Béatrice la grande

Béatrice Vallaeys passed away. Béatrice n’est plus et suis un peu orphelin, comme le dit fort justement une de ses amies. Béatrice est, en quelque sorte, ma maman en journalisme. Elle était un rêve incarné pour l’impétrant que j’étais en 1986 lorsque je débarquais à Libé, par la petite porte de la correspondance à Nantes. Une grande et belle jeune femme, ouverte, joyeuse, qui conjuguait simplicité, humour, autorité naturelle et pratiquait, sans avoir l’air d’y toucher, une subtile pédagogie. Elle adorait discuter encore et encore jusqu’à nous faire accoucher d’un angle, d’un mode de traitement et au final d’un article dont nous étions tous fiers écrit Jean Quatremer dans l’hommage rendu cette semaine dans les colonnes de Libération, où les témoignages s’accordent pour saluer la gentillesse, l’intelligence, le professionnalisme, la force de caractère mais aussi la jovialité, l’empathie de cette femme hors du commun, qui a marqué l’histoire du journal sans que les lecteurs décèlent le rôle qu’elle y jouait véritablement. Elle se gardait de la lumière. 

Béatrice Vallaeys, 21 février 1981, arrêt du journal ( © Photo Christian Poulin – 0175)

 

Nul besoin de jouer un rôle, la relation qui se nouait n’était pas formatée par le pouvoir, elle pouvait donner à un stagiaire la chance d’écrire l’enquête dont il rêvait et fermer la porte à un journaliste plus aguerri écrit Anne Diatkine dans cet hommage, soulignant la relation de confiance qui s’établissait spontanément avec elle pour peu qu’elle s’enthousiasme pour un sujet.  Cheffe du service Société, installée au milieu de ses ouailles sur le grand plateau de l’ancien parking transformé en rédaction rue Béranger, elle disposait d’une légitimité absolue à l’étage de la direction. Légitimité qui l’avait autorisée à m’embaucher sur un coup de fil, en 1987, après un an de piges, en court-circuitant toute la hiérarchie. Je ne savais pas à l’époque qu’elle faisait partie de l’équipe fondatrice du journal tant elle était discrète sur son parcours. Je mesure aujourd’hui tout ce que je lui dois et je regrette, comme souvent en pareil cas, de ne pas avoir trouvé l’occasion de lui avoir dit.

Nous avions, toutefois eu l’occasion de nous saluer ces dernières années par l’intermédiaire d’un éditeur commun, Henri Dougier, où elle avait publié Résurrection de l’Hermione à peu près en même temps que sortait mon Réenchanteur de ville dans la collection Le changement est dans l’R. J’étais très fier de signer un bouquin dans la même collection que cette grande dame, une de ces rares personnes qui vous marquent pour la vie. Repose en paix Béatrice, tu as semé un nombre invraisemblable de petites graines, sans  toujours t’en rendre compte, comme en témoignent aujourd’hui tous tes amis, tes poussins, qui continueront à te faire vivre par delà le temps. On pense à toi.