Les après-midi pluvieuses ont leur vertu. J’ai ainsi joué aux étagères musicales ce samedi ans le bureau pour faire un peu de place à la littérature, qui explosait dans ses deux petites armoires, et offrir un refuge décent aux documents de travail. Exit donc l’Histoire, qui a trouvé asile dans le couloir, pour faire place à la philosophie et aux essais, et ouverture des colonnes littéraires aux auteurs sans domicile fixe.
On devrait ranger sa bibliothèque au moins une fois par an, la dégraisser régulièrement, comme le note Helène Hanff dans son merveilleux petit livre « 84, Charing Cross Road ». Ce que je n’ai pas manqué de faire, en sacrifiant quelques kilos d’Histoire hérités de ma précédente vie de bouquiniste. Ce nettoyage a plusieurs vertus, la moindre n’étant pas de redécouvrir certains titres oubliés ou fossilisés sous quelque couche sédimentaire. Et puis le fait de modifier la géographie d’une étagère renouvelle le regard porté sur les titres lorsque, le soir, on cherche un brin de compagnie.
Sont ainsi remontés à la surface plusieurs ouvrages portés disparus depuis des mois, parmi lesquels un tout petit bonhomme de bouquin le Discours de la servitude volontaire de La Boétie aux éditions Mille et une nuits, et La presqu’île de Julien Gracq. Je suis ravi d’avoir retrouvé ce discours, inlassablement acheté puis offert, que j’ai cherché en vain à plusieurs reprises. Ce texte, nous dit la quatrième de couverture de cette édition en français moderne « analyse les rapports maitre-esclave qui régissent le monde et reposent sur la complaisance, la flagornerie et l’humiliation de soi-même ».
Pour peu que l’on accepte de transposer la tyrannie vers ce qu’il est convenu d’appeler – pour faire court- la société de consommation ou la société du spectacle (du pain et des jeux), ce texte n’a rien perdu de son actualité : « Mais les gens soumis, dépourvus de courage et de vivacité ont le cœur bas et mou et sont incapables de toute grande action. Les tyrans le savent bien. Aussi font-ils tout leur possible pour mieux les avachir. »
Je ne sais pas si ce discours peut parler aujourd’hui à un garçon de seize ans. Mais je vais essayer. Il a l’avantage d’être très court mais l’inconvénient de puiser ses exemples dans l’antiquité et demande un peu de souplesse intellectuelle. Mais sa force est d’avoir été écrit par un garçon de dix-huit ans, d’en conserver toute la fraîcheur et de faire de La Boétie une sorte de « Rimbaud de la pensée » comme le suggère Sèverine Auffret, la « traductrice » dans la postface. C’est osé, mais pas complètement infondé.
Illustration : bibliothèque maison, assemblage de planches de second choix teintées et cirées.
A lire ces extraits de La Boétie, je comprends que les “frangins” et les curés ne nous aient jamais parlé de cet auteur autrement que comme pote à Montaigne.
Merci pour les recommandations Pascale. Il s’agissait juste, ici, de relever la présence de ce malheureux exemplaire. Je tâcherai de me procurer la GF. Rapatrié le fonds sur les premiers pas de l’imprimerie, qui dormait au bord de la mer, et celui sur la Bretagne (temps magnifique aujourd’hui sur la côte). Content de ma nouvelle géographie et surtout d’avoir désormais à portée de main tout mon petit monde.
Demain, Paris. Bon début de semaine.
Mon œuvre préférée ! « Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. » Étienne de la Boétie dans “la servitude volontaire” ou “Contr’Un” 1549.
J’ai fait un “flop”, il y a peu, avec une petite chose, bien enlevée, légère et sérieuse tout ensemble, au titre prometteur pour un semblable client que votre ado, Philippe, “Descartes et le cannabis”. Une demi-heure de lecture à tout casser, un histoire sympa, mais inventée volontairement, par Y.Pagès, philosophe sérieux, sur une trame aux fils véridiques. Ou comment un Français (contemporain) installé aux Pays-Bas, tente de convaincre un compatriote de passage que Descartes, qui séjourna plus longtemps là-bas qu’en son pays d’origine, devait bien, de temps à autre fumer “l’herbe à Nicot”, d’arrivée récente dans les tavernes grâce aux navigateurs hollandais (dont les cordes des bateaux étaient de chanvre…. bien sûr!). Las! l’ado pourtant très fin et malin, lâcha l’affaire.
Je reviens au texte… Jolie l’expression et terrible à la fois -quasi à la fin, et non à la faim comme j’ai failli l’écrire!- de “mange-peuples” pour désigner le tyran.
Au si fameux chap. XXVIII du Livre I, qui fait Tombeau pour son ami, Montaigne a cette expression pour parler de leur amitié, il dit, cette “liberté volontaire”. L’histoire littéraire qui transforme trop souvent les mots en clichés et les livre en toute ignorance de leurs sources et de leurs contextes à ce qu’il convient d’appeler “la culture (scolaire?)” a retenu le célébrissime “parce que c’était lui…..” affirmation qui, en l’état, n’est pourtant que la dernière de deux repentirs de la main de Montaigne.
Je ne sais pas, Philippe, si le garçon de 16 ans auquel vous proposez de lire le Discours saura y trouver une raison de poursuivre au-delà des premières lignes. Et l’âge précoce auquel La Boétie écrivit ne fait pas de lui pour autant quelqu’un de juvénile. Pour le coup, les temps ont bien changé! A 16-18ans dans la première moitié du XVIè siècle, pour peu qu’on eût une famille qu’on dirait aujourd’hui “privilégiée” -ce qui était le cas de notre Etienne- on maniait depuis longtemps le latin -écrit et oral- toujours, le grec parfois, l’histoire ancienne, comme les nôtres aujourd’hui les BD… L’écart peut être trop grand. Mais l’indiscutable force de ce texte l’emporte toujours, j’en suis une victime consentante, volontairement soumise à ses lignes, qui font parfois oublier aux adultes que nous sommes, que nos désirs, non pas de lecture, on en est loin, mais de transmission, notre irrépressible désir d’éviter à quelques âmes bien nées de nos connaissances de gaspiller leurs talents, notre si compréhensible envie de voir en eux, ce qui, en nous, a pu faire choc -mais au fait, à quel âge pour nous? et dans quel contexte? tout cela qui fait enthousiasme et presque fièvre, peut aussi faire “flop” auprès dudit adolescent. Le risque est pluriel, dont celui d’assimiler inconsciemment ce qui est “vieux”, “ancien”, à ce qui est barbant…. et que cela fasse tâche d’huile et non pas tâche d’encre.
Pour l’édition…. allez, encore un petit effort.
Dans celles dont je dispose, je trouve la GF fort acceptable. Son Introd, plus de 100 pages! pour un texte de 40…. est de la redoutable S. Goyard-Fabre, une historienne de la philosophie qui faisait régner la terreur au Département de Philosophie de l’Université de Caen dans une autre vie. Heureusement que la douceur jerphagnonesque l’emportait. Le texte est dans un français moderne satisfaisant. Il est surtout suivi du texte du Discours, “tel qu’il apparut en sa première publication dans Le Réveil-Matin des Français et de leurs Voisins…..(je passe) A Édimbourg, Avec permission 1574”! appendice moins de 10 pages.
L’édition Payot “bilingue” -que je ne retrouve pas parce que c’est le foutoir ici dans le XVIème siècle et que, miracle, le GF était à portée de main avec Montaigne toujours sorti- bref, Payot est aussi vraiment, vraiment bien.