On ne sait pas si 2015 sera plus chaude que 2014 mais, en tout cas, elle sera plus courte. Chaque année nouvelle est d’ailleurs plus courte que la précédente. C’est un lieu commun de dire que les années passent de plus en plus vite. Et ce n’est pas sans fondement.
Expliquons-nous : au terme de chaque année nous sommes plus vieux d’un an. Un enfant de neuf ans en 2014 en aura dix en 2015, une jeune fille de dix-neuf-ans en aura vingt, un retraité de la SNCF de quarante-neuf ans en aura cinquante.
Pour un enfant de dix ans, 2015 représentera un dixième de son existence. Chaque jour, chaque mois pèsera autant que chaque jour, chaque mois vécu chacune de ces dix dernières années. Pour la jeune fille de vingt ans, ce rapport passe à un vingtième, son année représentera le vingtième de son existence. Cette année 2015 sera déjà plus diluée dans son histoire, donc moins longue en valeur relative. Pour le retraité de la SCNF, cette dilution passe au cinquantième. Il aura déjà vécu à cinquante reprises les changements de saisons. Personne n’échappe à ce rétrécissement du temps. C’est tout simplement mécanique.
En revanche on peut échapper, me semble-t-il, au vertige que semble produire chez certains cette fuite éperdue du calendrier. Ce pourrait être ma façon de formuler mes voeux pour l’année à venir. Schopenhauer nous dit que nous faisons les choses sans les comprendre jusqu’à quarante ans, mus par une énergie, une volonté, des pulsions dont les ressorts nous échappent. Les quarante premières années de l’existence nous fournissent, selon lui, un texte, qu’il nous est loisible de lire et de décrypter, ou non, au cours de la seconde partie de la vie. Seconde partie qui ne serait donc pas sans intérêt pour qui se donnerait la peine d’essayer de comprendre ses propres ressorts. Période qui pourrait permettre, par ailleurs, d’observer avec distance et bienveillance les courants d’air du temps, les engouements du jour, les peurs du moment, sans pour autant s’affoler au premier accès de fièvre venu. C’est tout le malheur que je souhaite aux anciens jeunes et aux futurs vieux.
Illustration : DR
dans ce Samarcande-là, cette pâtisserie est tout sauf légère… Je finirai le plat, pas tout à fait indigeste, mais franchement très lourd. La narration la plus plate, voire la plus confuse l’emportant, sans une écriture, un style pour sauver l’affaire. Non vraiment. Chaque fois que je rate ainsi un choix -en l’occurence c’était un cadeau- je m’en veux.
Ah, les patisseries romanesques d’Amin Maalouf…
Bien à vous.
MC
Merci Elena. Content de vous retrouver ici, où vous êtes – toujours – la bienvenue. Cet atelier a la chance incroyable d’avoir des commentateurs de votre trempe qui prolongent les billets, ouvrent la réflexion avec pertinence, intelligence et sensibilité. Surtout ne vous éloignez pas trop en 2015. Et, bien sûr, meilleurs voeux à vous et aux vôtres. Comme à tous les visiteurs et les petites souris qui poussent la porte (une quarantaine chaque jour en 2014) et repartent… sur la pointe des pieds.
Je souhaite une bonne année 2015 et au-delà
— au polygraphe vaillant et bienveillant Philippe Dossal, que je remercie pour l’élargissement de mes horizons
— aux commentateurs qui m’ont bcp appris, directement (par l’intérêt, la précision ou la richesse des contenus) ou indirectement (par leurs différentes attitudes — car jusqu’au bout on n’a jamais fini d’apprendre à vivre)
Comme je l’ai fait ailleurs, je souhaite à ts ces vivants derrière leurs avatars sur blog (nettement moins carnavalesques ici), à ces êtres de chair et de sang dont je ne connais (& méconnais sans doute) que la projection partielle, de vivre de vraies joies ds le monde réel.
Et je demande à ceux que j’ai pu offenser, agacer ou ennuyer de bien vouloir me pardonner.
Je n’ai aucune prétention à la clarté en ces matières, mais voilà qui me fait penser au beau film d’Asghar Farhadi, La Fête du feu, qui se déroule ds l’urgence du dernier jour de l’année, la veille de Norouz.
Soupçons et manipulation du spectateur, ce qui se trame autour de la protagoniste (l’épouse, pas la tte jeune fille que l’on voit au début du film et sur la bande annonce, qui sera témoin et révélatrice involontaire, qui ns fera entrer avec elle ds l’enfer d’un couple).
