“Au moment où nous commençons à inscrire dans notre mémoire une trace de ce que nous avons vécu, certains des réseaux de cellules nerveuses qui composent notre cerveau se transforment en inscrivant en nous ce souvenir. Et ainsi, de manière apparemment paradoxale, c’est notre capacité même à devenir autre, à nous transformer, sans même le ressentir, à mesure que nous vivons des expériences nouvelles, qui nous permet de nous souvenir de ce que nous avons vécu.
Ce qui ne nous transforme pas ne nous laisse pas de souvenir. Et pour cette raison, de manière apparemment étrange, si nous sommes capables de nous souvenir de ce que nous avons vécu, c’est parce que nous ne sommes plus les mêmes que lorsque nous l’avons vécu. C’est parce que nous sommes devenu autre. Je est un autre, disait Rimbaud. Toute mémoire, tout souvenir, est la ,preuve vivante que je deviens constamment autre. Que nous devenons constamment autres.
Nous sommes faits de mémoire et d’oubli. Et cette part d’oubli – cet oubli partiel de nos transformations permanentes – joue probablement un rôle important dans la préservation, tout au long de notre existence, de notre sentiment d’identité et de continuité.
Les réseaux de cellules nerveuses qui nous permettent aujourd’hui de reconnaître sans étonnement notre visage dans le miroir ont changé de manière subtile – s’adaptent progressivement aux modifications que le passage du temps a causées, dit Antonio Damasio. Si nous savons que c’est notre visage – que c’est de nous qu’il s’agit -, c’est parce que nous avons en partie, confusément, oublié que notre visage a changé.
Tout souvenir qui émerge à notre conscience émerge d’une reconstruction. Se souvenir implique, au niveau cérébral, une réelle opération de recomposition, à partir de la mobilisation de traces multiples, discrètes, morcelées, réparties dans de nombreux réseaux de cellules nerveuses dispersés à travers différentes régions de notre cerveau.
Et ainsi la mémoire est non seulement la preuve vivante que je deviens continuellement autre, mais aussi que ce je émerge en permanence d’un nous.”
Sur les épaules de Darwin, Les battements du temps, Jean-Claude Ameisen, Les liens qui libèrent, p173, 174.
Ne sachant où laisser ces quelques mots, je me mets là. Je viens de regarder le film L’Aéroport et moi. Pas mal du tout dans l’esprit, l’ambiance. Sauf le donneur de leçon parisien dont le bavardage suffisant est à la limite du ridicule, et dont je ne vois pas bien la pertinence dans le choix plutôt judicieux du réalisateur : montrer à voir la perplexité.