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L’heure de la sortie

Deux productions concoctées ces derniers mois dans cet atelier sortent simultanément ces jours-ci. Un supplément de la revue Place Publique consacré au logement social, et plus précisément à l’histoire de militants catholiques qui ont donné naissance à l’un des grands bailleurs sociaux de l’Ouest de la France, Harmonie Habitat (aujourd’hui intégré au groupe mutualiste Harmonie). Un travail passionnant qui recouvre un demi-siècle et revient sur quelques utopies comme la construction du Sillon de Bretagne, cette immense pyramide qui marque l’entrée nord de Nantes et se posait, lors de sa création au début des années soixante-dix, comme le pendant de la cité radieuse du Corbusier située au sud de la ville.

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Extrait : Il y a eu une période fabuleuse durant les premières années » commente Jean-Robert Pradier, qui fut l’un des deux premiers médecins du cabinet médical « du fait, en premier lieu, d’une véritable mixité sociale » (…) A l’image de la Cité Radieuse, de véritables rues traversent le bâtiment, donnant le sentiment de résider dans une petite ville abritée des regards (…). Mêmes souvenirs enchantés du côté de Gil Gabellec, référent du centre socio-culturel durant de longues années. « Le Sillon était un peu un laboratoire, que ce soit en matière sociale ou culturelle. Il y avait une boutique de droit pour débrouiller les situations difficiles, un lieu de création théâtrale, on organisait des soirées contes dans les appartements, des ateliers cuisine, des sorties. On faisait même une parade dans les couloirs une demi-heure avant les spectacles. Médecins, assistantes sociales, animateurs, aide-ménagères se réunissaient régulièrement. Les gens étaient connus et reconnus ».  Cette grande époque du militantisme, où personne ne compte ses heures, se traduit aussi par des actions de prévention, alors que la situation commence à se dégrader au début des années quatre-vingt. « Professionnels et usagers, on travaillait ensemble sur un thème, comme l’alimentation ou le sommeil chez l’enfant, on faisait un montage audiovisuel, puis on allait le présenter dans les appartements sur le mode des réunions Tupperware.

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Un seul regret, ce petit ouvrage a dû être réalisé (enquête et rédaction) en quelques semaines avant les vacances et eut mérité que je lui consacre un peu plus de temps. Même si ce travail a permis de dresser quelques perspectives, de mieux comprendre comment se réinvente l’habitat social aujourd’hui

 

 

Extrait. L’opération la plus singulière, la plus ambitieuse et probablement la plus porteuse d’enseignements pour l’avenir est sans doute le programme îlink sur l’île de Nantes. Cette initiative de « maîtrise d’usage » est le fruit de la rencontre entre trois des acteurs choisis pour mener à bien un programme de 22 000 m2 au cœur d’un « éco-quartier » qui se dessine entre les Machines de l’île et le hangar à bananes. Trois acteurs atypiques : un aménageur réputé pour sa créativité, Ardissa, une agence spécialisée dans l’accompagnement des projets urbains, Scopic, et un bailleur social Harmonie Habitat. Ces trois acteurs, associés à deux promoteurs privés, Vinci immobilier et Adim Ouest, ont dû se gratter  la tête pour répondre au cahier des charges de la collectivité : assurer une triple mixité de l’îlot,  sociale, fonctionnelle et générationnelle. En d’autres termes comment faire en sorte que des personnes âgées (Harmonie Habitat construit notamment des logements pour les seniors) de jeunes entreprises utilisant des espaces mutualisés en pied d’immeuble, des commerçants, et des nouveaux arrivants ayant choisi de vivre dans cet éco-quartier « au top environnemental » cohabitent harmonieusement dans le temps. « Nous avons vendu un projet, pas un programme » explique Stéphanie Labat « et ce projet va être livré vivant. » De fait, avant même que la première pierre soit posée, les futurs usagers qui le souhaitent sont associés au sein d’une association assurant « la maîtrise d’usage » du programme, pilotée par un jeune ingénieur qui s’est passionné pour le projet Antoine Houël. Ils observent, discutent, proposent, et influent même sur le programme. « L’association, entourée de toutes les parties prenantes du projet, fait émerger des besoins et des idées : le service d’une conciergerie, un espace créatif et culturel, des jardins potagers, un gîte urbain, un espace de coworking… ». Lancée en 2013, cette initiative d’urbanisme participatif, encouragée et soutenue par Harmonie Habitat, qui mettra un logement à disposition de la future « conciergerie », n’est pas seulement un exercice théorique voué à faire mouliner quelques sociologues, c’est une expérience concrète qui s’est traduite dans les faits avant même que la première pierre ne soit posée. Une première « conciergerie » expérimentale est installée à proximité du nouveau quartier et l’association gère un espace de co-working de 530 m2 dans un quartier voisin pour tester son modèle économique. L’équation n’est pas simple à résoudre parce que les occupants des lieux ne sont pas sur le même pied social et il est possible que certaines personnes âgées n’aient pas les moyens de participer au financement de services communs. Il faut trouver des pondérations, inventer des formules à la carte. « Nous sommes dans une logique de péréquation, de répartition des charges pour que tout le monde puisse bénéficier des services. » ajoute Antoine Houël « on s’oriente vers le modèle économique d’une coopérative agricole, qui consiste à ouvrir à la location pour amortir les équipements. » A terme l’association îlink assurera la gestion locative, les services de proximité, l’entretien des communs et l’animation des lieux et fonctionnera avec cinq salariés. « Il est essentiel qu’Harmonie Habitat, qui comprend les logiques d’usage, soit avec nous.  » ajoute le jeune ingénieur depuis sa conciergerie vitrée donnant sur mes Machines de l’île, autour de laquelle poussent déjà quelques légumes bio. « Nous avons eu du mal à convaincre les promoteurs » confirme Stéphanie Labat « qui percevaient cette initiative comme un coup sans lendemain. Nous sommes dans une logique radicalement différente. Il s’agit pour nous de créer du partage et du mélange et de nous inscrire dans le temps.

