En anglais dans le texte

C’est une étrange opération de l’esprit que celle de plonger dans un autre univers linguistique que le sien. Plus déstabilisante que celle de changer de costume ou de maison. Une espèce de prévention inconsciente nous retient, nous souffle à l’oreille que c’est décidément trop difficile, qu’on n’y parviendra pas, malgré les années passées à étudier la grammaire anglaise ou allemande sur les bancs de l’école.

 pride 2Curieusement, je n’ai jamais eu ce genre de prévention à l’oral. Question de tempérament sans doute, et d’origine aussi : la Normandie bénéficie d’une proximité historique et géographique avec l’Angleterre, qui a toujours favorisé les échanges entre les deux rivages de la Manche. Je viens, ainsi, de découvrir que Jane Austen avait passé une partie de sa vie à deux pas de Basingstoke, la petite ville anglaise jumelée avec Alençon, où j’ai séjourné, collégien. Et puis j’aime la musique de l’anglais, la plasticité de cette langue, beaucoup plus souple et déliée que ne l’est le français. Pour être honnête, je suis plutôt un praticien, à l’oral, de l’anglais de Yasser Arafat. Cet anglais basique, débarrassé de son accent tonique, ce plus petit dénominateur commun qui sert de langue véhiculaire sur une grande partie de la planète, cette espèce de Land Rover de l’expression, qui permet de se faire comprendre en Tanzanie comme en Inde, en Russie comme au Laos.

En revanche, à quelques rares exceptions, je ne m’étais guère jusqu’alors frotté aux grands textes britanniques. Trop pauvre en vocabulaire, pensais-je, pour ne pas souffrir immodérément et perdre ainsi le plaisir de la lecture. Les journaux passent encore, quelques articles ici ou là et deux ou trois ouvrages, dont un Somerset Maugham de belle mémoire. Mais, sans doute par fainéantise, jamais mes auteurs de langue anglaise favoris, que sont Robert-Louis Stevenson ou Joseph Conrad.

Encouragé, et piqué au vif sur ce blog par quelques lectrices anglophiles, me voici aujourd’hui plongé dans « Pride and Préjudice » de Jane Austen, en anglais dans le texte, acquis la semaine dernière, en poche, chez Coiffard à Nantes. L’affaire commençait mal : « It is a truth universally acknowledged, that a single man in possession of a good fortune must be in want of a wife. » Il me semblait comprendre le sens de cette première phrase, sans toutefois connaître le sens précis de “acknowledged”. Mais si je m’arrêtais à chaque mot, on n’en sortirait jamais.

 J’ai donc adopté une technique toute simple pour les premiers chapitres. Une première lecture en anglais, acceptant les éventuelles imprécisions dues à l’incompréhension de quelques mots, puis une relecture en français dans la traduction de La pléiade pour vérifier que je n’avais pas fait de contre sens. J’étais terrorisé à l’idée de ne pas goûter à la qualité des dialogues de Jane Austen, de passer à côté des traits d’esprit qui émaillent le texte, et qui en font tout le sel.

 Et, au bout d’une dizaine de ces courts chapitres, la magie a peu à peu opéré, et la relecture est devenue presque superflue. Me voilà désormais plongé dans l’univers linguistique britannique de la fin du XVIIIe, ce versant de la langue que l’on nous apprenait à l’école, où les racines latines sont encore très nombreuses et facilement intelligibles. Où cet humour anglais, tout en subtilité et en retenue, se déploie en version originale. Et puis j’adore ce genre de raccourci que l’anglais se permet « you can but see one of my daughters… ». Ce but me botte parce qu’il résume toute la souplesse de langue, qui s’embarrasse assez peu de grammaire.

Pardon d’avance aux anglophones et anglophiles de passage qui décèleront ici toute la naïveté du propos, mais nous dirons, pour nous faire pardonner, que ce billet s’adresse plutôt aux lecteurs qui n’osent pas franchir le pas. Comme pour apprendre à nager, le plus simple est peut-être de se jeter à l’eau.

