“Pourquoi cette habitude de placer sur les étagères où s’accumulent, où s’empilent les livres, des photographies, cartes postales, des reproductions de tableaux ? C’est pour moi plus qu’une habitude, une nécessité, comme si je voulais qu’avant d’avoir accès aux pages imprimées des images soient là, comme si seule leur présence allait donner vie à ce qui autrement risquait de n’être qu’un discours, mots, lettres, peut-être même lettres mortes.
Ainsi, alors que les livres sont classés selon un strict ordre alphabétique, se créent des voisinages intempestifs. Voisinages voulus parfois : la photographie de Sartre fumant sa gitane papier maïs est placée à côté de celle de Flaubert avec sa bouffarde et ses bacchantes de Gaulois; celle de Sylvie Germain devant la Bible qui inspire ses personnages. Plus souvent les voisinages sont arbitraires ou étranges : Merleau-Ponty en short et en chemise grande ouverte, est à côté d’un Goethe plutôt compassé, prenant la pose du grand penseur; une photographie du jeune Valéry, col dur et yeux clairs, au visage illuminé, se trouve tout près du Cheval dévoré par un lion de Géricault; un dessin de Matisse qui, en quelques traits de crayon, nous donne à voir la grâce d’une femme pensive est accolé au portrait de quatre philosophes austères qui jettent un regard réprobateur sur une femme nue, alanguie, de Modigliani.
Quand je cherche un livre dans ma bibliothèque, je m’attarde d’abord un instant sur l’image qui le cache; non elle ne le dissimule pas, elle permet au contraire d’aller vers lui. Cette collection de photographies, de reproductions de tableaux ou dessins, constitue pour une part mon “musée imaginaire”. Mais je ne veux pas qu’il demeure immobile. Je le renouvelle de temps à autre, je puise dans mes “réserves”, j’en sors des cartes postales; achetées au cours d’un voyage ou que m’ont adressées des amis.
Alors mon paysage change et les livres s’animent, se réveillent. Dans une autre pièce, plus intime, sont fixées sur un mur les photographies de ceux que j’aime le plus au monde. personne ne peut les voir que moi. Elles représentent bien plus qu’un paysage. elles sont ma vie, la source fraîce de ma vie.”
J.B. Pontalis “Le Dormeur éveillé”.
Pour ma part les images ne sont pas devant les livres, elles les entourent, les accompagnent, leur répondent. Mais sans la présence de ces images, la bibliothèque me semblerait privée de vie. Sans La tour de Babel de Brueghel ou une facétie de Gil jourdan, Borgès ne serait pas tout à fait le même, Montaigne ne serait qu’un vieux crabe. Aujourd’hui fenêtre ouverte sur le printemps, festival de chant d’oiseaux. Du coup, reprise de Darwin, en écho à cette joyeuse lutte pour l’existence.
illustrations : pipe découpée je sais plus où, Le géographe de Vermeer, Albert Camus et sa clope.
les idées, Elena, peut-être, mais pas toujours, et pas toutes, idem pour les livres…
Dans la série Pinaillons pinaillons, je suppose que “facétie de Gil Jourdan” est un raccourci. Car si Libellule ou Croûton donnent dans la chose, volontairement pour l’un involontairement pour l’autre, le boss est plus sérieux qu’un pape !
Mais félicitations pour vos lectures. Comme je dis souvent à mes petits acheteurs et à leurs parents : une bonne BD vaut mieux qu’un mauvais roman, un Lucky Luke (Goscinny) qu’un Fantômette.
Mes livres, il y en a partout, sans ordre. Comme mes lectures, des Rivaux de Painful Gulch à la bio de Simone Signoret en passant par les vilaines choses que dit Voltaire sur les bons moines de Saint-Claude.
Vous me donnez l’occasion, Elena, de commenter le présence d’un ou deux objets présents dans le coin de bureau, photographié en bandeau (de temps en temps, il faudrait refaire la photo avec le même angle, pour voir comment les objets, les images bougent avec le temps).
Les petites voitures tout d’abord. J’imagine qu’il y en a moins sur les étagères des filles. Ici une 2CV, équipée pour le raid Afrique 1973, qui ne nous rajeunit pas. Et puis un taxi indien (noir au toit jaune) sur la pile d’enveloppes, une Hindoustan Ambassador, que les Indiens fabriquent encore. Invisible sur la photo, mais installée un peu plus loin, la dauphine jaune de Gil Jourdan, et puis un bus rouge à impériale, anglais évidemment.
La reproduction au centre de l’image sur le “muzungu” est le (la ?) Boddhistiva Vajrapani, provenant des grottes peintes d’Ajunta, toujours en Inde. Le bouddha surmonté d’un cobra à sept têtes à gauche vient, lui, du Cambodge.
Mais la place manque toujours pour afficher les images, les cartes postales, les reproductions que l’on aimerait avoir sous les yeux. C’est tout le plaisir que l’on éprouve à déplacer un objet, recomposer une étagère quand l’occasion se présente. Ne serait-ce que pour agiter la poussière de temps à autre.
(juste un petit mot en passant très vite ; plutôt question d’écriture que de lecture : prédication en cours).