Nous ne reviendrons pas sur le contenu du guide “S’installer à Saint-Nazaire”, déjà évoqué ici une fois ou deux. Sinon pour dire que j’ai pris un vrai plaisir à faire sauter quelques clichés tenaces qui collent à cette ville attachante. Il est toujours agréable de voir un travail sur lequel on a planché pendant des semaines, voire des mois, prendre forme. Observer comment les photographes ont travaillé, (parfait compagnonnage avec Eric Milteau, avec qui j’avais déjà réalisé un Saint-Nazaire pour les éditions Ouest-France), les maquettistes, l’éditeur. A l’heure où  ces lignes sont écrites je n’ai encore vu aucun des deux ouvrages, je n’en ai pas respiré l’encre, tripoté les pages. lls doivent arriver par la poste cette semaine. Ce sera forcément un moment de satisfaction, mais en général assez court, rapidement suivi par celui de la découverte de l’inévitable première coquille, de la première faute de goût.

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La forme d’une Place

La revue Place Publique change de barreur ces jours-ci. Thierry Guidet, son fondateur, passe la main à Franck Renaud. L’occasion est belle de saluer cette revue singulière qui s’est imposée au fil des ans autour d’un projet inédit : observer le monde comme il va, dans toutes ses dimensions – politique, économique, sociétale, culturelle – sur une aire géographique définie, l’estuaire de la Loire en l’occurrence, sans faire de localisme.

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Un tel projet est imaginable à Paris, mais en province, voyons. Ce n’est pas sérieux. La province est forcément imbibée de régionalisme, plombée par ses particularismes. On ne réfléchit pas de la même façon à Nantes ou à Toulouse, à Lyon ou à Marseille. On manque forcément de recul. Thierry Guidet nous a prouvé le contraire en dix ans, et a mis en lumière la vitalité intellectuelle d’un territoire, somme toute assez discret, qui n’a pas besoin de passer par Paris pour exister.

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La compagnie du fleuve, Thierry Guidet, Joca Seria

L’idée directrice est assez simple : les mouvements qui secouent la société, les évolutions qu’elle connaît, les craquements qu’elle subit ne sont pas moins sensibles ici qu’ailleurs. L’urbanisme, le patrimoine, le rapport à la nature, les fractures sociales, les bouleversements de l’économie, les créations artistiques peuvent être observées, ici comme ailleurs, avec le recul nécessaire, sans sensiblerie particulière.

Il est vrai que l’estuaire de la Loire, qui fut longtemps l’une des principales portes d’entrée du Royaume de France, est un lieu de passage, d’échanges, ventilé par l’air frais venu de l’océan, où l’on se préoccupe peu de l’ancrage géographique des uns et des autres (j’ai d’ailleurs appris que Thierry Guidet était un homme du Nord en lisant sa bio). Cela simplifie les choses.

Les exemples qui illustrent les grandes questions évoquées à chaque numéro sont évidemment régionaux. Mais s’ils donnent de la chair aux sujets traités, ils n’en posent pas moins les problèmes de fond. Lorsque l’on parle de la construction de CHU à Nantes, c’est la nouvelle façon de concevoir l’hôpital qui importe. Lorsqu’il est question d’étalement urbain, de transports collectifs ou de collaboration entre universités, c’est sur la vraie vie que l’on se penche. Mais avec le recul qu’offre une revue, où la copie n’est pas cotée, où la réflexion peut se déployer.

Ce luxe n’aurait pas été possible, il faut le préciser, sans le soutien de l’ensemble de la place, collectivités locales comprises. Mais l’indépendance dont fait preuve la revue, faisant appel à des contributeurs de toutes tendances, n’a, à ma connaissance, jamais été prise en défaut. Tout juste pourrait-on lui reprocher une certaine rondeur dans le traitement des sujets, qui peut décourager le lecteur à la recherche de sensations fortes.

Le bloc-notes de Thierry Guidet nous manquera certes, mais Franck Renaud n’est pas dépourvu de talent. Le choix est malin de prendre un expatrié, qui a vécu longtemps en Asie, pour renouveler le regard sur la ville. Et puis Thierry, par ailleurs auteur, n’a pas dit son dernier mot, nous l’espérons bien. Sa remontée de la Loire En compagnie du fleuve, reste un grand souvenir de lecture. Nul doute qu’il prendra désormais le temps, qu’il n’avait plus, de travailler la distance.