Il va bientôt être temps d’ouvrir les volets de l’atelier et de se pencher à nouveau sur la table de travail. L’été aura eu la double vertu de faire refroidir la température du lieu, qui s’était exagérément élevée en juin à l’évocation de quelques péripéties professionnelles de l’artisan, et de régler leur sort à quelques ouvrages qui patientaient sur les rayons de la bibliothèque.
L’été aura aussi permis d’effectuer quelques réglages techniques qu’auront peut-être relevés les familiers. L’atelier y a gagné en sobriété et va ainsi se préserver des marques trop visibles d’échauffement. Ainsi les compteurs de consultation sur les réseaux sociaux ont-ils disparu, qui témoignaient un peu trop abruptement de la différence de fréquentation entre sujets d’actualité et chroniques plus intemporelles. La préoccupation principale n’est pas ici quantitative.
Venons-en aux lectures de l’été. Elles reflètent le vagabondage de l’esprit que l’on s’accorde lorsque l’on est dégagé de toute contrainte. Enfin de toute contrainte, pas tout à fait, puisque le jeu était de piocher parmi les ouvrages présents dans la bibliothèque. Seule exception, le petit Proust bleu qui trônait sur tous les comptoirs des libraires cet été.
Côté littérature nous pouvons nous enorgueillir de la découverte de Colette avec un délicieux bouquin De ma fenêtre, chronique déliée de la vie parisienne pendant la guerre. Beaucoup plus subtil que ne le laissait imaginer une espèce de prévention idiote contre l’auteur. Ensuite Le Hussard sur le toit de Giono. Parfait roman de hamac : touffu, haletant, enlevé, presque brouillon, que je rangerais sans doute inconsidérément aux côtés des Racines du ciel de Romain Gary, lu en juin, ou des Cavaliers de Joseph Kessel. La préoccupation était plus régionale avec Béatrix de Balzac, qui se déroule à Guérande. Mouais. Un peu trop imprégné de romantisme à mon goût. Dans le registre, Balzac souffre de la comparaison avec Jane Austen, mais le second volume de la Pléiade attendra Noël. Tentative avortée enfin d’achever Un prêtre marié de Barbey, trop noir, trop désespérant pour l’heure. Ajoutons une bande dessinée, offerte par les enfants, sur le voyage de Bougainville, qui m’a permis de découvrir l’existence d’une jeune botaniste embarquée clandestinement sur l’un des navires et qui s’avère, après vérification, être la première femme à avoir effectué le tour du monde. Nous y reviendrons.
Côté essais, ce fut l’été Spinoza. Avec dans un premier temps le Spinoza, une philosophie de la joie, de Robert Misrahi puis le Spinoza de Alain. Incapable de lire philosophe dans le texte mais pressentant quelques atomes crochus avec le personnage, je ne suis pas mécontent de commencer à entrevoir la vision du monde du personnage. Et pour achever cet été, retour à Borgès, toujours avec autant de plaisir. Une prochaine chronique sera consacrée à son essai sur le style.
Commandé également quelques bouquins à la librairie La Plume, dont les références traînaient dans mes carnets : La consolation de la philosophie de Boëce, Shantaram de Grégory David Roberts et un contemporain espagnol, Javier Cercas, Anatomie d’un instant. Une commande très décousue, convenons-en, mais qui n’a d’autre vocation que de peupler la bibliothèque pour les longues soirées d’hiver.
Bonne fin de vacances à tous. Elles s’achèvent en Bretagne si l’on en croit certain adage, qui tend à se vérifier cette année « A Brest, il y a deux saisons : le quinze août et l’hiver ».
La Consolation de Philosophie de Boèce est un “classique” du genre allégorique. J’ai, en des temps très lointains, traduit et commenté les Traités Théologiques du même, le genre de demande que pouvait faire un Maître d’Université à l’un(e) de ses étudiant(e)s en mal d’occupation cérébrale, mais pas de passion antique. Quelle corvée, vraiment! depuis, il y a une excellente traduction et édition chez GF. Si j’avais pensé que les Traités et leurs considérations sur la Trinité du Dieu unique, et autres délicatesses liées au nestorisme y arrivassent un jour! C’est quand même assez particulier… mais consolant, si je puis me permettre, de me dire que tout cela est accessible hic et nunc au prix d’un paquet de cigarettes….
Je souhaite, Philippe, que votre découverte de Colette ne s’arrête pas là, et que vous franchissiez le pas de lire Spinoza dans le texte, il ne faut pas trop procrastiner, car tant de commentaires entourant le grand homme, ils finiront par vous livrer une boule à facettes au lieu de la vraie figure du philosophe. D’autant que les essais et les appareils critiques sont toujours plus pertinents à consulter a posteriori, une fois imprégné de l’oeuvre.
Le Prêtre Marié, en effet, ce n’est pas une sinécure, et même pas une cure. J’ai fini par le finir, il y a bien des semaines maintenant, et, oui, il faut le dire, il y avait parfois quelque chose d’héroïque à poursuivre, mais, de si belles noirceurs aussi!