La pie du barbier

En ces temps d’interrogation sur la condition animale, je ne suis pas mécontent d’avoir retrouvé, au hasard d’un butinage des essais de Montaigne, l’étonnant extrait qui suit. Enfin, pas vraiment d’un butinage, mais d’une relecture suivie de l’apologie de Raymond Sebond, un véritable livre en soi, entamée en prévision des longues soirées d’hiver. Je ne me souvenais pas, mais ce livre débute par un long plaidoyer pour le respect de la condition animale, donnant de multiples exemples quant à la sensibilité, l’intelligence et parfois au génie de certaines espèces :

dessin Fanny Ruelle

“Mais cette autre histoire de la pie, à laquelle nous avons Plutarque même pour répondant, est étrange. Elle était en la boutique d’un barbier à Rome et faisait merveilles de contrefaire avec la voix tout ce qu’elle oyait ; un jour il advint que certaines trompettes s’arrêtèrent à sonner longtemps devant cette boutique, depuis cela et tout le lendemain voilà cette pie pensive muette et mélancolique, de quoi tout le monde était émerveillé et pensait-on que le son des trompettes l’ait ainsi étourdie et étonnée et qu’avec l’ouïe la voix se fut quant et quant éteinte; mais on trouva enfin que c’était une étude profonde et une retraite en soi-même, son esprit s’exerçant et préparant sa voix à représenter le son de ces trompettes, de manière que sa première voix ce fut celle-là, d’exprimer parfaitement leurs reprises, leurs poses et leurs nuances, ayant quitté par ce nouvel apprentissage et pris à dédain tout ce qu’elle savait dire auparavant.”

 

Essais de Michel de Montaigne,  Union Latine d’éditions, 1957. Tome V, page 23.