Il semble que l’on s’étonne ces jours-ci du fait que les services de renseignements américains soient en capacité d’intercepter les échanges numériques de l’ensemble de la planète. Est-il permis de s’étonner que l’on s’étonne ?
L’écrasante majorité des opérateurs est américaine, n’est-elle pas ? Qu’il s’agisse de tuyaux ou de services : Microsoft, Apple, google, facebook, twitter pour ne citer que les plus célèbres. Et que se passe-t-il lorsque nous effectuons une simple recherche sur google ? Cette recherche fait – et c’est magique convenons-en– le tour du web en quelques millisecondes. Va fouiner dans tous les recoins de la galaxie internet, parmi les milliards de données stockées dans de gigantesques fermes ou dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler les nuages de données, mais qui sont en fait d’immenses data-centers bien accrochés au sol, pour la plupart basés aux Etats-Unis.
Il suffit d’observer la pertinence des messages publicitaires qui nous sont délivrés pour mesurer à quel point la nature de nos recherches est décryptée en temps réel par l’industrie du commerce, avec le concours aimable des susdits opérateurs. Nos machines sont des livres ouverts, dans lesquelles les geeks peuvent venir pêcher à loisir, en utilisant les mêmes tuyaux que les nôtres, mais dans l’autre sens. On imagine facilement à quel point les spécialistes du renseignement peuvent capter nos conversations privées, plus aisément que les employés des PTT ne le faisaient par le passé en posant des bretelles de dérivation sur les lignes téléphoniques.
Ce n’est somme toute pas très grave, si l’on n’a pas l’intention de poser une bombe dans le prochain avion. En écrivant ce mot – bombe – il est d’ailleurs possible que ce blog s’expose à une visite impromptue. Il va falloir s’habituer les amis. Prendre conscience du fait que le progrès technique a toujours un prix, comme le dirait Jacques Ellul. Et ce prix est un rétrécissement de la sphère privée. Nous revenons, d’une certaine façon, au contrôle social des temps passés. Notre machine est un peu notre curé, notre confessionnal, mais à ciel ouvert.
Il y a deux façons de le prendre. En s’offusquant, en criant au scandale. Ou en restant philosophe, comme l’écrivain Eric Pessan : « Plutôt que de lire mes mails, la NSA ferait mieux de lire mes livres. »
Illustration : data-center google