L’un des bénéfices de la vie à la campagne est d’épouser au plus près sa condition animale. Pas vraiment besoin de s’astreindre à courir dans les rues sans autre motivation que d’entretenir sa carcasse quand on est appelé à couper son bois l’hiver ou à domestiquer la végétation au printemps. L’exercice physique fait, en quelque sorte, partie du jeu.
Adepte d’Edward T. Hall, j’ai fait disparaître il y a une quinzaine d’années les clôtures qui entouraient le terrain de la vieille ferme d’où son écrites ces lignes et sur lesquelles butaient le regard, dégageant ainsi l’horizon, laissant apparaître un dégradé de végétation qui donne d’un côté sur une petite prairie puis sur la route communale, de l’autre sur un petit bois.
En ces terres assez humides de Loire-Inférieure, la végétation est tonique et doit être régulièrement contenue, au risque de coloniser l’espace. Le recours à la débroussailleuse est donc nécessaire, en particulier au printemps. J’adore cet engin, en dépit d’une prévention coupable pour les machines trop sophistiquées (je m’obstine à râper les carottes à la main, sous les sarcasmes de la maisonnée) et du bruit strident de son moteur deux temps.
C’est une Husqvarna, un de ces engins nordiques simples et increvables – une malheureuse révision en dix ans – qui démarre rituellement au quart de tour après un hiver passé dans la poussière et l’humidité. Abreuvée d’un carburant écolo, l’Aspen, assez cher mais peu polluant, elle est équipée d’un solide fil de nylon, dont la rotation sectionne la végétation au pied, de préférence à la lame métallique, plus efficace mais plus dangereuse.
Cette débroussailleuse est un outil extrêmement fin, qui permet de sculpter la végétation au gré des saisons et des accidents du terrain. On peut ainsi choisir d’épargner tel ou tel bouquet spontané, à l’image des myosotis qui ont poussé cette année sous la ligne d’arbres qui borde le jardin. On peut quasiment araser la végétation ou laisser pousser les cheveux un peu plus longs de telle ou telle partie du terrain, dessinant ainsi une géographie différente d’une année sur l’autre.
La débroussailleuse est, en quelque sorte, la sœur bohême de la tondeuse, celle qui explore et dessine les frontières, autorise les contours flous, repousse les barbares mais peut, sur un coup de cœur, donner le droit d’asile à quelque plante, quelque fleur sans papier. Son maniement, assez simple, sous le soleil, autorise même l’esprit à vagabonder et à imaginer un billet saugrenu qui s’intitulerait « éloge de la débroussailleuse. »
« Vous voyez la vie en noir PMB. Tout le monde ne souhaite pas dresser un mur contre ses voisins ».
Tout le monde, non, mais de plus en plus, en tout cas dans notre région. Avec des variations à peu de kms près : ainsi la région du pays de Vilaine, de Redon à la mer, est-elle moins « bunker rural » que l’est du département, et ça se sent dans le comportement des gens. Comme dans ce gros village de la Roche-Bernard où nous retapions une maison en parfaits inconnus : si nous sortions de la maison sur la rue, tout passant de 7 à 77 ans nous saluait spontanément, et nous n’avions aucun mal à demander et obtenir un service genre outil ou raccordement à l’électricité.
Ces « murs » restent une marque de nos pays de bocage. On ne les retrouve pas dans d’autres coins de France comme la vallée de la Garonne, Les Landes, ou le Haut-Jura où j’ai trouvé le meilleur accueil imaginable. Ce n’est pas un hasard si cette région a vu naître avant tout le monde les coopératives et les mutuelles.
Et je maintiens que la tendance globale de notre époque est au repli, à la méfiance et à la peur. On trouvera ça dans mon prochain livre, quasi-terminé, confronté à la phase la plus dure : trouver un éditeur.
« Mais chacun souhaite un peu d’intimité. »
Bien sûr, mais il y a d’autres moyens de l’obtenir : ne pas être indiscret et le faire savoir. Quand notre voisin paysan passait en tracteur devant chez nous, il tournait la tête pour qu’on ne puisse pas supposer qu’il regardait. Telle discrétion spontanée est pratiqué en Grande-Bretagne, où les cottages n’ont qu’un clôture ras du sol, pas de rideaux et pas de volets. Bien sûr on voit, mais on respecte. J’ai retrouvé ça dans un jolie histoire anglaise. Dans un hôtel à l’ancienne, si un client français ouvre la porte de la salle d’eau occupée par une dame en tenue d’Eve, il s’excuse : pardon Madame ! S’il est anglais il dit : pardon Monsieur !
« Pour le néo-rural, je tempérerais ». Ce mot n’a pour moi pas de connotation péjorative. S’il existe des arrivants donneurs de leçons, anti-cloches, anti-coqs et anti-tracteurs, beaucoup de pays en déshérence revivent grâce à des passionnés qui ont su se fondre avec modestie et intelligence dans le préexistant.
Vous voyez la vie en noir PMB. Tout le monde ne souhaite pas dresser un mur contre ses voisins. Mais chacun souhaite un peu d’intimité. Le problème est ici résolu par un rideau de frondaisons qui protège de la route, qui court au delà d’une petite prairie (par deux opportuns saules pleureurs et d’un bouquet de bouleaux). Nul besoin de clôture ou de murs. Les tracteurs me voient bouquiner dans le hamac l’été mais c’est le jeu.
