Quelle drôle de coutume que celle d’une « rentrée littéraire », à l’heure où il va falloir déserter le hamac pour se remettre à la table de travail. Au moment peut-être le moins propice de l’année pour s’aérer l’esprit. Quelle étrange manie que de vouer ainsi un culte à la nouveauté, la chose qui, par définition, se démode le plus vite.
Mais le commerce du livre neuf est ainsi fait que les ouvrages qui ne passeront pas la rampe à l’automne auront disparu des tables des libraires avant Noël. Et parmi ces nouveautés, bien peu auront la chance de disposer de l’artillerie lourde des grands éditeurs, de leurs bataillons d’attachées de presse, seront suffisamment armés pour franchir les lignes de défense des services « culture » de la presse parisienne. Celle qui donne le La, qui dit le bien et le mal, le bon et le mauvais.
Quelque chose est pourtant en train de changer avec l’avènement de la « société de recommandation » chantée par le philosophe Bernard Stiegler. Et ce quelque chose c’est tout simplement la sincérité benoîte de lecteurs anonymes, de critiques amateurs qui disent leurs enchantements ou leurs désillusions ici ou là sur l’océan numérique.
La critique littéraire n’est pas mon fort, et je suis, qui plus est, un piètre lecteur de littérature contemporaine – pensez, j’en suis à relire le voyage de Bougainville – . Pour autant, je connais, j’estime et j’aime le travail de quelques auteurs qui ont la faiblesse de travailler depuis ma chère province.
Et, comme ce blog a le plaisir d’être fréquenté par quelques amis journalistes, quelques libraires, quelques « prescripteurs » comme on dit, et plus généralement quelques bons lecteurs, qu’il me soit permis d’attirer leur attention sur deux romans qui paraissent ces jours-ci : Muette d’Eric Pessan (Albin-Michel) et Lucia Antonia, funambule (Zulma) de Daniel Morvan. Deux auteurs, qui sont, chacun dans leur registre, faits du bois dont on taille les authentiques écrivains. Pessan est un virtuose de la langue, Morvan un funambule de l’esprit.
Ces deux livres semblent provoquer un premier engouement dans les rédactions. Mais la route est sacrément encombrée pour franchir les colonnes des grands journaux, monter sur les tables des libraires et le temps compté pour exister à Strasbourg, Nice ou Bordeaux. Retenez donc ces couvertures et n’hésitez pas à feuilleter ces livres lors de votre prochain passage en librairie. Je ne prends pas grand risque à vous les recommander. Bonne rentrée.
Merci Pascale. Voilà qui va éclairer nos amis lecteurs. Escapade nantaise aujourd’hui pour un premier retour au réel. Bonne journée.
Je viens donc de lire deux titres de la “rentrée littéraire” en trois jours. Si je n’étais pas passée par là, ce n’aurait pas été le cas, puisque je ne souscris guère aux “réclames” seraient-elles littéraires, ou d’écriture. Réclame au sens commercial du terme, un “produit” qu’il convient de mettre en avant afin qu’il soit connu et en devienne même familier.
Je n’ai donc pas marché avec la jeune funambule et je ne sais pas pourquoi, car elle avait bien des qualités.
Muette, au contraire, j’ai marché. Dans tous les sens du mot. On me comprend si on lit le livre. Une écriture sans faute, je ne veux pas dire académiquement, quoique… mais sans faux pas (décidément la marche est la réalité et la métaphore de ce livre, comme le fil et l’équilibre étaient celles du premier). C’est rudement bien! et oui, Philippe, pari gagné. Cette adolescente est saisie comme par l’objectif d’une caméra qu’on aurait mise sur l’épaule. Ces quelques (?) jours de fugue sont les nôtres, ceux qu’on a rêvé de faire “pourvu” qu’on ait eu des parents malaimants, de ceux qui ne connaissent que les reproches, que la dureté. La voix italique -bis : on me comprend si on lit le livre- EST celle de ces parents-là, authentiquement restituée.
Une psychanalyse sauvage, mais efficace, permet de lire la fugue de Muette comme une expérience de Principe de Plaisir, sans cesse et forcément coupé par le double Principe de Réalité des voix parentales (surtout maternelle) , et des difficultés qu’elle rencontre, finalement et inévitablement. Mais on sait bien que toujours le Sur-Moi rattrape le Ça, la Réalité l’emporte sur le Plaisir, Muette sera ramenée entre deux gendarmes.
