Les bouquinistes étaient en petite formation ce mardi sur le marché aux livres de Nantes, mais la pêche s’est révélée fructueuse et la balade plaisante dans les rues de la ville, en compagnie d’un garçon de douze ans, peu familier de la grande ville. “L’hiver a été très dur” commente Antoine, l’un des piliers du marché, “et il va encore y avoir des victimes cette année”. L’un des spécialistes des monographies historiques a ainsi annoncé qu’il fermerait boutique en 2013, après avoir rédigé un ultime catalogue. “Sa clientèle traditionnelle, essentiellement composée d’universitaires, s’est évaporée sur internet”.
Nous n’en avons pas moins fureté sur les stands et le fiston a porté son choix sur une compilation de Bob Morane, où son regroupés trois titres. Curieusement ce n’est pas le nom du héros, qui a séduit le garçon mais la titre d’une chanson consacrée à ce proto Indiana Jones, dont il connait les paroles par coeur. Le père n’en a pas moins été ravi de ce choix qui l’a replongé dans les délices de l’adolescence, à l’époque où il dévorait, sur son lit, les jambes battant la mesure, les aventures de ce héros aux cheveux en brosse, confronté aux manigances de l’insaisissable Ombre jaune.
Ce devait être l’époque où les profs l’invitaient à lire Maupassant, cet auteur désuet qui l’ennuyait à mourir avec ses histoires de paysans bourrus, de sortilèges et d’intrigues bourgeoises. Il faut croire que les temps ont changé puisque l’ado aux cheveux désormais gris a débusqué avec bonheur une édition complète des Contes et nouvelles du sorcier normand qu’il cherchait depuis des lustres. Une édition étonnante, en deux volumes, sorte de pléiade du pauvre, reliée cuir, en papier bible sortie par les éditions Albin Michel dans les années soixante. Quinze euros les deux volumes en parfait état, avec jaquettes sous emboitage. Une misère.
Certes, cette collection est un peu moins travaillée que la pléiade, et ne propose pas d’appareil critique. Tout juste quelques notes en bas de page pour préciser le vocabulaire puisé dans le registre normand et quelques locutions régionales, mais ce n’est pas gênant. La lecture de Maupassant se passe volontiers de notes érudites (même s’il n’est pas inutile de savoir que Maupassant était imprégné par la philosophie de Schopenhauer), comme j’ai pu le constater, assis dans la rue, en dégustant les premières nouvelles, alors que le garçon était absorbé, dans une boutique de jeux à peindre une figurine, à l’invitation d’un tenancier malin. Du coup, perdus dans nos univers respectifs, nous en avons oublié d’acheter le carton à dessin que nous étions venus chercher en ville. Peu importe, nous étions un peu en voyage ce mardi dans la grande ville, goûtant ensemble ces premiers jours de vacances sans nous soucier de l’heure, et nous sommes revenus lestés d’aventures qu’il ne sera pas déplaisant découvrir dans les jours à venir sous le soleil campagnard.
Dans la Préface au tome 1 de l’édition Pléiade : “la religion du regard servi par le mot juste” (A.Lanoux)
Et dans l’Introduction qui suit “”L’un des spectacles auxquels s’attache le plus volontiers Maupassant est celui qu’offre la Normandie. C’est le pays d’enfance, ce qui ne veut pas nécessairement dire le pays du bonheur. L’écrivain est lié à cette terre par des liens physiques. Parce qu’il l’a parcourue, en touts sens, depuis son enfance, elle constitue le cadre naturel d’un grand nombre de contes parmi les plus célèbres. Des confins de la Picardie au Cotentin, du Havre à Argentan, il en évoque tous les visages.” (Louis Forestier)
Et voilà aussi pourquoi on aime Maupassant….