es premiers utilisateurs de Macinstosh se souviennent peut-être de leur divine surprise en déroulant le menu de polices de caractères proposé par ce petit engin, alors que les PC de l’époque, qui ne connaissait pas encore la souris, n’affichaient qu’une simple police calquée sur les machines à écrire. Un luxe étonnant, qui a depuis fait école et vraisemblablement participé à la sauvegarde de fontes en voie d’extinction, à l’image du Garamond, appelées à sombrer dans l’oubli avec la généralisation du traitement de texte. Nous devons l’étonnante richesse des polices de caractères sur les ordinateurs personnels à un moine trappiste du Nouveau Mexique, Robert Palladino, qui fut le professeur de calligraphie de Steve Jobs. Comme l’expliquait le fondateur d’Apple dans l’un de ses derniers discours, les cours de ce professeur l’avaient profondément marqué :
Le Reed College dispensait probablement alors le meilleur enseignement de la typographie de tout le pays. Dans le campus, chaque affiche, chaque étiquette sur chaque tiroir était parfaitement calligraphiée. Parce que je n’avais pas à suivre de cours obligatoires, je décidai de m’inscrire en classe de calligraphie. C’est ainsi que j’appris tout ce qui concernait l’empattement des caractères, les espaces entre les différents groupes de lettres, les détails qui font la beauté d’une typographie. C’était un art ancré dans le passé, une subtile esthétique qui échappait à la science. J’étais fasciné. Rien de tout cela n’était censé avoir le moindre effet pratique dans ma vie. Pourtant, dix ans plus tard, alors que nous concevions le premier Macintosh, tout cela m’est revenu. Et nous avons tout mis dans le Mac. C’était premier ordinateur doté d’une typographie élégante. Si je n’avais pas suivi ces cours à l’université, le Mac ne posséderait pas une telle variété de polices de caractères ni ces espacements proportionnels. Et comme Windows s’est borné à copier le Mac, il est probable qu’aucun ordinateur personnel n’en disposerait. Si je n’avais pas laissé tomber mes études à l’université, je n’aurais jamais appris la calligraphie, et les ordinateurs personnels n’auraient peut-être pas cette richesse de caractères. Naturellement, il était impossible de prévoir ces répercussions quand j’étais à l’université. Mais elles me sont apparues évidentes dix ans plus tard. »
Le New York Times a rendu hommage il y a quelque temps à ce professeur, mort en 2016 à 83 ans, hommage repris la même année par Télérama qui nous donne quelques précisions : Robert Palladino enseignait la calligraphie au Reed College de Portland de 1969 à 1984. Le jeune Steve Jobs était l’un de ses élèves dans les années 1970. C’est avec cet homme, dont le nom évoque à lui seul une ample garalde Renaissance, qu’il apprit à tracer les pleins et les déliés et prit goût à la typographie. Palladino lui enseigna en particulier l’art de définir le bon espace entre chaque lettre.
Cela peut paraître insensé, mais il est probable que sans ce bienheureux hasard dans le parcours d’un bricoleur de génie, nombre de fontes auraient été balayées par la révolution numérique, à laquelle ont progressivement succombé les imprimeurs. Mais le hasard c’est peut-être Dieu qui se promène incognito, comme le suggérait Théophile Gautier. Sait-on jamais.