Quelques ouvrages poussiéreux, quelques caisses de Bergerac, trois cartes postales et deux assiettes gravées – je force à peine le trait – l’accueil au château de Montaigne a quelque chose de simple et de familier qui ravit le coeur. Comme si le gentilhomme campagnard avait transmis a la postérité cette bonhommie et cette simplicité qui traversent ses écrits. On est loin, au château de Montaigne, dont il ne reste guère que la tour – mais quelle tour – du XVIe siècle, de la mise en scène désormais d’usage dans la plupart des monuments historiques. L’explication semble tenir au fait que le château reste une propriété privée, dont les bâtiments principaux sont encore habités.
C’est une étudiante qui fait visiter les lieux. Certes il ne faut guère l’éloigner du petit compliment consciencieusement appris qu’elle récite en traversant chaque pièce de la tour, de la chapelle à la librairie, mais c’est parfait. Cette liberté donnée au visiteur de caresser les pierres, de s’imaginer la bibliothèque remplie, d’embrasser le point de vue qui s’offrait à l’auteur, de baguenauder dans le parc, est un plaisir chaque fois renouvelé pour qui a partagé les réflexions, les états d’âme, les repentirs de Montaigne.
L’an dernier, en sortant, je n’ai pas emporté de caisse de Bergerac, ce que j’avais fait les années précédentes, content d’épater les copains lors de quelque dîner. Ce Bergerac est quand même un peu juste, et manifestement pas très écolo. Mais là n’est pas l’essentiel; pour qui a goûté un jour à la prose de notre homme. De cette prose rare qui transforme son lecteur. Je reste persuadé que le regard porté par cet honnête homme sur la condition humaine en un siècle aussi troublé que le sien, est l’un des biens les plus précieux qui nous ait été transmis. Chacun ses héros. Montaigne est l’un des miens.
Illustrations D.R.
Oui, c’est tout cela, en effet, Philippe.
Il y a, de mémoire, je suis loin de mes rayonnages, une page d’Etienne, l’ami de toujours, sur ce fameux “hoc”.
A ma connaissance ce livre est issu des chroniques qu’Antoine Compagnon avait tenues l’an dernier sur France-Inter. Ces chroniques avaient fait l’objet d’un billet sur le précédent blog; une belle occasion de la reproduire ici :
Un été avec Montaigne
Découvert cette semaine un petit bout d’émission charmant sur France Inter, le midi juste avant treize heures : « Un été avec Montaigne ». Quelques minutes, le pari est gonflé mais les deux pastilles entendues, et écoutées, étaient tout à fait réussies. Il faut dire que la Maison a bien fait les choses en faisant appel à Antoine Compagnon, professeur au Collège de France. Du solide. Compagnon était venu aux rencontres de la Ducherais parler des Anciens et des Modernes en 2007. Outre une incontestable pointure, grand connaisseur de Montaigne, c’est un homme simple et de bonne compagnie. Daniel Mesguich assure la lecture des extraits. On fait plus mal.
C’est court, forcément frustrant, mais l’introduction et le pied d’Antoine Compagnon, sont habilement construits. Et les extraits choisis donnent une bonne idée de la richesse de la langue de Montaigne, de sa souplesse incroyable. Là le professeur n’est pas là pour illustrer sa propre pensée, mais pour servir l’auteur. J’ai notamment entendu un délicieux montage sur la langue (mercredi me semble-t-il), sur la puissance des mots, sur ce simple « hoc » qui a provoqué des querelles infinies pour finir par opposer deux religions. Un extrait dont je ne me souvenais plus.
On n’ose penser que cela donnera envie de lire Montaigne, mais cela fera au moins une bonne introduction pour qui écoute à cette heure-là. Je me sens toujours un peu idiot en offrant Les Essais à un copain pour son anniversaire devant son regard désespéré. J’ai d’ailleurs bien peu de retours sur cette manie, qui me semble pourtant un grand témoignage d’amitié. Bien peu de mes amis, pourtant pas plus idiots que la moyenne, acceptent de se frotter à la langue du XVIème, de se lancer dans une telle aventure. J’ai beau leur expliquer qu’ils ont tout leur temps. La vie entière s’il le faut. On ne sait quelle prévention (bien souvent due à quelque souvenirs désagréables du lycée) les empêche de s’y plonger. Au moins l’ont-ils dans leur bibliothèque.
Partie chercher deux livres de Gracq dans une librairie proche j’ai vu près de la caisse ce livre d’Antoine Compagnon. Une lecture, bientôt en pensant aux rencontres littéraires sur ce blog. Merci.
Contente de revoir le château de Montaigne dans la video proposée par Christiane, même si le commentaire est un peu rapide et les citations parfois difficilement lisibles.
Je suis en train de lire “Comment vivre, une vie de Montaigne en une question et 20 tentatives e réponses” de Sarah Bakewell. C”est une explication de texte qui permet de comprendre ce qui a amené Montaigne à écrire les Essais et pourquoi. Ce livre nous donne plein d’éléments sur les moeurs de l’époque, sur cette période troublée. Cet homme éclairé est une pépite d’humanité.
http://bibliobs.nouvelobs.com/la-bibliotheque-de-l-ete/20130806.OBS2346/la-bibliotheque-de-l-ete-montaigne-a-trouve-un-bon-compagnon.html
Antoine Compagnon, une valeur sûre comme on dit, avait déjà commis un “Nous, Michel de Montaigne” au Seuil. Quelque chose me dit que la référence précédente est plus accessible.
Je sors, comme on dit aussi.
Merci Juliette!
