Archives mensuelles : septembre 2018

Eloge du pas de côté

La troisième édition du guide S’installer à Nantes sort le 20 septembre dans ses nouveaux habits. Changement de maquette, en effet, pour cet ouvrage mis à jour au printemps. L’animal se prend des petits airs de Lonely Planet avec son papier mat et son iconographie épurée. Cette nouvelle maquette est indéniablement plus élégante que la précédente. Félicitations à Cécile, qui s’est chargée de cette troisième édition, en prenant soin de ne pas trop faire soufrir l’auteur.

Il est parfois surprenant de relire un texte quelques temps après sa rédaction. Je découvre ainsi, au hasard de l’avant-propos qui présente la ville, une pastille consacrée à L’éloge du pas de côté, la statue de Philippe Ramette installée sur la place du Bouffay pour l’édition 2018 du Voyage à Nantes, et je réalise que j’ai pris la liberté de considérer que cette statue allait rester en place, à tout le moins pendant la durée de vie de cette édition, de l’ordre de trois ans. Or il s’agissait a priori d’une oeuvre éphémère appelée à quitter la place à la fin de l’été.

Certes Jean Blaise avait trés tôt émis le souhait que cette statue, qui illustre la philosophie du Voyage à Nantes, une intrusion d’oeuvres décalées dans l’espace public, reste en place, mais rien n’était gagné. Rien n’est encore gagné, la décision finale échoit à Johanna Rolland, maire de Nantes. En évoquant sa présence, je me suis en quelque sorte permis de lui donner une existence pérenne, me prêtant au jeu qui prévaut depuis quelques années à Nantes et qui veut que ce soit le public qui décide si une oeuvre doit ou non rester en place, à l’image du terrain de football circulaire installé au bout de l’île Feydeau, désormais inscrit dans le paysage.

Que ma chère éditrice se rassure, c’est la seule facétie que je me suis permise dans cette mise à jour. Gageons qu’il s’agira d’une prophétie autoréalisatrice, parce que cette oeuvre, d’une géniale simplicité, traduit parfaitement à mes yeux l’esprit de la ville. 

 

Le moine, la lettre et le macintosh

es premiers utilisateurs de Macinstosh se souviennent peut-être de leur divine surprise en déroulant le menu de polices de caractères proposé par ce petit engin, alors que les PC de l’époque, qui ne connaissait pas encore la souris, n’affichaient qu’une simple police calquée sur les machines à écrire. Un luxe étonnant, qui a depuis fait école et vraisemblablement participé à la sauvegarde de fontes en voie d’extinction, à l’image du Garamond, appelées à sombrer dans l’oubli avec la généralisation du traitement de texte.  Nous devons l’étonnante richesse des polices de caractères sur les ordinateurs personnels à un moine trappiste du Nouveau Mexique, Robert Palladino, qui fut le professeur de calligraphie de Steve Jobs. Comme l’expliquait le fondateur d’Apple dans l’un de ses derniers discours, les cours de ce professeur l’avaient profondément marqué :

Le Reed College dispensait probablement alors le meilleur enseignement de la typographie de tout le pays. Dans le campus, chaque affiche, chaque étiquette sur chaque tiroir était parfaitement calligraphiée. Parce que je n’avais pas à suivre de cours obligatoires, je décidai de m’inscrire en classe de calligraphie. C’est ainsi que j’appris tout ce qui concernait l’empattement des caractères, les espaces entre les différents groupes de lettres, les détails qui font la beauté d’une typographie. C’était un art ancré dans le passé, une subtile esthétique qui échappait à la science. J’étais fasciné. Rien de tout cela n’était censé avoir le moindre effet pratique dans ma vie. Pourtant, dix ans plus tard, alors que nous concevions le premier Macintosh, tout cela m’est revenu. Et nous avons tout mis dans le Mac. C’était premier ordinateur doté d’une typographie élégante. Si je n’avais pas suivi ces cours à l’université, le Mac ne posséderait pas une telle variété de polices de caractères ni ces espacements proportionnels. Et comme Windows s’est borné à copier le Mac, il est probable qu’aucun ordinateur personnel n’en disposerait. Si je n’avais pas laissé tomber mes études à l’université, je n’aurais jamais appris la calligraphie, et les ordinateurs personnels n’auraient peut-être pas cette richesse de caractères. Naturellement, il était impossible de prévoir ces répercussions quand j’étais à l’université. Mais elles me sont apparues évidentes dix ans plus tard. »

 Le New York Times a rendu hommage il y a quelque temps à ce professeur, mort en 2016 à 83 ans, hommage repris la même année par Télérama qui nous donne quelques précisions : Robert Palladino enseignait la calligraphie au Reed College de Portland de 1969 à 1984. Le jeune Steve Jobs était l’un de ses élèves dans les années 1970. C’est avec cet homme, dont le nom évoque à lui seul une ample garalde Renaissance, qu’il apprit à tracer les pleins et les déliés et prit goût à la typographie. Palladino lui enseigna en particulier l’art de définir le bon espace entre chaque lettre.

Cela peut paraître insensé, mais il est probable que sans ce bienheureux hasard dans le parcours d’un bricoleur de génie, nombre de fontes auraient été balayées par la révolution numérique, à laquelle ont progressivement succombé les imprimeurs. Mais le hasard c’est peut-être Dieu qui se promène incognito, comme le suggérait Théophile Gautier. Sait-on jamais.