Série d’été, cette chronique a été publiée une première fois en janvier 2014

28 réflexions sur « En anglais dans le texte »

  1. Philippe Auteur de l’article

    « Vous êtes des femmes, j’irai chez les Hurons des lacs » avait coutume de nous dire Louis, à l’adolescence, quand il était fâché. Cette phrase m’est revenue à l’esprit en refermant « Pride and Préjudice » de Jane Austen. Ou plutôt après avoir pensé – le raisonnement est un peu alambiqué, certes – « cette femme est une homme ». Et puis, après avoir convoqué le peu de bonne foi qui me reste, non ce n’est pas cette femme qui est un homme, c’est moi qui suis une femme. Je peux totalement entrer dans la tête d’Elizabeth. Je suis Elizabeth. Jane Austen a une force incroyable (bon, je peux l’avouer, je n’ai pas tout lu en anglais, trop impatient de connaître la suite après la déclaration de Darcy), celle de vous faire entrer dans le cœur du personnage. L’absence de toute évocation de la sexualité aide évidemment à la chose. Mais ça va plus loin. Au-delà justement de la sexualité. Et ça c’est très fort. Bon j’arrête, j’ai adoré. Je suis même capable de lui faire une place dans mon top five. Mais il faut que je réfléchisse. Avec Yourcenar, ça ferait deux femmes. Faut pas exagérer quand même.

    PS : Louis (logistitien) repasse l’équateur et file pour MSF à la frontière de la Centrafrique et du Cameroun. Il y a apparemment beaucoup de populations effrayées qui cherchent asile. Nous l’avons appris hier soir.

  2. court

    Tout simplement délicieux, et qui prouve qu’on peut faire rire sans etre vulgaire!
    Merci de ce petit bonheur.
    MC

  3. albert camion

    Hors sujet complet, mais je ne résiste pas à vous faire partager la dernière chronique de l’ami Eric Chalmel (dont le texte se trouve sur le blog Les Etats et Empires de la Lune sur la colonne de droite). Nul besoin de connaître Saint-Herblain (la commune de l’agglo nantaise où est implantée le Zénith qui fait tant parler de lui ces jours-ci). Une précision complémentaire : le candidat UMP sur la plateau porte des lunettes noires parce qu’il est aveugle : http://www.youtube.com/watch?v=_-bbvm7Gcog&feature=youtu.be

  4. Philippe Auteur de l’article

    Etrange sujet d’étude en effet, Laurent, pour les linguistes, que les commentaires de blogs ou d’articles de presse. Avant de s’attaquer à la forme les universitaires auraient, me semble-t-il, avantage à observer le phénomène, l’émergence de ce “poulailler” évoqué par André Gunthert, chercheur à l’EHESS, lors des dernières rencontres de la presse en ligne. Et ce devrait être, en premier lieu, le travail des sociologues, qui ne semblent pas s’en préoccuper, scotchés sur quelques vieilles lunes. Il y a un champ passionnant à explorer : la libération de la parole, la question de l’anonymat, la contestation du discours des médiateurs, notamment des journalistes…
    L’Université est décidément un monde incompréhensible pour le profane, et le fait d’y intervenir depuis une quinzaine d’années, ne m’a pas fait avancer dans la compréhension de cette machine. La situation a même, semble-t-il, tendance à se dégrader et à tourner à des guerres de chapelles d’une puérilité désarmante.

  5. pascale

    “Je suis sûrement très bête, et ici très borné”
    des bêtes et des bornés comme vous, on en veut tous les jours Laurent! saine et sainte colère, exemples sidérants que je n’ai jamais eu à fréquenter.
    Les apports fondamentaux, les fondations, donc les pères fondateurs à la Saussure, m’ont permis, en revanche et en leur temps, une autre approche non pas des textes comme création, et en cela irréductibles à toute mécanique, mais du fonctionnement de la langue. Ce n’est pas pareil, et j’avoue que ce coin de voile levé, -le tabou qui consistait -pour ma génération peut-être- à refuser d’aller regarder dans l’atelier de fabrication et à croire au Père Noël-, ce voyeurisme attentatoire au secret de l’écriture, fut bénéfique. Mais jamais, ô grand jamais! je n’ai rencontré les monstruosités que vous dites, Laurent, et que j’aurais fuies, comme si la salle de dissection avait jamais pu rendre compte de la grâce d’une danseuse étoile!
    Mais pour rompre définitivement avec le mythe, que dis-je, la fable, selon lesquels seule la paraphrase convient pour tout métatexte, il fallait bien que Saussure me dessillât le porte-plume!