Muette aime la nature, faune et flore, la solitude, la liberté. Dans les mots, les rêves, les douleurs, les duretés et les tendresses de son âge (inconnu pourtant, mais déductible approximativement). Et l’auteur (nous) dit cela très bien. Comme l’ont dit, ou vont le dire, du moins je l’espère, les “critiques”, le ton et l’écriture sont justes. Et c’est à cette dernière phrase que l’on voit que je ne suis pas critique…
http://www.ouest-france.fr/region/bretagne_detail_-Saint-Malo.-Texte-de-Hubert-Haddad-style-versus-fond_40828-2194228_actu.Htm
En allant fouiller chez les Editions Zelma, celles de la funambule… et de saut en saut comme sur les pierres d’un ruisseau, j’ai trouvé ces lignes de Hubert Haddad. Ça donne bigrement envie d’y aller. Qui connaît? qui a lu? qui peut m/nous en dire un peu plus….une fois encore, j’avoue mon ignorance. C’est formidable internet, objet de connaissances immédiates et multiples qui ne fait que vous mettre face à vos béances, lacunes, abysses!
[Je ne m’ennuie pas un seul instant avec Mouche, et j’ai dépassé la moitié du livre.]
Vous me terrifiez Pascale. Il est vrai que Daniel Morvan est un rêveur qui oublie parfois son lecteur en cours de route (c’était une des faiblesse de son roman Mai 69, pourtant très attachant). J’espère que vous vous ennuierez moins avec Muette. Mais comme je n’ai lu aucun de ces deux livres (qui sont sortis cette semaine) je ne peux pas émettre un avis. Ce sont, quoi qu’il en soit, deux auteurs complètement différents. Eric Pessan est plus classique dans la forme. Mais a-t-il réussi son pari ? Se glisser dans la peau d’une adolescente en rupture, qui choisit de s’isoler totalement. Je suis curieux de connaitre votre sentiment. De voir si vous avez marché. C’est un gros enjeu pour lui, qui ambitionne clairement de percer dans la fiction (ce qui n’est pas le cas de Daniel Morvan, journaliste par ailleurs).
ah, je ne sais comment le dire….
Avec Lucia Antonia, je me suis ennuyée. Les quelques premières pages étaient séduisantes, jolies ai-je dit, hier, ce n’est d’ailleurs pas tout à fait pareil. Au fil (hommage à la funambule) des courts paragraphes, forme qui avait tout pour me plaire, j’ai perdu pied (hommage à la funambule tombée). Je n’ai pas trouvé ce que Lucia (me) disait. Entre récits, méditations, souvenirs, trop légers ou pas assez, trop rêveurs ou pas assez, je me suis égarée. Je n’ai pas tout saisi des paysages à peine esquissés ou des portraits trop vite achevés, je veux dire pas même ce voile de poésie qui excuse tout, voire de préciosité que je pressentais en commençant ma lecture, cette écriture “qui chuchote et qui souffre” mais qui n’a pas tenu ses promesses.. Et si j’écris à la première personne, c’est bien pour rendre compte d’un sentiment très personnel que cette rencontre ratée avec Lucia Antonia, et insister sur ma conviction profonde qu’il ne peut être généralisé.
Je vais ouvrir le Pessan, pour lequel l’expression “virtuose de la langue” me met l’eau à la bouche, et me fait retrousser les babines.
Bien sûr Pascale, et vous nous en direz plus. Apéro au soleil ici avec de Bretons de passage. Profitez bien des derniers rayons.
Aussitôt dit, aussitôt fait, c’est mieux que les amazones, les librairies de ville.
Les deux titres étaient là. J’ai commencé, -terrasse, bière pression, soleil à 30°, le sourire du serveur, tout cela à 20m de la librairie, ah! oui alors, chère province!- par la funambule. Deux ou trois raisons : plus court pour une pause-terrasse, monde peu/pas traité (le cirque) en littérature, formes brèves de l’écriture, quelque chose que j’affectionne.
C’est joli, joliment dit, je n’ai finalement pas tourné autant de pages que je le pensais, car j’avais oublié de compter avec le bavardage dudit serveur, pensez donc, un normand!
J’aime le fond d’écran à l’antique, l’histoire des liens familiaux, les liens tout court, une écriture qui chuchote et qui souffre. Oui, j’aime lire ces mots là.
Je repasserai quand j’aurai fini?
M’en fallait pas plus, j’y cours!
[Mais j’en profite pour dire, ici, mon dernier (au sens de récent) choc de lecture, j’espère ne pas me répéter, ce serait bien dans mon genre avec mes engouements : Gaëtan Soucy, La Petite Fille qui aimait trop les allumettes. 1) c’est en poche -chez Points 2) ce n’est pas un roman “de rentrée”, il a déjà une vie… 3) l’auteur a eu le mauvais goût de mourir il y a quelques semaines. Nous ne pourrons plus le lire, et il n’est pas de ceux qui ont plus de livres parus que d’âge. Canadien francophone.]