Les tomes 2 et 3 de L’histoire de ma vie de Casanova dans La Pléiade sont annoncés pour le 13 mai prochain. Ci-dessous, la chronique publiée à l’occasion de la publication du premier volume en 2013.
Le passage à la postérité est parfois facétieux. Monsieur de la Palisse est victime d’une chanson écrite à sa gloire de combattant (un quart d’heure avant sa mort, il était encore en vie), Machiavel était un diplomate éclairé que la postérité a fait machiavélique, et Casanova reste l’archétype de l’infréquentable séducteur, ce dont il se défendait avec indignation. Tout cela ne serait pas très grave si cela ne provoquait de coupables préventions à l’égard de l’un des plus grands textes du XVIIIème siècle.
« Je considère les Mémoires comme la véritable encyclopédie du XVIIIème siècle » écrivait Blaise Cendrars, en évoquant l’Histoire de ma vie de Casanova. Ce texte est, de fait, un monument littéraire, du calibre des Mémoires de Saint-Simon, des Confessions de Rousseau ou des Mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand. C’est à la fois la confession d’un aventurier vénitien, tour à tour religieux, militaire, musicien, diplomate, espion… et homme du monde, un récit de voyages à travers l’Europe, de Londres à Constantinople, de Naples à Amsterdam, et un témoignage unique des mœurs de l’aristocratie et de la société au siècle des Lumières. C’est aussi un ouvrage philosophique, imprégné des théories de l’époque. De Montaigne à Voltaire, il avait lu tous les philosopohes qui nourrissaient ses contemporains. Le tout est écrit dans un français incroyablement délié, teinté de quelques délicieux italianismes.
Le puritanisme du XIXème siècle ne pouvait tolérer la liberté de ton de Casanova, qui ne s’embarrasse pas, il est vrai, de périphrases pour raconter ses frasques, et il nous aura fallu attendre plus de deux siècles pour – enfin – disposer du texte original, acquis en 2010 par la Bnf, et dont la Pléiade vient de publier le premier volume. Ce premier tome est un régal. Comparé au texte jusqu’alors disponible –caviardé et pour une grande part réécrit au XIXème – il rafraîchit avec bonheur les aventures de cet escroc génial, d’une intelligence et d’une culture prodigieuses, et les leste d’une rudesse de corps de garde vivifiante, sans en ôter un poil d’intérêt.
Et, pour une fois, l’appareil critique de La Pléiade est d’une grande utilité, il permet de situer les lieux, d’identifier, quand c’est possible, les personnages et éclaire le texte de toutes les connaissances acquises par les cercles de casanovistes, qui ont conduit d’inlassables recherches pour vérifier, préciser les propos de Casanova. Mais si le Vénitien, qui se vivait avant tout comme un « homme de lettres » et qui finira d’ailleurs bibliothécaire dans un château allemand, enjolive à n’en pas douter certains évènements, les experts ne mettent aujourd’hui plus en doute la véracité de la plupart des faits rapportés, à commencer par son évasion de la prison des Plombs à Venise, épisode qui à lui seul, vaut le meilleur des romans.
Illustration : Casanova et la belle religieuse (droits inconnus)
Une citation et un mystère avant de décoller pour Montpellier. Casanova tout d’abord : “La philosophie défend au sage de se repentir d’avoir fait une bonne action; mais il lui est permis d’en être fâché lorsqu’une méchante interprétation lui donne une vilaine apparence “. Pl p 503;
Le mystère ensuite : tous les papiers importés du blog précédent se sont évaporés. Je n’ai pas d’explication sinon peut-être la suppression définitive de l’atelier précédent par canalblog qui aurait englouti la source des archives.
Ce ménage par le vide a le mérite de laisser de la place dans les tiroirs.
Bon we
Je ne vais pas t’infliger, Gaëtan, l’entière émission sur le manuscrit de Casanova, signalée dans mon précédent commentaire. Même si la présence de quelques pointures comme le président de la Bnf ou Antoine Gallimard (qui annonçait alors la sortie en pléiade) mais il est maintenant attesté que “l’histoire de ma vie” de Casanova est conforme à la réalité historique, incluant l’épisode de la prison des plombs. L’édition de la pléiade a ceci de précieux que pour chaque nom propre, chaque lieu, chaque situation, une note précise l’état des recherches. Ces notes font état de nombreuses confusions de détail (tel opéra n’a pas été joué dans telle ville à tel moment) mais valident l’ensemble.
