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La révolte des vieux crabes

Une bande de vieux schnoques à moitié décatis s’enfuit, qui de sa maison de retraite, qui de sa chambre d’hôpital, et se lance dans une improbable équipée à la poursuite d’un moment charnière de son passé. Tel est le prétexte de deux ouvrages (une bande dessinée et un roman), que le hasard des recommandations a placé ces derniers jours sur ma table de chevet. Est-ce simplement un hasard, ou l’air du temps serait-il imprégné par la révolte d’une génération qui se voit basculer du côté obscur de la vieillesse et entend exprimer sa révolte face au sort qui lui est réservé, par la dépossession rampante de sa propre fin.

vieux fourneauxCes deux bouquins sont, quoi qu’il en soit, extrêmement toniques et contraignent le lecteur à décaler son regard sur la vieillesse. Extirpés de leurs mouroirs respectifs, et s’assurant, au besoin par la contrainte, de la complicité de leurs petits enfants, les deux bandes de copains se livrent en effet dans chacun des récits à une virée endiablée, digne des adolescents les plus inconscients, n’hésitant pas au besoin à casser des voitures, à semer les flics et à squatter les lieux les plus mal famés. La concordance des fils conducteurs est troublante même si le prétexte et le déroulement de ces deux virées sont très différents. Les vieux fourneaux débute en France et se poursuit en Italie sur les banquettes d’un J7 Peugeot rouge, conduite par la petite fille de l’un des protagoniste, enceinte jusqu’au cou. Manière de montrer que la société de la précaution est jetée aux orties passé le portail de la maison de retraite. C’est décalé, drôle, jouissif, déconnant mais cela reste intelligent et grave, qui plus est les dialogues sont excellents, telle cette réplique de la jeune femme, excédée par les exigences de son chargement de vieux  : “En 80 ans, vous avez fait disparaître la quasi-totalité des espèces vivantes, vous avez épuisé les ressources, bouffé tous les poissons, il y a 50 milliards de poulets en batterie élevés chaque année dans le monde, et les gens crèvent de faim ! Vous êtes la pire génération de l’histoire de l’humanité !”

fugueursLes fugueurs de Glasgow, de Peter May, est un récit à double entrée. Celui de cinq vieux Ecossais au bout du rouleau, dont l’un atteint d’un cancer en phase terminale, qui décident de revivre la fugue qu’ils avaient tentée cinquante ans plus tôt pour échapper à leur condition de prolos et tenter leur chance à Londres, la guitare en bandoulière. Fugue qui s’était soldée par un misérable fiasco. Le procédé est assez classique mais plutôt réussi. On suit alternativement les deux équipées espacées de cinquante années (1965/2015) aussi cinglées l’une que l’autre. Rien ne se passe comme prévu, naturellement. La première est imprégnée de violence et de drogue, brossant au passage un portrait au vitriol de la société britannique des années soixante. Mais il y a aussi de l’amour et de la musique, beaucoup de musique. C’est un récit prenant, répondant aux codes du roman noir, dont la clef n’est donnée qu’à la toute fin. Mais peu importe l’intrigue, c’est la confrontation des vieux crabes avec leurs fantômes jeunes qui est la substance de cet ouvrage, sous le regard héberlué d’un petit-fils obèse, sorte de papate de canapé, emmené de force dans l’aventure par son grand-père, pour conduire la troupe à Londres dans sa Nissan Micra. L’énergie, la fantaisie, le courage sont du côté des vieux dans cette confrontation étonnante avec le temps. En dépit de l’image renvoyée par le miroir.

Les Vieux fourneaux, Lupano, Cauuet, Dargaud (3 tomes parus), Les fugueurs de Glasgow, Peter May, traduit par Jean-René Dastugues, Rouergue noir.