  6. Laurent

    M. Court a raison de s’emporter. L’expérience de la linguistique a l’université est d’ailleurs particulièrement clivée : aiment ça quelques masochistes (permettez-moi de les qualifier, subjectivement, ainsi), le reste s’en fiche et souffre en silence, et une minorité s’exaspère du temps gâché à ces tristes et dissections (oui, Jakobson, oui Saussure, certes, certes…). La linguistique (telle qu’elle se pratique à l’Université) présente une boîte à outils dont est absent l’outil principal d’appréhension d’une oeuvre littéraire, la sensibilité, cette alliance subtile du coeur et de l’esprit.

    Pour polémiquer, je dirais que la linguistique (toujours “telle qu’elle se pratique à l’Université”, j’exclus les trois ou quatre grands de la discipline qui firent avancer la compréhension générique des langues) consiste essentiellement en deux choses
    1/ enfoncer des portes ouvertes avec un système d’une redoutable complexité qui tient de la production industrielle de cuistreries (on pourrait ici appliquer la critique qu’adressa le sociologue C.W.Mills dans les années 60 à son homologue jargonesque Talcott Parsons). La complexité abstraite de l’ensemble tient lieu de système et empêche ceux qui cherchent à le maîtriser (ou même à le comprendre) d’envisager ces cuistreries pour ce qu’elles sont, des obstacles à l’intelligence. Néanmoins, elles permettent d’évaluer (assez solidement) les étudiants et sont fort utiles pour trier les étudiants sur leur capacité, éminemment utile pour la suite, à assimiler et maîtriser une information inutile et à l’utiliser en temps limité.
    2/ La linguistique sert aussi à égaliser, à araser la langue jusqu’à donner la même légitimité au gloubi-boulga managérial et à Chateaubriand. L’analyse des commentaires de rue89.com (véridique) est pratiquée avec la même vigueur, le même sérieux, la même application que la lecture et le commentaire des grands auteurs… On disserte des pages et des pages sur le “Quel con!” de Chaton_666 le 25 mai 2008, on s’interroge sur la création du verbe plussoyer et son utilisation par Marie_Marie et sur la valence des verbes utilisés par Mickey@75 dans sa réponse à Chaton_666 (les pseudonymes ont été changés).
    Le goût littéraire, c’est le choix, la sélection, la verticalité, l’idée qu’il y a une hiérarchie entre les oeuvres, entre leurs auteurs. Toute lecture critique est, même pianissimo, normative. Tout ne se vaut pas. Et former son goût, c’est reconnaître la faute de goût de l’écart légitime, le fait de langue de la défaite de la langue. Or, la linguistique, c’est l’observation prétendument neutre des faits linguistiques, leur décomposition dans des bocaux. Chaque spécialiste se réjouit, comme un scientifique, d’aborder des continents inexplorés comme la fonction de “quoi!” dans “c’est vrai, putain, quoi!” (ou dans “Quoi! L’éternité.” mis sur le même plan) ou l’organisation du langage managérial. Toute évolution de la langue est accueillie avec un profond sentiment de satisfaction (nul n’entre en linguistique s’il n’est anti-normatif) : il y aura de nouvelles thèses à faire, de nouveaux articles à écrire, de nouveaux colloques à organiser. La langue change, chic ! Qu’importe si cette nouvelle langue est enlaidie. Qu’importe si plus personne ne se comprend. Qu’importe si ces évolutions sur lesquelles on disserte doctement sont des trahisons. Qu’importe, qu’importe, qu’importe ! L’essentiel est que le Moloch universitaire ait de quoi alimenter de nouvelles carrières, de belles et bonnes thèses, bien bornées, bien butées, par des cuistres fiers du caractère absolument scientifique de leur discipline, de leurs théories et de leurs concepts (sur lesquels ils ne sont même pas d’accord).
    Je suis sûrement très bête, et ici très borné (j’assume l’aspect polémique), mais n’ai jamais compris comment on pouvait entamer des études de lettres (et donc, a minima, aimer lire les grandes oeuvres, les grands livres) et se spécialiser dans “l’usage des mots en qu- dans la phrase averbale par les commentateurs de rue89.com entre 2007 et 2012”. (car c’est bien à ça que ressemble la linguistique universitaire en premier et en second cycle).