J’ai par ailleurs appris dans cette émission que Casanova avait non seulement rencontré Rousseau et Voltaire mais aussi Mozart, à Vienne, lors de la création de… Don Juan.
“les experts ne mettent aujourd’hui plus en doute la véracité de la plupart des faits rapportés, à commencer par son évasion de la prison des Plombs à Venise”
Pour ma part j’en étais resté au fait que son nom n’apparaisse pas sur les registres de la prison. Quels sont les éléments qui ont permis aux experts de trancher en faveur de la véracité de l’épisode hollywoodien de l’évasion ?
Je regarde assez fréquemment La Bibliothèque Médicis sur la chaîne parlementaire. Il faut faire parfois un effort pour supporter Elkabach qui est franchement mauvais avec les littéraires, dont il n’est pas, à l’évidence. Heureusement, comme il n’est pas vraiment à la hauteur, il laisse parler ses invités, et c’est souvent fort bien.
(C’est d’ailleurs dans ce magnifique décor que j’ai vu mon vieux Maître Jerphagnon peu avant sa disparition, et puisqu’on parle aussi de Pléiade, rappelons qu’il fut en charge de l’édition complète de Saint Augustin, et là l’appareil critique est pointu.)
Vous avez évidemment raison sur Machiavel Pascale. Mais c’est un peu le jeu dans ce genre d’exercice que de forcer le trait. Le support appelle des papiers courts, nerveux, un brin polémiques au besoin. Le commentaire est toujours bienvenu pour adoucir, préciser, contester telle ou telle affirmation trop rapide. Pour les notes de la pléiade j’assume plus volontiers. Il me semble que, dans l’ensemble, l’appareil critique a trop enflé ces dernières années, au détriment du confort de lecture.
Pour revenir à Casanova une note, relevée ce matin, qui traduit la culture du personnage. Cette remarque fait suite à une tentative de traduction en latin pour un officier hongrois de traits d’esprit d’une jeune femme s’exprimant en français. “Je me mettais en devoir de lui expliquer la plaisanterie en latin; mais il m’arrivait souvent de l’expliquer si mal qu’elle devenait insipide. L’officier n’en riait pas, et je restais mortifié, car Henriette devait juger que je ne parlais si bien latin qu’elle français; et cela était vrai. Dans toutes les langues du monde ce qu’on apprend le dernier est leur esprit; et c’est très souvent le jargon qui fait la plaisanterie. Je n’ai commencé à rire à la lecture de Térence, de Plaute et de Martial qu’à l’âge de trente ans.”
Ajoutons pour les amateurs, cette émission littéraire “Bibliothèque Médicis” consacrée à Casanova : http://www.myskreen.com/emission/societe/2814448-bibliotheque-medicis/2795222-casanova/
2 réponses sont annoncées qui pourtant n’apparaissent pas…
Puis-je, Philippe, alléger votre plume sur deux petites expressions. On ne peut pas dire tout d’un trait que Machiavel n’était “pas plus machiavélique que vous et moi”, même si, je l’entends bien, c’est une formule. C’est autrement plus… machiavélien cette affaire!
Vous y allez aussi un peu fort de considérer, que “pour une fois l’appareil critique de La Pléiade est d’une grande utilité”. Je gomme le “pour une fois”, pour lui préférer un “comme souvent”.
Sur les contre-sens historiques par paresse de consultation des textes originaux ou des meilleures traductions, on peut ajouter Epicure!
Le bonheur de votre lecture est un encouragement à se méfier des facilités d’édition, même si, la preuve en est, elles permettent parfois un premier itinéraire, “le plus rapide, le moins cher, le plus facile” -on coche ce qu’on veut, selon ViaMichelin,- mais, refaire le voyage en prenant le risque toujours gratifiant du chemin escarpé!
Je n’ai ici que l’édition Laforgue, et je n’ai pas pu faire la comparaison avec l’édition Bouquins, qui faisait autorité jusqu’à présent. Voici ce qu’en dit Libé http://www.liberation.fr/monde/2013/03/27/casanova-reprend-langue_891730
Cher Philippe, j’ai depuis longtemps l’édition de la collection Bouquins. La nouvelle édition dans La Pléiade est-elle à ce point meilleure et surtout plus complète et fidèle au manuscrit original, qu’elle mérite un nouvel achat ?