Ce qui me plaît c’est l’environnement de ce billet, la correspondance entre ce que décrit Pontalis et la photo du bureau de Philippe …
Chez moi c’est encore plus encombré : reproductions, photos, petits objets — parfois choisis en rapport avec les livres rangés sur l’étagère, , parfois non (c’est alors la proximité, la fréquence selon laquelle cela me permettra de les avoir sous les yeux, qui priment).
Une vue de Sienne sur mon bureau, une autre sur le mur derrière l’écran de mon ordinateur et une reproduction plus grande que l’original de La fuite en Egypte du Beato Angelico (beaucoup d’accrochages bricolés aussi, style école maternelle)
Une reproduction de la Maestà de Simone Martini devant mes bibles. Une matriochka et une boîte russe sur l’étagère réservée à Jankélévitch dans une niche d’angle et juste en dessous, sur le mur, qq portraits de compositeurs (Bach jeune et non porcin, le portrait dit d’Erfurt — d’accord on n’est pas sûr que ce soit lui ; Haydn 3x) et de musiciens (Carlos Kleiber 2x, inévitablement Glenn Gould, en conversation avec Karajan — Gl. G jeune, décontracté, pas encore emmitouflé, debout, appuyé sur un bras, un peu penché vers son interlocuteur qui est obligé de lever les yeux pour le regarder, c’est sans doute ce qui m’a plu dans cette photo ; un petit dessin de Pancho, tout jauni, sans doute découpé dans un Canard enchaîné: deux musiciens de klezmer sur un toit — l’un disant à l’autre “un saxophone sur un toit, ce n’est pas très juif” et l’autre répondant “je sais, mais je culpabilise”)
Mais la situation de la reproduction d’une des fresques en trompe l’œil de Veronese pour la villa Moser (celle de Mme Barbaro avec la nourrice, un perroquet et un petit chien) devant Kant ne s’explique que par la nécessité de la placer en hauteur pour qu’elle puisse surveiller mon travail appuyée sur sa balustrade (et reproduire le dispositif spatial).
Pascale, elle, a les idées en ordre — j’admire mais je ne sais pas faire.
Incorrigible, j’ai poussé la porte de la librairie -mais quelle idée aussi d’avoir une librairie à moins de 300m?- j’ai rapporté : JB Pontalis : Le songe de Monomotapa ; H Pena-Ruiz (un nom pour les profs de philo) : Histoires de toujours ; M.Foucault : La grande étrangère ( sous titré : à propos de littérature). Vive les collections dites de poche pour les dégâts collatéraux côté compte en banque, c’est moins douloureux.
Calme et… calme, c’est bien ça Pascale pour Pontalis. Un autre extrait : “Que garde la mémoire dans son sac ? qu’est-ce qui la détermine à prélever dans l’immense territoire de notre passé ces quelques images, ces quelques scènes qui nous tiennent lieu de souvenirs , Parmi ces souvenirs, toujours plus ou moins remaniés, voire inventés, nous en privilégions quelques uns. Rares et d’autant plus précieux ceux qui sont attachés à nos premières années; guère nombreux ceux qui appartiennent à nos années ultérieures. comme nous les chérissons alors, comme nous les entretenons, qu’ils évoquent des moments de bonheur ou de souffrance, de triomphe ou de honte ! Ils nous tiennent compagnie et nous ne voulons pas qu’ils nous quittent. Nous leur rendons visite de temps à autre, quitte à les ressasser; ce que nous préférons c’est qu’ils surgissent à l’improviste, preive qu’eux du moins ne nous oublient pas.”
Darwin est un peu plus laborieux dans le texte que le souvenir laissé. Mais c’est malgré tout un plaisir que de voir un pensée se dérouler. Après les pigeons croisés à l’envers pour obtenir l’original, après le démontage en règle du classement illusoire des êtres vivants en espèces et en variétés, j’en arrive aux “rapports complexes qu’ont entre eux les animaux et les plantes dans la lutte pour l’existence”. Parfait à l’heure du thé après une séance de lutte pour l’existence d’un jardin pas trop échevelé.
bouououou….
Point d’images devant mes livres., c’est grave docteur?
En fait, l’espace demeuré vacant, juste devant, me sert à laisser tel ou tel sorti, voire ouvert, en cas de nécessité, de coup d’oeil rapide, d’usage intempestif…
Deux (petits) bustes de Grecs d’avant internet, made in China probablement, ont glissé leurs épaules entre Hippocrate et Diogène Laërce pour les retenir un peu de tomber. Le vieux crabe de Montaigne est lui, toujours devant, dans l’édition PUF, ma préférée, celle qui respecte les 3 tomes, l’écriture et la syntaxe du béarnais, avec des notes et des références en pagaille. Les autres éditions, Pléiade et Poche trainent comme un lève-tard du dimanche matin, quelque part, plus loin.
La bio de Darwin que j’ai retrouvée avance bien. Claire, nette, sans blabla, voire un peu simpliste, mais pour une ignare comme moi sur le sujet, c’est ce qu’il faut dans un premier temps.
Je viens de sortir deux Pontalis lus il y a bien plus longtemps : Ce temps qui ne passe pas et Elles. Je vais aller y (re)faire trempette. JBP est un auteur qui apporte calme et… calme.
C’était en passant….
et vous, autres passants, que lisez-vous en ce moment qui vous rende si silencieux?