  7. Philippe Auteur de l’article

    La langue est une création d’artistes et de guerriers, non une construction scientifique disait – de mémoire – Valéry (pas moyen de retrouver la citation, c’est la faiblesse des notes à la volée dans les carnets). J’aime bien vos emportements M. Court.
    Retrouvé en revanche une citation de Chateaubriand sur le sujet : “Le style n’est pas, comme la pensée, cosmopolite, il a une terre natale, un ciel, un soleil à lui.” Cette phrase clôt, dans les Mémoires (livre XII, chap 3), un long passage écrit à Londres sur les écrivains britanniques et les limites de la traduction des oeuvres littéraires : et qui commence ainsi : “Nul, dans une littérature vivante, n’est juge compétent que dans sa propre langue…” (p 412 tome 1 dans la pleiade).

  8. court

    C’est pourquoi la linguistique est justement ressentie par les littéraires comme une agression de cuistres qui n’ont jamais vibré à un texte, et prétendent faire du langage des Dieux leur chose. Sans parler du relativisme culturel infligé à l’une des plus belles langues du monde. En ce sens, c’est une discipline anti-culturelle et d’un ennui inconmensurable, parce qu’anti-littéraire.
    N’est pas Léo Spitzer ou Marc Fumaroli qui veut…
    Bien à vous.
    MCourt

  9. pascale

    Je n’avais pas lu ces lignes, Eva…
    Très rapidement, car j’ai effleuré en réponse à M.Court à propos des travaux de la linguistique, l’essentiel du propos, qui demande des développements beaucoup plus conséquents…
    Dans le rapport des mots à la pensée, celle-ci n’est pas première si l’on veut dire qu’il y aurait une pensée “vide de mots” que ceux-ci viendraient revêtir, la tenue en serait juste différente selon la langue choisie ou pratiquée…. comme lorsqu’on ouvre un placard et que l’on se saisit de telle ou telle tenue, seule l’apparence change. Les mots, ou plutôt la langue fait la pensée, la constitue, la cisèle, la précise, l’obscurcit… L’usage des mots à tout faire et des expressions toute faites comme signe d’une pensée figée, mécanique (oxymore)… une pensée d’autant plus affinée qu’elle peut se dire, se dire, s’écrire, s’écrire, en des mots différents ( relire Merleau-Ponty qui dit des choses essentielles là-dessus, nous rappelant que nous n’échappons jamais aux mots, seraient-ils inadaptés, inadéquats, seraient-ils ceux de l’impossible expression juste. Penser c’est parler à soi. Même pour dire n’importe quoi. Gloubi glouba, je ne peux pour le “penser” faire l’économie de me le dire….)
    Oui le sens, bien sûr, évidemment, mais le sens se constitue dans l’usage (souvent si automatique qu’on en oublie tout ce qu’il a demandé pour être).
    Suis en retard….

