Quelques ouvrages poussiéreux, quelques caisses de Bergerac, trois cartes postales et deux assiettes gravées – je force à peine le trait – l’accueil au château de Montaigne a quelque chose de simple et de familier qui ravit le coeur. Comme si le gentilhomme campagnard avait transmis a la postérité cette bonhommie et cette simplicité qui traversent ses écrits. On est loin, au château de Montaigne, dont il ne reste guère que la tour – mais quelle tour – du XVIe siècle, de la mise en scène désormais d’usage dans la plupart des monuments historiques. L’explication semble tenir au fait que le château reste une propriété privée, dont les bâtiments principaux sont encore habités.
C’est une étudiante qui fait visiter les lieux. Certes il ne faut guère l’éloigner du petit compliment consciencieusement appris qu’elle récite en traversant chaque pièce de la tour, de la chapelle à la librairie, mais c’est parfait. Cette liberté donnée au visiteur de caresser les pierres, de s’imaginer la bibliothèque remplie, d’embrasser le point de vue qui s’offrait à l’auteur, de baguenauder dans le parc, est un plaisir chaque fois renouvelé pour qui a partagé les réflexions, les états d’âme, les repentirs de Montaigne.
L’an dernier, en sortant, je n’ai pas emporté de caisse de Bergerac, ce que j’avais fait les années précédentes, content d’épater les copains lors de quelque dîner. Ce Bergerac est quand même un peu juste, et manifestement pas très écolo. Mais là n’est pas l’essentiel; pour qui a goûté un jour à la prose de notre homme. De cette prose rare qui transforme son lecteur. Je reste persuadé que le regard porté par cet honnête homme sur la condition humaine en un siècle aussi troublé que le sien, est l’un des biens les plus précieux qui nous ait été transmis. Chacun ses héros. Montaigne est l’un des miens.
Illustrations D.R.