Le chemin des écoliers entre le Trégor et le pays Nantais passe par Bécherel, la cité du livre perchée sur un éperon rocheux entre Rennes et Dinan. Mais s’aventurer sur les petites routes bretonnes un jour férié comporte un risque : celui de trouver portes closes dans le bourg médévial, en dépit de la trentaine de librairies installées à demeure. De fait, la majorité des échoppes étaient fermées en ce 1er janvier 2016. Par bonheur la cité a son gardien, le libraire du donjon, qui fume paisiblement au comptoir de l’une des plus anciennes maisons du lieu et permet aux quelques visiteurs égarés de trouver refuge, à l’abri du vent, dans une des boutiques les plus chaleureuses du village
Du poche au livre ancien, annonce l’enseigne. De fait, les trois grandes salles de cette boutique biscornue balaient un spectre assez large, du polar à deux euros aux reliures du XVIIIe. Comme chez tout bouquiniste, on ne vient pas ici pour chercher un ouvrage mais pour en trouver un, ou deux, ou trois… La nuance est importante. Qui n’accepte pas de se laisser surprendre ou tout simplement séduire par un titre, risque de sortir malheureux d’un tel endroit.
On s’expose certes à commettre des erreurs, à se laisser guider par une impulsion, mais il est rare qu’on ne sorte pas avec une perle ou deux, acquises pour quelques euros dans une édition confortable. Je me suis ainsi laissé emporter par un titre Le sac du palais d’été, un gros ouvrage relié toilé des années soixante au Cercle du nouveau livre, qui pourrait s’avérer une faute de goût. Ainsi, en lieu et place d’un récit de cet épisode historique immortalisé par la célèbre lettre de Victor Hugo au capitaine Butler, il semble plutôt s’agir d’une composition contemporaine un peu laborieuse, rédigée par un jeune diplomate, Pierre-Jean Rémy, qui obtint malgré tout le prix Renaudot pour cet ouvrage.
Content, en revanche d’avoir débusqué pour cinq petits euros, une des premières éditions de L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, du psychiatre américain Oliver Sachs, disparu en 2015, essai qui m’a été recommandé à plusieurs reprises. Même si, après quelques recherches sommaires on découvre que la publication des travaux de ce médecin a été contestée ici ou là. Une belle formule au passage “L’homme qui prenait ses patients pour une carrière littéraire.” Cela ne devrait pas m’empêcher de visiter cet énigmatique chapeau.
Mais revenons à Bécherel. J’avais enquêté il y a quelques années sur la création de cette cité, rencontrant la créatrice de l’association Savenn Douar qui avait impulsé le mouvement en1989. L’association puis la cité du livre ont connu depuis lors bien des tourments, bien des allées et venues de libraires et de bouquinistes, mais a finalement réussi à s’imposer et à tenir debout, s’enrichissant de relieurs, de galeries, de cafés-librairies… Comme un défi paisible à la modernité qui tourne de plus en plus à l’accélération stérile et à l’étourdissement.
Une vraie bonne idée pour 2016. Se donner un jour ou deux, à l’abri des rues encaissées de cette petite ville médiévale, pour se doter de quelques pages de bonheur possible, de quelques outils de réflexion, et pour aider ce fragile bastion à tenir debout face aux assauts de la pensée jetable et à la tyrannie de l’émotion calibrée.
Meilleurs voeux à tous.
Photos : DR.