération qui a fait de la violence une ligne de fracture. La violence est, de mon point de vue, le mode d’expression des faibles. Et en démocratie, la lutte non-violente est possible, même si cela demande un peu d’imagination (ce n’est pas un hasard si je fais ici référence à Thoreau) . Par ailleurs, je fais partie des gens qui n’ont jusqu’alors, jamais été effrayés par le Front National, au demeurant peu présent dans l’Ouest (encore que). Là je pense – la citation extraite est tirée d’un tweet du responsable du FN à Nantes samedi soir – qu’effectivement ces manifestations violentes à répétition vont conforter l’implantation de l’extrême-droite. Les prochains scores électoraux nous le diront, qui ne manqueront pas de tirer des cris d’épouvante de ceux-là même qui auront mis le feu au bien public.
Je me disais, traînant par là cet après-midi, tiens? personne n’ose se jeter à l’eau. Mais en même temps, je cherchais par quel bout j’allais moi-même prendre la chose, et n’ai pas trouvé. Je viens de regarder le lien. Le caméraman était physiquement près des forces de l’ordre, plutôt non provocantes, j’ai vu voler des pavés, des morceaux de verre et de vaisselle, c’est vrai que les robokops sont sacrément protégés et pas ceux d’en face. Mais voilà, c’est qui ceux d’en face?
Je cherchais ce qui aurait pu leur donner raison dans les analyses (oui, osons le mot) des penseurs (re-osons) qui me sont chers, mais rien, je l’avoue n’est venu valider cet étrange sentiment de ne pouvoir placer le curseur au bon niveau, entre le monopole de la violence légitime (désignation -plutôt mauvaise- de l’État par M Weber) et … quoi, justement? les convictions, les revendications, et même les colères justes? qui a et où est la mesure? Je ne suis pas en train de réinventer l’eau tiède, je suis sincèrement dans l’indécision et je n’aime pas ça. Non que j’aie quelque réserve envers ce qu’a dit Philippe, et dont je trouve le ton vraiment juste. Mais il m’arrive de penser que certaines causes se sont gagnées dans l’affrontement, parce que les États ne sont pas, par nature, par structure, et par fonction, en mesure de se substituer à, et surtout de comprendre ces forces irrationnelles qui sourdent et qui explosent, sans rapport parfois, ni sans proportion avec ce qui se jouent en l’instant, du coeur même des sociétés dont ils disent devoir maintenir l’ordre.
La “cause” ici -je veux dire en cet instantanéité de l’actualité- quelle est-elle? La protection réelle et sincère de certains lieux avec tout ce que cela induit de refus viscéral du mode de vie ennemi, la cause peut-être juste du point de vue de l’Histoire? rendez-vous dans 50 ans. Ou la cause est-elle dans quelque chose de plus confus, quasi psychanalytique, d’une révolte qui prend tous les prétextes pour raisons, pour n’avoir pas à se servir de sa raison justement. Et là, on est dans l’instinct, la loi du plus fort. Et je crains que dans un État plutôt bien organisé comme le nôtre, mais du point de vue de ses dirigeants paradoxalement plutôt foutraque dans ses choix, ses décisions, ses revirements, ses idées à courtes vues, celles de la prochaine mandature, sans parler de ses petits intérêts et collusions entre potes à tous les niveaux, je crains que, justement, la loi du plus fort ne l’emporte. Et pour le moment, elle est du côté de la force de la loi (en uniforme, casque et bouclier, la force policière) même si tout montre la nature déterminée et sans retenue, des jusqu’auboutistes d’une écologie que je ne reconnais pas.
Et dire que Gandhi a bouté les Anglais hors de l’Inde en restant assis (oui, je sais, c’est là que je me fais assassiner, au nom de la stérilité avérée des caricatures, notez quand même qu’en parlant de bouter les Anglais, j’aurais pu me saisir d’un autre exemple, je m’en suis abstenue!)
On ne manquera peut-être pas de me rétorquer, bon et maintenant tu fais quoi?
https://www.youtube.com/watch?v=CFj3oc7vTm0&feature=youtu.be