« Libertinage outré et fougueux, dissipation et débauche, friponnerie, ivrognerie et bassesses, fourberie et mensonges… » le catalogue des motifs de séquestration au château du Taureau, Alactraz breton planté à l’entrée de la rade de Morlaix, est à la fois délicieux et glaçant. C’est un précieux témoignage des moeurs de l’aristocratie bretonne au XVIIIe siècle, confrontée à l’émancipation d’une jeunesse débridée, contaminée par les licences de la Cour et les écrits des premiers philosophes. On y enferma, durant quelques décennies, à la demande de plusieurs grandes familles, des gouverneurs de Brest ou des intendants de Bretagne « les prodigues, les écervelés, les incorrigibles ou les aliénés » qui devenaient des sujets de honte, de gêne ou de déshonneur pour leur entourage. C’est ainsi que le Chevalier des Reals fut incarcéré par les siens durant plusieurs années pour l’empêcher de contracter un mariage déshonorant.
Le château du Taureau, forteresse construite au XVIe siècle par les bourgeois de Morlaix pour protéger la ville des incursions anglaises et fortifiée par Vauban au siècle suivant, est ainsi devenu au XVIIIe siècle une sorte de Bastille avec vue sur mer, une prison magnifique pour aristocrates déviants relevant des lettres de cachet. Difficile, lorsque l’on embrasse le panorama somptueux qui se découvre depuis l’île Callot, à l’ouest du Taureau, de ne pas songer à ces gentilshommes qui croupissaient la nuit dans des casemates humides et jouissaient le jour, sur les courtines, du spectacle offert par cette baie ouverte entre Trégor et Léon, où se déployaient à marée haute les voiles de lin des navires marchands. Etrange captivité que cette réclusion à ciel ouvert, rythmée par le ressac et le cri des goëlands argentés, en compagnie d’une garnison d’invalides de guerre qui cultivait des légumes sur une île voisine pour améliorer le quotidien de la communauté.
Si l’on en croit les chroniques de l’époque, tous les prisonniers n’étaient pas soumis au même régime, certains pouvaient même se rendre à terre entre deux marées et on dit que La Chalotais, procureur-général de Rennes, protégé de Voltaire, conduit au Taureau à la demande du gouverneur de Bretagne pour crime de « cervelle échauffée », avait l’autorisation de visiter sur parole ses parents, dans le voisinage, au château de Keranroux en Ploujean. Ce flottement du droit, qui mêlait les griefs les plus disparates, de la mésalliance à l’homicide, les condamnations les plus imprévisibles, de quelques mois à plusieurs dizaines d’années, et les conditions de détention les plus fantaisistes, vraisemblablement en fonction de la fortune du condamné, ce flottement du droit disions-nous, a quelque chose de cruel et de romanesque. L’histoire de chacun de ces Monte-Cristo est, en quelque sorte, un roman englouti dans la baie de Morlaix.
Dessin d’Yvonne Jean-Haffen, (musées de France). Source précieuse : Le château du Taureau, Louis Le Guennec, éditions Mouez Ar Vro, 1921 ou 1922. Réédition, Le Bouquiniste, Morlaix, 2002.
Sympa les motifs d’enfermement! le pauvre sire DSK, de triste figure et cou de taureau (non, je n’aurais pas dû, je le sens….) aurait connu, c’est sûr, ce château de…. Taureau, où de jouissance il n’y eut que celle du paysage. A moins qu’une belle et riche courtisane ne l’en eût préservé par quelques ducats et autres trésoreries sonnantes et très trébuchantes. Bon, je crois que les orages de la nuit m’ont frappé le cerveau et mis les méninges en surtension. On se calme!
Sympa surtout, Philippe, de nous remettre ainsi des billets d’antan!
Cette chronique a été publiée une première fois l’été dernier sous le titre “cervelles échauffées” sur le blog précédent “l’atelier d’un polygraphe” aujourd’hui disparu. Elle illustre l’escale “Morlaix” des Oeuvres vives du plasticien Vincent Leray. http://www.vincent-leray.com/.
Elle reprend sa place aujourd’hui à l’occasion d’une escapade dans le Finistère.
Bon week-end