Un extrait (davantage pour l’universelle solitude ds l’ambiance “Nouvel An” que pour refléter le film — en fait ce passage se situe vers la fin et constitue un véritable retournement)
https://www.youtube.com/watch?v=MvfsRze2tMg
Lu, dans Samarcande de Amin Maalouf la chose suivante : ( il s’agit du poète Khayyam) “Les trois premières années de son séjour ont été consacrées à l’observatoire d’Ispahan, il en a supervisé la construction, la fabrication du matériel, surtout il a mis en place le nouveau calendrier, inauguré en pompe le premier jour de Favardin 458, le 21 mars 1079. Quel Persan pourrait oublier que, cette année-là, en vertu des calculs de Khayyam, la sacro sainte fête du Norouze a été déplacée, que le nouvel an qui devait tomber au milieu du signe des Poissons a été retardé jusqu’au premier soleil du Bélier, que c’est depuis cette réforme que les mois persans se confondent avec les signes du zodiaque…. etc”. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment, pas du tout même, clair pour moi, mais fait écho à l’affaire du calendrier grégorien, cinq cents ans plus tôt.
Quant au bouquin lui-même, bof….
“Magnifique”, cette musiquette si peu variée de Landi, qui a surtout pour elle d’etre filmée dans les Ecuries de Versailles? Un tel avis révèle une conception des plus étranges de la musique. On comprend que Louis XIV ait fait un judicieux ménage de la musique italienne, s’il faut la réduire à ça!
Cela dit, Je sais gré de n’avoir fourni ni Savallerie lègère , ni Harnoncourterie historicisante. C’est toujours ça de pris!
MC
En fait, nous sommes d’accord. Et vous me permettez de mieux formuler les choses. Si je pense ne pas parvenir à faire ce que j’ai à faire, à écrire ce que j’ai à écrire, c’est que le sujet n’est pas mûr, que je m’y mets maintenant ce ne sera pas à la hauteur. Soit l’enquête n’est pas assez sérieuse, soit je n’ai pas assez phosphoré sur le sujet. Je suis donc pris dans une pince temporelle qui va m’obliger, un moment à sortir mon jus, et plus le délai de livraison approche plus la pression se fait grande.
Certes, certes, il n’en reste pas moins que j’ai signé deux commandes impossibles pour ce premier semestre les amis.
Mais bon, ce soir nous sommes autorisés à penser à autre chose. Belle et bonne traversée à tous vers l’an nouveau.
En effet, procrastiner c’est jouer avec le temps, comme on joue avec le feu, reculer jusqu’à ce qu’on soit dos au mur. Mais, selon moi, c’est aussi l’occasion, par une sorte de culpabilité positive et féconde, en ne cessant de penser à ce qu’on a reporté, de le faire mijoter, mariner, siroter ou siruper (qui n’existe pas). Du moins pour les travaux dits intellectuels. C’est peut-être -après les métaphores culinaires, les sportives- le marathonien contre le sprinteur. Ou l’inverse.
Fait si froid qu’un petit vin chaud, cannelle, épices, orange, girofle, sera le bienvenu….
Belle fin de journée!
Merci pour vos vœux.
“à quoi bon, de toute façon je n’arriverai jamais à faire ce que j’aimerais faire.”
C’est comme ça que vous voyez la procrastination, cher Philippe ? C’est intéressant parce que je la vois dans l’autre sens. Je procrastine parce que je sais très bien, au fond, que j’arriverai à faire ce que j’ai à faire dans la moitié, le tiers, le quart du temps qui m’est imparti. Je procrastine parce qu’il me faut un sentiment d’urgence en tout. Le fait d’avoir trop de temps pour quelque chose conduit à diluer ses efforts, à se perdre en chemin, à traîner, à oublier. Autant faire autre chose et ne s’y consacrer que quand il restera moins de temps, mais un temps limité, exactement à la croisée du suffisant et du nécessaire.
Autrement dit, pourquoi se précipiter dans le devoir aujourd’hui, alors qu’il reste encore tant de temps ? Et voilà l’épreuve repoussée, de jours en jours, de semaines en semaines, jusqu’à ce que, face au mur (du temps), je sois contraint de tout arrêter pour me consacrer entièrement à ce que j’ai reporté, par indolence et inconscience, depuis des semaines.