  10. pascale

    Je reconnais une belle attirance de la linguistique universitaire à la formule charabiesque. Il faut la pratiquer beaucoup pour en retenir un peu, ce peu qui pour ma part fut une révélation en son temps, je me suis calmée depuis. Rendons grâce en effet à Saussure puis Benveniste.
    Mais enfin ce dénudage qui est tout sauf un dénuement, puis ce rhabillage de notre rapport aux mots en ce qu’il a de mécanique ET de créateur fut, est, salutaire. Faire tant avec si peu, dans une infinité de combinaisons possible, elles-mêmes combinables à l’infini… ce principe absolu d’économie pour conquérir le monde en même temps qu’on l’invente, y a pas à dire (!!!) quel coup de fouet d’avoir découvert cela. Il fallait bien que quelques jargonesques s’en mêlassent…. mélasse en effet. Je pense toujours aux sept notes de la gamme et leurs quelques altérations, auxquelles on doit toute la musique qu’on aime, plus l’autre, et même les autres. Analogie favorablement retenue

  11. Eva

    Je vous avais bien comprise, Pascale, et là je suis assez d’accord avec vous. Chaque langue ses beautés, ses difficultés, ses faux amis, sa structure propre qui à la fois façonne et reflète la structure de pensée de ses pratiquants, leur vision du monde. Il n’était aucunement question de soi-disant “supériorité” ou “infériorité” dans vos propos, juste de “différences”. Et quelles différences !
    Au départ, il y a une pensée, une idée. Mais après, il y a mille et une façon de l’exprimer, quelle que soit la langue. C’est ça qui est merveilleux. Au cours de mes études de traduction, nos prof nous répétaient : “à la limite, peu importe les mots que vous employez, ce qui compte, c’est le sens, le sens du message que vous voulez faire passer. Le sens, le sens ! valeur suprême. Les mots sont à son service. Vous avez devant vous une phrase en anglais sur laquelle vous butez ? Vous n’arrivez pas à la rendre en français ? Mettez-la sens dessus dessous, bousculez les mots qui la composent, retournez-la, démembrez-la, désarticulez-la pour n’en saisir que le sens ; tout cela pour que vous puissiez oublier comment elle est formulée en anglais, ce qui vous permettra de construire du français autour de son sens. Construisez votre propre phrase, une phrase française qui soit fluide et donne l’impression d’avoir toujours été écrite en… français. Une traduction ne doit jamais “sentir” la traduction, et pourtant, rester fidèle à l’original. Le juste milieu, quoi, du grand art ! Ni trop proche, ni trop éloignée de l’original. Le maître mot demeurant “ce que l’auteur a voulu faire passer “…
    Si j’ai dérivé quelque peu du sujet premier, pardonnez-moi, ce doit être la… déformation professionnelle !
    Et puis je rebondirai bien en soulignant toute la musique d’une langue, du langage poétique, et de ce tremplin, je rebondirai à nouveau en disant que les mots sont bien impuissants à exprimer tout ce qu’une musique peut exprimer. C’est mon avis, en tout cas. La musique plus forte que les mots !

  12. Eva

    merci de vos encouragements !
    si vous avez apprécié, j’en suis fort aise
    une demoiselle qui ne va pas tarder à plonger dans la nuit

  13. Laurent

    Je me permets de rebondir sur Meredith. Je l’ai encore vu élogieusement cité, par Brzozowski, en 1911. Meredith… Voilà un auteur que je vois toujours cité comme l’égal des plus grands, par la plupart des auteurs importants de 1880-1914, et encore après guerre, au moins jusqu’aux années 30 et qui disparaît ensuite brutalement, pour ne jamais réapparaître. Je serais curieux de savoir pour quelle raison connut-il une telle gloire… et une telle disgrâce. (je n’en ai jamais lu et il n’est quasiment plus édité)

  14. Eva

    Waouh ! Merci PMB ! Je ne connaissais pas cette chanson de Colette Renard, c’est une petite merveille de richesse linguistique pour poétiser les parties intimes, insuffler de la vie, de la couleur, des images incroyables au cunnilingus et compagnie… Et j’ADORE la chute (de rein) : “ce que je fais le jour durant, cela tient en peu de lettres, le jour je baise, tout simplement”.
    PMB, j’ai envie, là, comme ça, maintenant, de te faire un petit cadeau pour te remercier. Les Nuits d’une demoiselle m’inspirent, me branchent à la Lune. Voici donc un petit poème érotique de mon cru. Si tu peux me faire part de ton ressenti en le lisant, cela me ferait plaisir. Il s’intitule Lui, elle et la Lune – poème en deux tableaux de couleurs différentes.

