Rwanda : la guerre qui ne dit pas son nom

Sorte de Fabrice à Waterloo, il se trouve que j’arpentais l’Afrique des grands lacs en novembre 1991, au début de la crise Rwandaise, avec l’intention de poser mon sac sur les bords du lac Kivu. Visa refusé à Bujumbura, la capitale du Burundi voisin, j’ai dû me résoudre à survoler Kigali pour filer directement sur Entebbe, en Ouganda.

homme blancJe n’entends, depuis lors, jamais sans émotion évoquer le génocide qui s’est produit trois ans plus tard dans ce pays longtemps réputé pour être une région bénie des dieux. Et si l’heure est aujourd’hui à la Mémoire, il faudra sans doute encore un peu de temps pour que l’Histoire fasse la part des choses et permette d’établir les responsabilités dans cet effroyable déchaînement de violence. Trop d’acteurs sont encore en scène, de part et d’autre, à commencer par Agathe Habyarimana, la veuve du président assassiné, toujours réfugiée en France, et Paul Kagame, l’actuel président du pays. Trop d’intérêts inavouables sont encore en jeu.

Quelques éléments de contexte ne sont toutefois pas superflus, qui permettent à tout le moins de replacer ce drame dans son histoire et sa géographie. Et on sait à quel point Mitterrand, en particulier sur la fin de son deuxième mandat était obnubilé par l’Histoire.

Le Rwanda et le Burundi, issus du démantèlement d’une colonie allemande à la fin de la première guerre mondiale, ont longtemps été placés sous protectorat belge et étaient situés à la charnière du monde francophone et anglophone (entre le Congo Belge, aujourd’hui la RDC, francophone, et l’Ouganda anglophone). En 1990, le Rwanda et le Burundi étaient en quelque sorte des postes avancés de la sphère d’influence française en Afrique de l’Est, qui bénéficiaient d’une monnaie convertible en francs.

Mitterrand, qui connaissait bien son Histoire, avait en mémoire la crise de Fachoba, en 1898, qui, au moment du partage de l’Afrique, avait privé les Français de leur grand rêve – relier la côte occidentale à la côte orientale du continent – au profit des Anglais, lesquels souhaitaient, de leur côté tracer une verticale reliant l’Egypte à l’Afrique du Sud. Sa lecture du conflit Rwandais était une lecture géopolitique. Si le FPR, venu d’Ouganda, prenait le pouvoir à Kigali, le Rwanda allait, de son point de vue, inévitablement basculer dans la sphère anglophone, ce qui s’est d’ailleurs produit.

Ceci explique sans doute en partie l’aveuglement du vieux Président, qui n’a pas su ou voulu voir la préparation des événements du printemps 1994, même si, il est utile de la rappeler, l’armée française n’était plus présente es qualité au Rwanda au moments des faits puisqu’elle avait quitté les lieux en décembre 1993.

Une autre donnée est, me semble-t-il, à prendre en compte dans la lecture de ces événements tragiques : le contrôle des richesses naturelles de l’Est du Congo. Cette région est l’objet de convoitises de toutes les grandes compagnies occidentales. C’est en effet l’une des régions du monde les plus riches en métaux précieux et en terres rares. Il ne fait plus guère de doute que les rebelles qui contrôlent aujourd’hui cette région sont armés par le Rwanda de Kagame, qui tire là l’essentiel de son revenu.

Il est extrêmement compliqué de faire la part des responsabilités dans ce jeu à multiples acteurs et plusieurs échelles, où les grandes puissances jouent leur partition, en premier lieu dans le champ économique, continuant à ponctionner allègrement les richesses du sous-sol Africain. Mais on le verra dans les années qui viennent, l’enjeu linguistique n’est pas marginal pour les occidentaux sur un continent en pleine explosion démographique. Rappelons que la seconde ville francophone du monde est désormais… Kinshasa.  Et la lutte d’influence entre l’anglais et le français semble reprendre le la vigueur en Afrique, comme en témoigne l’étonnante étude publiée le mois dernier à l’occasion du sommet de la francophonie.

Illustration : L’homme blanc, éditions Joca Seria. Récit de voyage en Afrique de l’Est.

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