Il est possible qu’il s’imprime un peu de papier sur Mayotte au printemps écrivais-je dans mon dernier billet, en février. L’opération Wambushu (reprise) n’était alors qu’une lueur dans le regard du ministre de l’intérieur. C’est désormais parti, la presse hexagonale s’est emparée de l’affaire, qui semble se confirmer, et les rédactions parisiennes commencent à chercher des chambres d’hôtel pour leurs équipes fin avril. Pas simple au passage puisque les rares hôtels de l’île ont été en grande partie réquisitionnés pour les centaines de policiers appelés à intervenir, et qui sont déjà pour certains à pied d’oeuvre. En deux mots, l’opération Wambushu a pour objectif de « décaser » et d’expulser quelques milliers de résidents sans papiers, pour la plupart Comoriens, qui logent dans les bidonvilles qui surplombent le chef-lieu, Mamoudzou. Des logements insalubres, en tôle, qui abritent des nuées de mioches et font, de fait, courir un risque sanitaire majeur à l’ensemble de l’île. Notamment en prévision du manque d’eau potable lors de la saison sèche à venir. Mais c’est surtout la violence quotidienne de bandes de jeunes gens en déshérence qui motive aux yeux des élus Mahorais cette opération qu’ils appellent de leurs vœux depuis des mois.
Comment comprendre, depuis Paris ou Nantes, où l’on s’indigne légitimement de la préparation d’une telle expulsion industrielle, le décalage de perception entre Mahorais (les habitants de Mayotte) et métropolitains. Il faut pour cela se pencher sur l’histoire et la géographie des quatre îles qui composent l’archipel de Comores, dont Mayotte fait partie (1). A grands traits, Mayotte, île pauvre et peu peuplée, a été, durant de longues périodes, vassalisée par les souverains successifs basés sur l’île principale de l’archipel, Grande Comore. Les Mahorais étaient un peu considérés comme les ploucs de l’archipel. Misérables, peu éduqués, ils sont encore l’objet d’un certain mépris d’une partie des Comoriens. Il est d’ailleurs toujours étonnant, en prenant des passagers en auto-stop à Mayotte, de constater que les Comoriens parlent souvent un français plus pur, plus élégant, que la plupart des Mahorais, bien souvent illettrés. La colonisation n’a d’évidence pas laissé les mêmes traces sur toutes les îles.
Mais les Mahorais ont pris leur revanche dans les années soixante-dix, en se prononçant par référendum pour le rattachement à la France, contrairement aux trois autres îles. Revanche d’ailleurs conduite par des femmes, que l’on surnomme « les chatouilleuses ». Et depuis, Mayotte a vu son niveau de vie s’élever de façon spectaculaire. De l’île la plus pauvre, elle est devenue la plus riche, et de loin. Les Mahorais sont ainsi devenus plus royalistes que le roi puisqu’ils ont voté à 60% pour Marine Le Pen lors de la dernière présidentielle. Et ils ne se privent pas, désormais, de rouler dans de rutilantes Peugeot, de construire de belles villas en parpaing, alors que les Comoriens, soumis à un régime Islamique autoritaire, continuent à végéter sur leurs iles dans un paysage économique famélique et atone. Attirés par les lumières de Mayotte, les scooters et les mariages princiers des Mahorais, ils ont donc accouru en masse depuis une vingtaine d’années, provoquant une immigration clandestine stratosphérique. On considère que l’île abrite, au bas mot deux cent mille sans-papiers.
Pour compliquer un peu plus l’histoire, de nombreuses femmes Comoriennes sont venues accoucher à Mamoudzou pour faire bénéficier leurs enfants du droit du sol français. Les milliers d’enfants qui naissent chaque année à Mayotte peuvent donc revendiquer la nationalité française, mais pas leurs parents. C’est l’une des causes de la violence qui sévit sur l’île. Les parents renvoyés, les enfants sont livrés à eux-mêmes et n’ont d’autre recours que le vol ou la violence pour survivre. Et les Mahorais sont contraints de se barricader derrière les barreaux de leurs fenêtres pour ne pas être dévalisés, quand ils ne sont pas caillassés er rackettés sur les routes.
Ces éléments de contexte seront-ils mis en lumière par les journalistes qui passeront deux semaines sur l’île à filmer les bulldozers et les expulsions manu militari ? Ce n’est pas certain. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que cette opération est un non-sens absolu. Elle ne traite en aucune façon le problème au fond. Tant qu’un développement régional conjoint avec les Comores et Madagascar n’est pas envisagé, le problème ne fera que s’aggraver. Les Comoriens reprendront, dès la fin de l’opération Wanbushu, leurs kwasa-kwasa pour revenir à Mayotte grapiller quelques miettes du festin. Et les gamins perdus reprendront leurs machettes pour s’accaparer le téléphone portable de leur voisin. Mais on aura montré que la République savait gonfler ses muscles de temps en temps, on aura fait de belles images pour les télévisions, écrit de beaux papiers indignés dans la presse écrite et contenté les élus Mahorais pour quelques mois.
PS : (1) pour une lecture de l’actualité géopolique, on peut jeter un œil sur le papier précédent.