    Je suis
    Sous tes paumes
    Oh oui !
    Tripote mes pommes
    Là-haut
    La Lune est pleine

    Ton sexe dégaine
    J’m’emplis
    Coule la vie
    Sur un fond
    Bleu profond
    Rond de lune
    Splendeur nocturne

    Malaxe
    Ce sexe élastique
    Garde une paume
    Pour mes seins
    Pompe ma pomme
    De toute ta main

    J’frémis
    Sous tes paumes
    Oh oui !
    Pétris mes pommes
    En bas
    Les êtres s’enlacent
    Ton sexe se délasse
    Paresse
    Moi je presse
    Goutte de vie
    C’est exquis

    J’sens ton dos
    Moite et chaud
    Mais tu sombres
    Avide d’ombre
    Me quittes en trombe
    ça me plombe

    J’hulule
    Hurle à l’homme
    Crépuscule
    Sex opium
    Sur un fond
    Rose profond
    Rond de soleil
    Mon loup s’éveille

    Mes joues rougissent
    Sous ta langue rose
    Oh oui ! glisse
    Ton pénis rose
    Mes fruits mûrissent
    Tu les arroses
    Divins délices
    Gorgés d’osmose

    Je vibre
    Sous ta verge
    Libre, libre
    Ma lune asperge
    Là-haut
    La Lune est belle
    Nos âmes ont des ailes
    En bas
    Les corps s’appellent
    Nos sèves se mêlent

    Mouillée
    Les songes
    M’emportent aussi
    Mon ange
    Nous avons toute la nuit
    Pour sécher.

  15. court

    Ah, le souvenir cauchemardesque de la linguistique. Des aneries comme “La phrase verbale est dénuée d’affectivité” et qui me faisaient répondre en Fac “Relisez tout le Théatre Classique” à mon infortunée professeur. La pauvre, il fallait bien qu’elle vive!
    Je dois dire que je verrais encore aujourd’hui démanteler avec plaisir ces postes inutiles et souvent tenus par des médiocres. A moins d’etre Saussure ou Benveniste, cette scolastique du langage ne sert vraiment pas à grand chose….
    MC

  16. pascale

    petit grincement de dents…. je n’ai même pas suggéré, Philippe, que vous aviez suggéré l’idée de supériorité! Saussure, Hjemslev et Jackobson réunis m’en gardent bien! j’ai juste formulé la difficulté d’une logique qui jaugerait une langue “plus” ceci ou “moins” cela, et quand je dis difficulté, c’est un euphémisme.

  17. court

    Le Père Rostand ne serait pas d’accord. Il est vrai que c’est un poète, et que Cyrano n’est plus guère lu .Pourtant, Le Troisième et la scène du Balcon valent le détour pour l’expression de l’Amour.
    Et les classiques? Aimer , adorer, idolatrer, dans le seul Britannicus!
    En revanche , s’immerger dans Conrad, autre paire de manches! Ou on fait joli façon Loti (trad Aubier-Montaigne) quitte à inverser la phrase de The Secret Agent, ou on s’y perd. Pas de milieu.Mais là, je pense au Secret Agent.
    L’ordre des mots de Fielding, Scott, Austen, nous est plus familier en ce qu’il procède du Dix-Huitième siècle classique. C’est en ce sens qu’on peut lire Waverley dans le texte, ou Tom Jones.
    On pourrait meme soutenir que certains écrivains anglais ont joui d’une notoriété disproportionnée à leur mérite parce qu’ils possédaient cet agencement là. George Meredith, par exemple.
    A bientôt, et bonne Année.
    MC