Pour le néo-rural, je tempérerais. Plutôt passé mon enfance sur les limes de la ville mais à la campagne. A courir dans les champs et à faire péter des pétards dans les souches.
« Adepte d’Edward T. Hall, j’ai fait disparaître il y a une quinzaine d’années les clôtures qui entouraient le terrain de la vieille ferme d’où son écrites ces lignes et sur lesquelles butaient le regard, dégageant ainsi l’horizon »
Que voilà un néo-rural d’une espèce rare ! Quand j’arpente les campagnes de notre bonne Loire-Atlantique, je passe devant cent et mille maisons d’arrêt, je veux dire, des maisons emprisonnées dans de hautes murailles, tant de verdure que de bois ou de béton. Évolution récente, autrefois les séparations entre propriétés, dans les villages, étaient dans l’esprit des gens et les premiers ayant dressé ces fermetures se sont fait mal voir des occupants antérieurs, qu’ils jugeaient trop bêtes pour ne pas savoir quoi est à qui. S’est ajouté à ça le désir de retourner dans une sorte d’utérus, la peur et la méfiance, le refus a priori du regard des autres.
Je n’ai jamais si bien mesuré ça qu’en revenant dans le village ouvert où j’ai vécu entre 1974 et 1993. Le fils du paysan avait fait construire une maison qui surplombe un sympathique vallon sans âme qui vive, juste à un bon kilomètre une autre maison avait poussé sur l’autre versant. Ils avaient planté une haie de lauriers qui coupait la vue du vallon. Comme je m’en étonnais, il me fut répondu : on pourrait nous voir !
PS Au grand désespoir de mes voisins de lotissement, je tonds le moins possible : place aux boutons d’or, aux pissenlits, aux pâquerettes, au trèfle violet et bientôt aux marguerites !
Merci Elena pour cet amical rebond. Et ravi de que vous connaissiez Edward T. Hall, dont la “dimension cachée” me semble injustement méconnue.
Arpenté hier un grand parc urbain en compagnie d’un paysagiste (dans le cadre d’un travail sur un éco-quartier pour une revue d’urbanisme), qui a conforté mon approche intuitive du paysage. Ce paysagiste a en effet mis en place de grands espaces où il laisse la végétation spontanée se développer). Ces espaces, enclos, sont pour l’heure colonisés par les ronces. Il m’a expliqué que la nature allait faire son travail en plusieurs temps. Au départ les ronces colonisent la strate herbacée, et envahissent le terrain. Elle protègent ainsi la croissance d’arbustes (trembles, peupliers, saules, aubépine…) qui s’élèvent peu à peu au dessus du roncier. Arbres qui prépareront le terrain a des espèces plus nobles, comme le chêne (les essences qui poussent spontanément dépendent de la nature du terrain).
Ces espaces sont juste protégés par des barrières de bois pour montrer aux résidents qu’il s’agit d’un parti pris. Autour de ces enclos la prairie est entretenue mais les jardiniers des espaces verts ont le loisir de tondre ou de débroussailler selon leur bon plaisir, pour dessiner chaque année un nouveau paysage. Je n’ai pas osé lui parler de ma débroussailleuse, mais inutile de vous dire que je buvais du petit lait.
Bon dimanche. Ici regroupement des quatre garçons (L. de retour d’Afrique) et de deux petites lutines qui iront demain matin débusquer les chocolats dans les bosquets. Pour ma part, ce sera salon du livre au château (affiche sur la col de droite).
Cher Philippe,
Comme souvent je n’ai rien de bien intéressant à apporter au billet du jour (les souvenirs de lecture d’E.T. Hall m’assaillent davantage lorsque je voyage en RER ou en métro) — mais voilà, l’absence de commentaire, du moindre écho me fait peine ; je la trouve injuste, injustement décourageante.
Alors allons-y (au point où j’en suis, n’est-ce pas).
Banlieue plutôt verte, grand jardin, mais rien de comparable à votre campagne.
Un peu d’entretien est nécessaire. Mais je n’entreprendrai pas pour autant de faire l’éloge du coupe-branche (sorte de solide sécateur à longs manches).
Non que cet outil-là soit indigne de louanges, mais parce que je ne suis manifestement pas la personne qui convient pour le faire.
En revanche pour un improbable numéro de cirque …
Imaginez, si vous le pouvez, la trajectoire abracadabrantesque mais néanmoins gracieuse d’une grosse branche de rosier, un rosier mort que je taillais avant arrachage. Je m’étais attaquée à une forte branche hérissée de solides épines ; la voilà qui “saute”, tourne sur elle-même et revient frapper ma main gauche avec violence — et une précision étonnante : une épine (non détachée de la branche, qui lui a donné le poids qu’il fallait) s’est fichée exactement dans une phalange.
Certes, je surveillais en même temps une petite fille de deux ans éprise d’escalade en tout genre. Mais ce type de record de maladresse n’est quand même pas à la portée de tout le monde !
Point de caméra pour immortaliser la scène et le gag, et me faire rejoindre les rangs des grands comiques (je ne sais pas s’il existe un “Laurel et Hardy jardinent” …)
Merci cependant pour votre éloge de la sœur bohème de la tondeuse — je me contenterai d’y ajouter : “à ne pas mettre entre toutes les mains”.