La relecture à froid d’un long texte, sur lequel on a planché plusieurs mois, travaillant nécessairement par fragments, met cruellement en lumière nos faiblesses. Je viens ainsi de me livrer à la relecture panoramique du petit livre (en fait pas si petit : 13,5 x 19,5 cm) écrit ces dernières semaines, et le défaut de fabrication qui m’est apparu la plus voyant est la visibilité des chevilles, qui permettent d’emboîter les phrases.
Il a donc a fallu faire la chasse aux « ainsi, de fait, en effet, en outre, en revanche, par ailleurs, paradoxalement, de sorte, en conséquence… » qui m’ont sauté au visage comme des têtes de clous sur une chaise de menuisier. Ces chevilles ne sont, évidemment (hum), pas inutiles. Elles servent à mieux articuler le texte, et d’une certaine façon à le fluidifier, à faire couler une phrase dans une autre, sans douleur, sans heurt. Mais, comme en toute chose, le trop est l’ennemi du bien.
Ce doit être un tic de journaliste. Contrairement à ce que certains imaginent peut-être, la plupart des papiers sont écrits sur un mode démonstratif. Le journaliste choisit un angle, après avoir réalisé son enquête, et une fois cet angle choisi, s’emploie à illustrer, à détailler l’information première, déclinée en trois niveaux au début de son article (titre, chapeau et accroche). D’où l’utilisation fréquente d’adverbes ou de locutions commodes qui permettent de rebondir d’une phrase sur l’autre, de les emboîter, pour conduire gentiment son lecteur vers la chute. « Un papier, une idée coco » c’est la règle.
Le problème est que sans ces chevilles, le paragraphe peut se disjoindre et se transformer en assemblage bancal. Il faut donc trouver des voies détournées, reprendre l’ouvrage, bien souvent au-delà de la phrase coupable. Parce que chaque coup de rabot peut remettre en cause l’équilibre de l’ensemble. C’est la raison pour laquelle l’intervention d’un correcteur qui ne connait pas le texte est toujours bienvenue.
Après quelques relectures amicales, c’est désormais le cas. On n’imagine pas le nombre de relectures nécessaires pour parvenir à un texte abouti. Il n’en reste pas moins, toujours ou presque, quelques coquilles, quelques répétitions disgracieuses. C’est à la fois la limite et le charme du travail d’artisan.
Non, Pascale, c’est une erreur. Les commentaires sont une fonction par défaut que j’ai oublié de décocher sur ce billet. Mais puisque le coup est parti, laissons-le.
Je me doutais bien que ma façon de présenter les choses n’était pas très académique, mais c’est ainsi que je les ressens. Merci pour ce prolongement.
Vous êtes revenu au commentaire sous le mot du jour?
Ce que vous appelez des chevilles, Philippe, ne sont souvent qu’artifice au service de la lecture de notre propre texte, dans notre tête, je veux dire. Elles font souvent pléonasme. Écrire, par exemple, quelque chose d’évident, qui va de soi à première lecture, n’a pas besoin du secours d’un “évidemment” ou d’un “bien sûr” qui coupe l’élan de la phrase. La nécessité ne s’impose que si elle fait style, si elle produit un effet. Je ne sais pas si c’est un tic de journaliste, c’est, à mon sens une contamination par l’oralité, pas celle des conversations ordinaires, mais celle des exposés, des débats,des échanges, où le poids de la conviction doit se faire sentir. User, dans ce cas, des “chevilles” est important (et là je viens d’effacer un “alors” totalement inutile en début de ma phrase) Sinon, seule leur valeur logique doit l’emporter.