J’ai presque exclusivement fonctionné comme ça, quand j’étais plus jeune, à la limite de la pathologie (rédiger un mémoire de 200 pages dans les 8 dernières journées avant la date de rendu, commencer un devoir à 3 heures du matin pour le rendre à 8, etc.). Cela apprend deux choses : à être à peu près efficace et à bâcler (plus ou moins) honnêtement. Mais ça ne pousse guère à l’excellence, on ne se relit pas, on ne mature rien, etc. Et ça m’a sûrement nui “dans la carrière” comme dans la vie. Je lutte donc depuis quelques années contre cette tendance. Me connaissant, je me débrouille pour me fixer en tout des deadlines qui limitent tant mon immense paresse naturelle que ma tendance à la procrastination.
Sinon, bien d’accord avec Pascale, chacun travaille à la manière qui lui est naturelle et je ne suis pas certain qu’un procrastineur soit aussi efficace en étalant ses tâches des semaines durant qu’en s’y prenant, comme il y est accoutumé, à la dernière seconde…
Très belle (mais longue) citation de Gracq chez Paul Edel ce matin. Tout particulièrement la première phrase, en éclairage tamisé à la question du temps…
Merci Elena, c’est magnifique !
Homo fugit velut umbra — Passacaglia della vita:
https://www.youtube.com/watch?v=wpAxBZSXW28
— ma tanti auguri lo stesso!
(N.B. On remarquera que ténor & musiciens prennent avec bcp de philosophie la possibilité qu’une différence de vue qt à l’interprétation de ce morceau de St. Landi leur vaille une expédition ad patres)
Ce côté “à quoi bon, de toute façon je n’arriverai jamais à faire ce que j’aimerais faire.”
Ce n’est pas ainsi que je la vois, ni que je la pratique, la procrastination. C’est même presque l’inverse : autant faire ce que j’aime faire, d’abord, puis ce que je dois, ensuite, ce qui est juste anti-kantien… et me convient très bien. En fait, je crois que sur ce mot, il y a de plus en plus de gauchissement de sens, comme un certain nombre d’autres…. j’ai ma liste et mes obsessions, problématique, technologie et concept, qui sont au pinacle du mésusage, voire du contre-sens. Procrastiner, mais je le dis sans vérifier, juste sur des clignotements de mémoire, me paraît être la tendance à toujours remettre à plus tard (là nous sommes d’accord) avec la ferme intention de faire au dernier moment (là aussi) ce qu’on aurait pu faire en heure et en temps. D’aucuns y voient une possibilité que la chose ne se fasse pas (et alors là c’eût été “perdre son temps” que de l’avoir fait comme un bon petit soldat prévoyant, est-ce que vous voulez-dire?), d’autres la belle occasion (le beau risque, parce qu’en effet c’est très casse-gueule) de se dépasser, le délai ayant été mis à profit à engranger, méditer, cogiter, que sais-je encore… pour réussir. Le procrastineur n’a pas droit à l’échec, même pas à la médiocrité, il serait ipso facto jugé comme un irresponsable, ou pire encore….. (un phobique administratif ou autre!)
Mais à la fin, au sens strict, qu’est-ce que ça change? on pourrait même penser que c’est plus une question de caractère, de tempérament, que de vision du monde et de l’emploi de son temps. Façon de gommer la réflexion, car je ne crois pas avoir toujours été procrastinante, et bien sûr, je prêche le contraire aux plus jeunes! Et n’en suis pas très fière, d’autant que j’y mets des arguments très convaincants!
Beau rebond Pascale que l’évocation de ces trois semaines de temps qui n’existent pas en 1582 (et qui font que la révolution d’octobre a eu lieu chez nous en novembre puisque les Russes ont tardé pour corriger la dérive de leur calendrier). “Car [l’anecdote] nous rappelle que le temps, celui que nous mesurons pour mieux le décompter, n’existe pas, qu’il est invention humaine, arbitraire de raisonnements qui se pourraient juste reposer sur d’autres bases, sur d’autres axiomes, voire sur d’autres dogmes.”
Il est vrai que le temps est un thème inépuisable (et trop peu souvent interrogé me semble-t-il). Pour ce qui concerne la procrastination (dont je suis également une victime. Pensez-j’ai un manuscrit de 150 000 signes à rendre le 28 février et je peine à démarrer !), il me semble que c’est justement l’ombre écrasante du temps qui nous paralyse. Ce côté “à quoi bon, de toute façon je n’arriverai jamais à faire ce que j’aimerais faire.” La solution, évidemment, est de s’inventer des étapes. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire.
