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Comme des guêpes dans une bouteille

Toutes les lectures imaginables du conflit qui agite le pays ont été évoquées ces dernières semaines, exceptée, me semble-t-il, la principale : celle du vertige provoqué par l’impasse du modèle consumériste.

Les objets du bonheur

Baudrillard propose, au début de La société de consommation, une excellente image. Il note que certaines populations mélanésiennes, après avoir observé les blancs sur les îles voisines, alignaient la nuit des lumières sur leur île pour attirer les avions, ces gros papillons de métal. De la même façon les consommateurs contemporains  posent autour d’eux les objets du bonheur et attendent que le bonheur se pose. Hélas, pas plus qu’en Mélanésie cela ne fonctionne. Le consommateur occidental, encouragé par une industrie à créer du désir d’une redoutable efficacité – la publicité – a donc été condamné à acquérir de plus en plus d’objets. Cette course effrénée a plus ou moins bien fonctionné pendant quelques décennies.

 

L’erreur de l’industrie du désir

L’erreur de l’industrie du désir a sans doute été d’aliéner la dernière liberté du consommateur, celle de décider s’il sortait ou non son portefeuille pour s’accorder telle ou telle fantaisie. La généralisation de la ponction directe sur le compte en banque par les fournisseurs d’objets, de services et de loisirs, a réduit progressivement, la marge de manoeuvre du consommateur, qui, ajoutée à la stagnation de son revenu depuis une dizaine d’années, lui a donné l’impression qu’il ne maitrisait plus rien, si tant est qu’il ait jamais maîtrisé quelque chose. D’où la colère sourde qui l’agite. On notera d’ailleurs avec intérêt que ce ne sont pas les petites voitures qui affichent le plus volontiers des gilets jaunes derrière le pare-brise, mais des véhicules qui entendent afficher un certain standing social.

Comme une guêpe dans une bouteille

Le consommateur s’est donc révolté en enfilant un gilet jaune. Et s’en est pris au pouvoir politique, accusé de favoriser les méchants riches (on notera au passage que le désir ultime de ces gentils est de devenir méchants). Le pouvoir, surpris, a lâché ce qu’il pouvait sur le coût du fluide d’existence, le pétrole, qui permet au consommateur contemporain d’aller et venir sans contrainte apparente. Et depuis lors ce dernier tourne en rond comme une guêpe dans une bouteille. Il se cogne contre les parois, s’énerve, insulte, invective, mais refuse de se poser deux minutes pour observer son environnement et débusquer la sortie. Ce goulot est étroit effectivement,  mais il existe. il demande un petit effort d’imagination pour s’extraire du bain collant dans lequel il s’est peu à peu englué. Le premier pas est sans doute d’éteindre la télévision. Mais on peut aussi continuer à patauger allègrement dans la glue.