“Il suffit de savoir que, dans les langues occidentales, on en est venu maintenant à employer le terme djihad dans le sens d’opérations meurtrières armées et que l’on emploie en français, même dans les milieux universitaires, le terme islamisme dans le sens de terrorisme. J’ajoute à cela qu’en Occident la plupart des mosquées sont financées par les fonds de cheikh wahhabites du pétrole et que ces derniers proposent une lecture salafiste rigoriste de la religion, qui contribue grandement à la dévaloriser dans l’esprit des Occidentaux. ” Ces quelques lignes sont extraites d’Extrémisme religieux et dictature, un recueil de chroniques d’Alaa El Aswany , parues dans la presse égyptienne entre 2009 et 2013.
Ces chroniques donnent toute la profondeur du malentendu en train de se propager sur la planète au bénéfice d’une secte religieuse bourrée de dollars qui impose une pratique locale archaïque (le Coran a un problème avec la modernité, ou plutôt certains interprètes du Coran ont buggé au XVIe siècle) en arrosant la planète avec ses chaines satellitaires. Ce recueil est un contre-champ précieux, puisqu’il invite à chausser les lunettes d’un musulman éclairé, doublé d’un grand écrivain, ouvertement hostile à la dictature comme à l’extrémisme religieux. Une ligne de crête périlleuse en Egypte. Alaa El Aswany n’hésite pas dénoncer l’hypocrisie mortifère qui s’est développée en Egypte sous l’influence – récente – du wahhabisme et le recul culturel que cette influence a provoqué. Il n’en dénonce pas moins les excès criminels de la dictature (sous Moubarak en l’occurrence), la corruption généralisée, qui conduisent une partie de la population au désespoir et jettent les jeunes gens dans les bras des extrémistes musulmans. Son premier roman L’immeuble Yacoubian est, de ce point de vue, particulièrement éclairant, où l’on voit un jeune homme injustement refusé dans la police finit dans la peau d’un terroriste.
Mais on ne peut évidemment réduire Alaa El Aswany à ce recueil. Les deux romans L’immeuble Yacoubian, et Chicago, que je viens de terminer, sont des bonheurs de lecture : intelligents, fins, assez chauds (ah la sexualité sous le voile !), et pénétrants dans l’exploration mentale des uns et des autres. en outre fort bien écrits (et traduits naturellement.)
Je découvre, à ma grande honte, cet auteur contemporain, qui nous parle du monde comme il va en jouant sur les deux visions qui s’opposent aujourd’hui et qui font la tragédie des musulmans (et la nôtre parfois). Il nous le dit sans prévention mais avec élégance. On a tellement besoin de clefs pour comprendre. Il se trouve que la librairie Vent d’Ouest m’a demandé d’animer un échange avec Alaa El Aswany, que n’avais pas lu auparavant (trop suspicieux sans doute avec la littérature contemporaine) dans le cadre du festival des littératures Atlantide à Nantes. D’un côté je suis tétanisé de l’autre impatient, j’ai des tas de questions à lui poser. On verra, mais avec des livres pareils, il n’y a pas vraiment d’inquiétude. C’est à la librairie Vent d’Ouest jeudi à 19h 30 si mes souvenirs sont bons.
Je serai le lendemain au Lieu Unique avec une jeune écossaise, Kerry Hudson, qui peint le sous-prolétariat écossais avec une énergie et une fougue contagieuses. Une petite fille chez les junkies qui trace sa route. C’est assez réjouissant. L’annonce est sur la col de droite si j’ai bien réglé le backoffice comme disent les pros. So long.
Extrémisme religieux et dictature, Alaa El Aswany, Actes Sud. Tony hogan m’a payé un ice-cream soda avant de me piquer maman, Kerry Huson, Philippe Rey.
Voilà donc deux lectures supplémentaires à mettre en attente. Merci.