Quoi qu’il en soit merci pour vos voeux et belle année à vous.
J’y reviens, pendant que le temps passé entre les deux com, lui, ne revient pas….
” Les quarante premières années de l’existence nous fournissent, (…) un texte, qu’il nous est loisible de lire et de décrypter, ou non, au cours de la seconde partie de la vie. Seconde partie qui ne serait donc pas sans intérêt pour qui se donnerait la peine d’essayer de comprendre ses propres ressorts.”
Alors oui, cent fois oui… A tel point qu’il me semble que l’existence ne sert qu’à ça : expliquer ce qu’on en fait, alors même que c’est déjà fait, car on ne peut expliquer qu’a posteriori. Ou plutôt donner du sens. (Mais c’est avant qu’il eût fallu la donner et la trouver cette signification…. ça nous éviterait, des remords, des regrets, des erreurs dont certaines ont été déterminantes. L’écrivant, je mesure l’aberration métaphysique que je formule -Descartes est mon compagnon de travail en ce moment- je me dois de rectifier, éviter les erreurs et tout le tintouin ferait juste de nous des mécaniques sans le moindre intérêt!)
Mais, question subsidiaire, comment expliquer que ceux pour qui la question du temps est la seule qui vaille, dont je suis, soient aussi les rois et reines de la procrastination, c’est-à-dire du risque absolu de manquer le coche…. mais jamais abouti, toujours échoué, sinon, ils ne seraient pas procrastinateurs, juste un peu fainéants….
Ah! la question du temps! la seule qui oblige vraiment. La seule qui résiste. Car ce temps dont on dit qu’il passe, nous voit passer au contraire, et même trépasser, et lui reste. Les belles pages, noires et luisantes, de Pascal sur la question, (et au siècle passé de Jankélévitch) bien plus que les rabâchées mais néanmoins très judicieuses d’Augustin.
Je voyais, à l’instant, le titre d’un article dans un journal que je n’aime pas, mais le sujet m’est depuis longtemps connu. Montaigne y consacre une ligne, disons une phrase, c’est plus juste, et passe à autre chose. Il s’agit du changement de calendrier décidé par le pape Grégoire XIII en 1582, qui décide, pas vraiment d’un trait de plume puisqu’il s’appuie sur les calculs des savants de l’époque, d’avancer le temps d’une dizaine de journées, d’un coup! L’anecdote, aujourd’hui répandue, mériterait mieux qu’une reprise “folklorique”, je veux dire par là, gentiment factuelle .Car elle nous rappelle que le temps, celui que nous mesurons pour mieux le décompter, n’existe pas, qu’il est invention humaine, arbitraire de raisonnements qui se pourraient juste reposer sur d’autres bases, sur d’autres axiomes, voire sur d’autres dogmes.
Ces journées ne manquent pas, contrairement à la conclusion toujours rapidement donnée sur cette affaire, n’ont manqué à personne, seule une convention arithmétique (et astrologique) revue leur donne une nouvelle numération. Mais quel tremblement des cerveaux, quelle juste inquiétude sur quelque chose de totalement faux -la suppression d’un morceau du temps-!
Il reste que ce sentiment vécu parfois jusqu’à l’angoisse du-temps-qui-reste-et-se-rétrécit pour trouver un jour la coïncidence entre son point d’arrivée et sa fin, ce sentiment prégnant d’être à la fois sa propre et sa seule mesure, et d’échapper pourtant à la maîtrise de son existence, il reste que l’époque des voeux en est un signe éclatant, éclaboussant même. Car même si l’on arrive à tricher avec les dates anniversaires, en faisant effort pour les oublier et demander aux siens d’en faire de même, l’arrivée triomphale, dans les bulles, les lumières, la fête dehors, d’une année de plus en moins, nous rappelle tragiquement qu’on ne peut pas lutter contre l’inexorable. Sinon par la ruse. Et certaines sont très belles.
Aussi, plutôt qu’une “bonne année”, je choisis toujours de vouloir pour mes proches une “belle année”, bien convaincue que toutes mes volontés et mes désirs n’y pourront rien changer. C’est juste un signe, d’affection, d’amitié, d’amour, c’est selon. La vie se charge du reste. Vite, relire les Stoïciens. Montaigne. Pascal. Camus. Une coupe de champagne dans la main qui ne tourne pas les pages.
Belle année de mots, de lecture, à l’hôte et ses visiteurs!
Comme disait l’autre calamité: “Je vous souhaite mes vieux!” Le lapsus à sa beauté…