Précieuse panique

Un tout petit virus de rien du tout prend le monde par surprise et sème la panique sur la quasi-totalité de la planète. L’animal pourrait finalement avoir du bon, en mettant en lumière l’état d’ébriété dans lequel se trouvent les sociétés prétendument les plus avancées, shootées au consumérisme débridé, qui se sont progressivement dénudées devant le dieu du pouvoir d’achat, au profit d’une orgie d’échanges faciles et de confort matériel en trompe-l’oeil.

porte conteneurs, photo franceinfo.fr

Ce tout petit virus de rien du tout nous a permis, dans un premier temps, de prendre la mesure de l’étonnante fragilité d’un système de santé basé sur un approvisionnement en flux tendu provenant d’Asie (ah les masques et les médicaments !) mais il a surtout la vertu de nous obliger à nous pencher sur l’incroyable dépendance de notre organisation à toutes les chaines de distribution, qu’il s’agisse d’alimentation, d’énergie (on le savait un peu déjà) et de réseaux numériques.

On a beaucoup moqué, à raison, la ruée sur les pâtes au début du confinement. Mais cette panique idiote n’est que la traduction d’une peur ancestrale, celle de ne plus pouvoir satisfaire notre besoin premier, à savoir manger. C’était évidemment exagéré, mais sur le fond ce n’est pas complètement insensé. Urbains comme ruraux, nous sommes dépendants pour nous alimenter d’une chaine logistique basée sur la grande distribution, les produits importés, qui fonctionne elle aussi en flux tendu. Qu’un grain de sable vienne gripper cette chaine logistique, stopper net les camions pour une raison ou pour une autre, et nous prendrions très vite la mesure de notre incapacité à nous procurer les produits essentiels. L’industrialisation de l’agriculture a complètement vidé les campagnes de ses productions vivrières et de ses outils de transformation. L’enquête de Stpéhane Linou sur la résilience alimentaire est de ce point de vue édifiante. Aucun plan B, aucun stock, des productions inadaptées et atomisées.

photo La voix du Nord

Au delà de la question alimentaire, imaginons une seconde un bug de la distribution d’électricité, système centralisé s’il en est. Sans lumière, sans machines, sans chauffage parfois, sans eau chaude, sans internet, un confinement comme celui que nous connaissons aurait été une toute autre paire de manches. Et puisqu’on évoque l’électronique, supposons une paralysie durable du système d’échanges numériques (c’est peut-être le danger qui nous pend le plus au nez). Non, nous ne pouvons même pas l’imaginer, enfin nous ne pouvons plus, perchés que nous sommes en état d’addiction numérique. Les administrations à terre, les banques à la rue, une partie de notre mémoire dissoute…

Ce petit virus de rien du tout, qui reste anecdotique en termes de mortalité, même à l’échelle de l’Hexagone – ce qui n’enlève rien aux drames individuels provoqués – a le mérite de nous alerter sur notre vulnérabilité, et sur l’absence d’anticipation de notre armature institutionnelle (cf billet précédent). Il nous dit aussi quelque chose de nous, de notre ignorance en matière de culture technique. Nous sommes la première génération à ne pas maitriser les outils que nous utilisons, à ne pas les comprendre, à être incapables de les réparer. Il pourrait être temps de nous préoccuper de cette vulnérabilité. Les jeunes gens commencent à se bouger, à mettre en pratique une forme de sobriété heureuse, à reprendre en mains leur histoire. Elles ont un bout de chemin à parcourir pour restaurer le système résilient qu’avaient su préserver, bon mal an, les générations précédant l’explosion du consumérisme.