Archives par étiquette : langue française

le français : une altération composée

Trois caractères distinguent nettement le français des autres langues occidentales : le français bien parlé ne chante presque pas. C’est un discours de registre peu étendu, une parole plus plane que les autres. Ensuite : les consonnes françaises sont remarquablement adoucies, pas de figures rudes ou gutturales. Nulle consonne française n’est impossible à prononcer pour un Européen. Enfin, les voyelles françaises sont nombreuses et très nuancées, forment une rare et précieuse collection de timbres délicats. (…)

Si la langue française est comme tempérée dans sa tonalité générale; si bien parler le français c’est le parler sans accent; si les phonèmes rudes ou trop marqués en sont proscrits, ou en furent peu à peu éliminés; si, d’autre part, les timbres y sont nombreux et complexes, les muettes si sensibles, je n’en puis voir d’autre cause que le mode de formation et la complexité de l’alliage de la nation.

Dans un pays ou les Celtes, les Latins, les Germains, ont accompli une fusion très intime, où l’on parle encore, où l’on écrit à côté de la langue dominante une quantité de langages divers, il s’est fait nécessairement une unité linguistique parallèle à l’unité politique et à l’unité de sentiment. Cette unité ne pouvait s’accomplir que par des transactions statistiques, des concessions mutuelles, un abandon par les uns de ce qui était trop ardu à prononcer pour les autres, une altération composée.

Paul Valéry, Regards sur le monde actuel, Images de la France, pléiade 2, 1001.

 

Le français est un alliage

“Si la langue française est comme tempérée dans sa tonalité générale ; si bien parler français c’est le parler sans accent ; si les phonèmes rudes ou trop marqués en sont proscrits, ou en furent peu à peu éliminés ; si, d’autre part, les timbres y sont nombreux et complexes, les muettes si sensibles, je n’en puis voir d’autre cause que le mode de formation et la complexité de l’alliage de la nation. Dans un pays où les Celtes, les Latins, les Germains, ont accompli une fusion très intime, où l’on parle encore, où l’on écrit, à côté de la langue dominante, une quantité de langages divers, il s’est fait nécessairement une unité linguistique parallèle à l’unité politique et à l’unité de sentiment. Cette unité ne pouvait s’accomplir que des par des transactions statistiques, des concessions mutuelles, un abandon pour les uns de ce qui était trop ardu à prononcer pour les autres, une altération composée. (…) paul valéry

 La clarté de la structure du langage de la France, si on pouvait la définir d’une façon simple, apparaîtrait sans doute comme le fruit des mêmes besoins et des mêmes conditions ; et il n’est pas douteux, d’autre part, que la littérature de ce pays, en ce qu’elle a de plus caractéristique, procède mêmement d’un mélange de qualités très différentes et d’origines très diverses, d’autant plus nette et impérieuse que les substances qu’elle doit recevoir sont plus hétérogènes. Le même pays a produit un Pascal et un Voltaire, un Lamartine et un Victor Hugo, un Musset et un Mallarmé. (…)

Ici se placeraient tout naturellement des considérations sur ce que la France a donné aux Lettres de proprement et spécialement français. Il faudrait, par exemple, mettre en lumière ce remarquable développement de l’esprit critique en matière de forme qui s’est prononcé à partir du XVIe siècle ; cet esprit a dominé la littérature pendant la période dite classique, et n’a jamais cessé depuis lors d’exercer une influence directe ou indirecte sur la production.

 La France est peut-être le seul pays où les considérations de pure forme, un souci de la forme en soi, ait persisté et dominé dans l’ère moderne. Le sentiment et le culte de la forme me semblent être des passions de l’esprit qui se rencontrent le plus souvent avec l’esprit critique et la tournure sceptique des esprits. Ils s’accompagnent, en effet, d’une particulière liberté à l’égard du contenu, et coexistent souvent avec une sorte de sens de l’ironie généralisée.”

 Paul Valéry, Images de la France, 1927 (pl. vol 2, 1001)

série d’été, première publication en novembre 2013