  18. Philippe

    De fait, Laurent, la langue de Conrad, ce Polonais qui a passé une partie de sa vie en France, est réputée accessible, mais je dois confesser n’avoir jamais essayé.
    Le propos n’était pas Pascale, d’affirmer qu’une langue était supérieure à une autre. Et ce n’est sûrement pas un hasard si le français reste la langue diplomatique par excellence, en raison de sa précision. Elles ont toutes leurs qualités et leurs défauts, témoignent d’une histoire, d’un contexte (bel exemple que celui des Inuits) et d’une tournure d’esprit. Rappelons qu’il n’y a pas de verbe être en chinois classique, ce qui en dit plus long que bien des discours sur la perception de l’individu.
    J’ai mal formulé ma réponse, PMB, en parlant du registre de l’amour. Mais convenez que le verbe aimer a un champ d’application un peu large. A ce propos j’aime bien mon nouvel ordi, que j’ai été contraint de changer aujourd’hui, après l’accident vasculaire cérébral du précédent, devenu hémiplégique cette nuit suite à quelques coupures intempestives d’électricité. Mais je n’aime pas Windows 8, et je me suis empressé de rétablir l’ancien bureau. Et je n’aime pas non plus toutes les applications qu’on essaie de nous imposer par défaut.

  19. pascale

    L’idée qu’une langue puisse être plus “pauvre” qu’une autre, au moins dans tel ou tel registre, ne (me) convient pas, cela suppose que l’on dispose d’un critère, d’une mesure, que l’on peut déplacer le curseur… or, chaque langue est une entité, un monde mental à part entière, un (autre) monde tout court. De la pauvreté ou des défauts de sa langue au regard d’une autre que l’on aime pratiquer relève sûrement de la relation toujours un peu sentimentale ou séductrice qui s’instaure inévitablement entre nous et elle, elle et nous. Et l’on pourrait trouver autant de contre-exemples où le français l’ “emporterait” sur l’anglais, ou l’inuit sur le français (s’il s’agissait de rendre compte des différents états possibles de la neige ou de la glace). Sur la “plasticité” des verbes, j’invoque l’incroyable richesse de personnes, de temps, de modes, et leurs concordances (parfois fort délicates à manier) selon la construction de la phrase…. je parle du français, là. Qui donne tant de fil à retordre aux Français eux-mêmes!
    En revanche, la pratique quelque peu “bricoleuse” d’une autre langue qui s’apparente à un saut dans le grand bain, oui, c’est cela. Les juges de paix toujours à portée de la main, l’original et une traduction, c’est en effet un bon moyen. Je le pratique pour l’italien. Avec la réserve cependant qu’il faut postuler pour et décider d’une traduction parmi d’autres … ce qui commence à compliquer aussi la tâche.Celle-ci? plutôt que celle-là? Pour les grands textes anciens, il m’arrive fréquemment de croiser des traductions différentes, et cela, paradoxalement, éclaire le texte original. (Les grandes traductions de Platon dans les années 50, et les traductions actuelles n’ont parfois pas grand chose à voir, paix aux cendres de Léon Robin!)

  20. Laurent

    Autant je ne rechigne pas vraiment devant un livre d’histoire ou un essai en anglais (Christopher Lasch par exemple ou des livres de la série Cambridge History), autant j’aime lire des poèmes anglais de temps en temps (en bilingue), de mes préférés, Yeats, Auden ou Eliot, autant les romans, non, je n’arrive pas à me motiver pour m’y mettre en V.O.. C’est étrange. Je lisais hier quelques extraits de Henry James en anglais (The Figure in the Carpet) et je me disais que je serais bien capable tout de même de m’attaquer un jour à The Sacred Fount, qui traîne dans mon salon dans l’édition Library of America (le sous-“Pléiade” américain), acquise un jour d’extrême optimisme envers mes capacités dans la langue de Milton.
    Il faut dire aussi que dans ma réserve de romans en anglais, j’ai des auteurs réputés difficiles comme Henry James, Gertrude Stein et Wyndham Lewis, il faudrait peut-être que je commence, comme vous, par des textes un peu plus accessibles !