Oui, nous nous sommes en effet mal compris, Philippe, mais je persiste à dire, de manière plus générale, qu’il ne faut pas forcer les analogies. On frôle alors la dilution, la déformation, qui empêchent de rencontrer une oeuvre, -un chef d’oeuvre qui plus est- pour lui-même. C’est valable aussi, il me semble, dans le domaine pictural. Tout n’est pas dans tout, cela uniformise et arase ce qui, justement ne peut l’être sans perdre son identité, la marque de son génie (au sens étymologique).
Ben, vous nous l’avez fâchée là, Philippe!
N’empêche qu’il y a un peu de vrai…. est-ce qu’on peut faire des rapprochements abusifs sur de simples points communs?
Nous nous sommes mal compris Pascale. Quand je parle de blog, je me place dans la position du chroniqueur, qui écrit au quotidien, qui laisse filer la plume au gré de ses humeurs. Je ne pensais pas à la dimension interactive (qui n’est pas systématique, sur certains blogs les commentaires sont fermés). Mais je comprends évidemment votre réaction, qui est pertinente ici.
Il y a de bien belles vues, Christiane, dans la video, et contrairement à des photo parfois “prétentieuses”, la modestie des pièces de la tour est conforme à ce que l’on ressent ‘pour de vrai’. C’est une émotion très intense que le passage dans cet endroit, je me souviens y avoir eu des frissons que je ne pouvais qualifier, car c’est plus vide que plein, plus sombre qu’ensoleillé, plus humble qu’ostentatoire, plus petit que grand. Peut-être est-ce exactement ce qui permet à l’esprit de Montaigne de flotter encore, comme les brumes et les brouillards d’automne de la campagne quand j’y suis allée.
Ah non, non, non, je ne peux pas vous laisser dire cela Philippe! les Essais sont des textes écrits à l’origine pour quelques familiers. Il n’y a aucune intervention extérieure, le seul qui réponde à Montaigne, c’est lui-même par ses ‘repentirs’, et si, en effet, liberté et légèreté de ton sont remarquables, elles ne sont pas, la marque des blogs, qui, trop souvent (pas ici) sont lourdingues, mais lourdingues! Je sais que vous allez me répondre que c’était du vite dit, mais vous m’avez fâchée là!
L’une des grandeurs de Montaigne, l’une parmi d’autres, surgit si on ne lui fait pas traverser les siècles justement, et qu’on le lit en changeant de cerveau, comme quelqu’un du XVIème siècle, pour le fond, mais aussi pour la forme, remarquable en effet, dans l’usage apparemment spontané d’une langue particulièrement travaillée. Bien sûr que ce qu’il dit nous touche aujourd’hui, mais il me semble que ramené à l’époque, c’est là que le choc a dû être rude (pour quelques happy fews seulement). Je crois que cet étonnement et cette admiration rétrospectives sont plus forts que tout. Autrement dit, je proposerai bien, non pas de faire venir Montaigne à nous, mais d’aller à lui.
Oui, Philippe, une jeunesse railleuse et sage.
C’est assez amusant Christiane, parce qu’en entendant l’extrait qui débute la video, je n’ai pu m’empêcher de me dire que Montaigne avait inventé le blog avant l’heure. Qu’on en juge : “je ne puis assurer mon objet, il va trouble et chancelant d’une ivresse naturelle, je le prends en ce point où il est à l’instant que je m’amuse à lui, je ne peins pas l’être, je peins le passage, non un passage d’un âge en un autre, mais de jour, en jour, de minute en minute. Il faut accommoder mon histoire à l’heure… tant il y a que je me contredis bien à l’aventure”. C’est étonnant comme cette liberté, cette légèreté de ton a pu traverser les siècles sans prendre une ride, hors le chemin parcouru depuis par la langue.
http://www.youtube.com/watch?v=XWTesj0gDKc
Petit cadeau, en passant….
Je sens, nous sentons tous, comme une intention dans cette citation… fort diplomatique et polie n’est-il pas?
Dire du mal? nous? oh! quelle idée! tout cela fut spontané, et spontanément écrit, à la suite d’un billet d’humeur non? lequel a donné le ton, que tous ont respecté, de l’ironie feutrée, de l’esprit, aucune insulte, aucune injure, aucun gros mot… allez, reprenez-vous Philippe. Notre Michel national, le seul, le vrai, le gascon, vaut en effet le détour.
Vous avez dit citation?
Celle-ci, connue, mais justement….
“Je respons ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages : que je sçay bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cerche.” III, 9
Et celle-là, inconnue, mais savoureuse…
“Puis que ce n’est par conscience, aumoins par ambition refusons l’ambition” III, 10
Reprenons donc notre série d’été avec aujourd’hui un coup d’oeil sur le château de Montaigne. Un peu d’air frais après le chaudron du week-end. Le papier sur Michel Onfray a en effet provoqué un buzz inattendu (qui ne semble pas terminé, les commentaires restent, bien entendu ouverts).
C’est une étrange leçon de l’époque que notre Michel contemporain a bien intégré(e). D’évidence, on fait plus facilement de l’audience en disant du mal que du bien. Mais cela me gène un peu aux entournures.
“On commence à devenir sage quand on arrête de dire du mal des autres” disait, en substance, Tchouang Tseu. Donc revenons à des choses plus douces. Une idée pourrait être de placer sous ce billet les formules de Montaigne auxquelles chacune ou chacun est attaché.
Commençons donc : “Mon Dieu Madame, que je haïrais une telle recommandation que d’être habile homme par écrit et être un homme de néant et un sot ailleurs” (II, XXXII)