Moment de plaisir ce dimanche au salon du livre de Guérande. La compagnie d’Eva Nodari, qui vient de publier un délicieux recueil de poésies érotiques, a enchanté cette après-midi automnale où les auteurs de Bretagne et d’ailleurs avaient rendez-vous dans le joyeux brouhaha de l’espace Athénor.
Pour être franc, je redoute un peu ce genre de manifestation, où les auteurs sont alignés derrière des tables comme autant de bêtes curieuses auxquelles on n’ose pas adresser la parole. N’étant pas un adepte de l’apostrophe anonyme, je passe en général le plus clair de mon temps à lire et à bavarder avec mes voisins, en attendant le passage de quelque lecteur fidèle ou de quelque connaissance en promenade dominicale. Mais les livres du Petit Véhicule, avec leur reliure « à la chinoise », cousue main, leur facture artisanale, ont ceci de plaisant qu’ils intriguent le passant et suscitent la conversation.
Et puis, nous approchons des fêtes de fin d’année, ce que je n’avais pas intégré, toujours en retard d’un train. Et ces jolis petits livres, pour peu que l’on prenne le temps d’en présenter l’argument, obtiennent dans ce genre de circonstance, où l’on se laisse volontiers séduire par un bel objet, un succès qui peut ravir l’éditeur. Sans compter que cela contraint les auteurs à extraire la moelle de leur travail pour le présenter en quelques phrases. Même si comme le dit facétieusement Daniel Morvan dans Lucia Antonia funambule, « j’écris pour me taire ».
« Découverte géographique, voyage initiatique, parcours littéraire… ». Il n’en faut pas moins parler un peu et se résoudre aux formules lapidaires pour présenter ses ouvrages, en résistant à certaine forme de facilité qui voudrait que l’on évoque plus avant la relation père-fils parcourant chacun des récits. Mais ma charmante voisine, traductrice dans la vie, m’a en quelque sorte libéré, en évoquant avec élégance et retenue un travail autrement plus intime.
L’une des qualités des petits éditeurs est de suivre ses auteurs, de les accompagner dans le temps, de faire vivre leurs livres. J’ai constaté avec plaisir ce dimanche, où la nouvelle édition de La Moto bleue, vêtue de rouge, a obtenu un succès comparable au Royaume de Siam, que ces récits étaient bien vivants et que certains lecteurs se réjouissaient de les offrir à l’occasion des fêtes. C’est un beau cadeau pour l’auteur.
“l’âme soeur que nous savons bien ne jamais pouvoir trouver parmi nos contemporains…” seriez-vous en colère contre les dieux Donat, pour tenir pareil propos ? Il faut quand même laisser leurs chances à nos contemporains.
De qui cette citation (que je cite de mémoire et donc à peu près) :
“Un écrivain, c’est quelqu’un à qui parler.”
… et qu’importe s’il est mort depuis des siècles, si son oeuvre nous trahit l’âme soeur
que nous savons bien ne jamais pouvoir trouver parmi nos contemporains…
“Les Roms le savent bien, qui errent en rond depuis des siècles”
Voilà bien une opinion de sédentaire !
de Hubert Haddad, dans Géométrie d’un rêve (Poche) ces lignes qui croisent en abyme, et le voyage et l’écriture :
“J’aime cette image de Barbey d’Aurevilly : “Qu’est-ce en général qu’un voyageur? C’est un homme qui s’en va chercher un bout de conversation au bout du monde.” Ce fut mon cas chaque fois que j’ai bouclé sac à dos ou valises. Quand la parole vous manque ou vous est interdite, l’exil s’impose. Les Roms le savent bien, qui errent en rond depuis des siècles. Le romancier prendra la phrase de Barbey au pied de la lettre : véritablement, un individu, plutôt sédentaire mais sujet depuis quelque temps à la mélancolie, attrape un avion pour Kyoto ou Sydney, avec pour seul objectif de parler à quelqu’un, homme ou femme.”