Sur la route du nord-ouest, dans un repli de terrain masqué par la végétation, il est un site fabuleux, comme sorti d’une ère post-apocalyptique : l’ancienne usine sucrière de M’tansgamouji à Mayotte. A l’image de certains temples d’Angkor, la végétation a littéralement cannibalisé les bâtiments, détruits par un cyclône en 1898, composant un décor qui laisse pantois.
Des arbres on carrément poussé au sommet des murs, laissant apparaître une dentelle de racines sur les flans des bâtiments. La végétation s’est fondue dans la pierre pour composer un ensemble inextricable où l’on ne sait plus distinguer le minéral du végétal. Cette ancienne usine, construite en 1856, est, selon le Ministère de la culture, “l’un des sites les plus complets au monde de l’aventure sucrière à l’époque de la machine à vapeur.” Classé monument historique en 2016, il est pour l’heure laissé en l’état de ruine magnifique, noyée dans la malavoune.
C’est un paysage éblouissant, qu’on ne peut arpenter qu’avec de bonnes chaussures en saison sèche, infesté de moustiques et de crabes de terre en saison des pluies. Et il se porte très bien ainsi, témoignant de la puissance de la végétation quand elle a décidé reconquérir les espaces qui lui ont été dérobés. Mais ce site est en quelque sorte menacé par l’homme. Non par les Mahorais, qui ne manifestent qu’un intérêt distrait pour ce témoignage de la colonisation au XIXe siècle, mais par les fonctionnaires du patrimoine, lesquels semblent avoir décidé de le rénover et de l’aménager pour en faire une destination touristique. Il fait, par ailleurs, partie des sites choisis par la fondation de Stéphane Bern. Pourquoi pas me direz-vous ?
Le problème est que dans les quelques documents disponibles sur les projets en cours il n’est à aucun moment question de végétation. La seule préoccupation des institutions semble être le sauvetage des bâtiments et la reconstitution d’une unité de production de sucre comme il en existait dans les colonies au XIXe (sachant que Mayotte n’a jamais été une colonie au sens propre du terme mais un protectorat, où l’esclavage prenait des formes plus subtiles que la propriété formelle des hommes). On n’ose penser que cette oeuvre de la nature pourrait être sacrifiée sur l’autel de la mémoire industrielle. Mais on a un peu peur quand même.