    PS : on m’avait conseillé de lire Conrad en anglais, qui, paraît-il, n’est pas particulièrement compliqué pour un francophone (pas mal de gallicismes).

  21. Philippe Auteur de l’article

    Merci Sabine pour ce commentaire indulgent et on ne peut mieux placé. Je ne sais pas s’il faut une intelligence innée de la langue pour se livrer à ce genre d’exercice, mais il faut, à tout le moins, prendre du plaisir à changer de logiciel mental. Je suis persuadé que la maitrise de plusieurs langues (ce qui n’est pas mon cas, à l’exception de l’anglais dans les limites précisées plus haut) nous élargit l’esprit. Cela nous invite aussi à réfléchir sur les qualités et les défauts de notre propre langue.
    Un minuscule exemple : la pauvreté de notre vocabulaire dans le registre de l’amour. En français on ne dispose que d’un seul mot : on aime indifféremment un cassoulet, un bon film, une femme, Dieu, son prochain… Les Anglais en ont au moins deux : like et love, et la nuance est évidente. Mais ce sont surtout les tournures anglaises qui m’épatent, la plasticité des verbes : wait for, run away, go on…
    C’est un sujet infini, mais je dois absolument me mettre au travail. Bonne journée.

  22. Sabine

    Bravo, Philippe, pour avoir eu le courage de te jeter à l’eau et d’apprendre à nager Jane… avec, malgré tout, la bouée de la Pléiade à portée de main ! Sache que ton propos est loin d’être naïf et que ta démarche me semble parfaitement sensée – elle peut servir de modèle aux frileux de l’immersion dans les eaux britanniques (ou de toute autre langue, d’ailleurs) ou à ceux qui tremblent carrément de peur à l’idée de faire le grand plongeon. Lire un ou deux paragraphes en anglais malgré quelques mots et subtilités non saisis, voire quelques phrases restées obscures, puis lire la traduction en français, et revenir à l’anglais, et ainsi de suite. Ne pas hésiter à multiplier les navettes entre les deux langues pour comparer, savourer toutes les beautés de ces deux langues et de leurs différences, et s’extasier devant le magnifique travail du traducteur ou de la traductrice ! “Tiens, il ou elle a rendu ça comme ça, intéressant…”
    Néanmoins, tu n’as pas ton pareil pour nous faire croire que c’est d’une simplicité désarmante – en quelques pages, la magie a opéré ! Noël n’est pas loin… Avec ta nonchalance, ta légèreté et ton flegme coutumiers qu’on aime tant, tu nous dis (je continue de filer la métaphore de la leçon de natation) : “regardez, il suffit de bien respirer, de faire ces mouvements-là avec les bras et les jambes, et hop ! vous avancez !”
    Je pense malgré tout que la lecture de Jane Austen en VO n’est pas donnée à tout le monde et qu’il faut posséder un bon bagage dans la langue de Shakespeare. Et de la persévérance. Et l’intelligence innée de la langue, aussi.
    Personnellement, je suis traductrice de métier (mais je ne traduis pas de romans), et donc ma vision est forcément particulière et différente de la tienne. Contrairement à toi, ce n’est pas pour le plaisir que je lis des livres dans leur langue d’origine, mais pour le travail, même si j’adore mon métier, bien évidemment. il m’enrichit chaque jour qui passe. Et travailler la langue, sur la langue, est une source de bonheur infini. Il y aurait tellement de choses à dire sur “l’opération de traduction”, qui est une création, que je vais m’arrêter là ! Tant de choses à dire aussi sur les différences entre l’anglais, l’allemand et le français. Là n’est pas le propos. D’ailleurs, tu dis très bien toi-même que l’anglais est une langue plus souple et plus déliée, qui s’encombre moins de la grammaire, ce qui est vrai.
    Conclusion qui n’engage que moi : pour me détendre, relâcher la tension et la concentration d’une journée passée à transmettre du mieux possible un message de l’anglais ou de l’allemand vers le français, rien de tel que de lire un bon roman en… français !

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