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Point final

the journal

« Apprendre que tu as une conscience me fait chaud » commentait il y a quelques jours un ami facétieux à l’annonce d’une négociation avec Le Point, prêt à m’accorder la « clause de conscience». C’est fait, je viens de recevoir ce samedi mon certificat de travail, assorti d’un bienvenu chèque pour « solde de tout compte ».

Après avoir tempêté sur ce blog contre l’hebdomadaire, je me dois aujourd’hui d’être fair play et de saluer l’élégance du journal, qui m’a proposé, au lendemain de mon dernier post, cette sortie « par le haut » d’un conflit passablement dissymétrique.

La clause de conscience est une disposition rarement accordée par les journaux, à tel point que je n’avais pas même pensé à la demander. Elle permet à un journaliste de quitter un support dont il ne partage plus la ligne éditoriale, en bénéficiant du régime juridique du licenciement. Pour faire appliquer cette disposition « comportant un enjeu éthique », le journaliste doit cependant apporter la preuve d’une modification très substantielle de la ligne éditoriale de la publication pour laquelle il travaille. Ce qui n’était pas gagné et pouvait supposer une longue guerilla juridique. En m’accordant cette disposition, le journal respecte l’esprit et la lettre du billet qui a déclenché ce conflit.

« C’est la première fois que nous sommes confrontés à une telle situation » m’a confié le représentant du Point lors du long échange qui a débloqué les choses. Je veux bien le croire. Je ne connais pas, pour autant, les raisons exactes qui ont poussé l’hebdomadaire à m’accorder cette faveur. Ce n’est pas,  m’a-t-on affirmé, la pression mise par les deux malheureux billets sur ce blog. Le Point en subit bien d’autres tous les jours, à la suite des papiers polémiques qu’il publie.

Serait-ce la simple force de persuasion des arguments développés ici ? Le fait d’avoir pointé la « phobie administrative » du journal ? Quelques amicales recommandations en interne ? Mystère. Je peux seulement dire aujourd’hui que je suis soulagé et content. C’est une belle sortie, qui me convient sur la forme comme sur le fond. Et puis c’est peut-être un peu naïf, mais cela montre que la bonne foi, exprimée sans prévention, peut être une arme aussi efficace que la justice.

Certes, le chèque, que j’ai immédiatement porté à la banque pour éteindre l’incendie sur mon compte, ne me servira guère qu’à rembourser les dettes contractées pour faire face à un été catastrophique. Mais il me permet de repartir requinqué et de tourner proprement cette page étonnante de ma vie professionnelle. Merci encore à toutes et à tous pour l’amical soutien manifesté ici et ailleurs.

Le Point atteint de phobie administrative

C’est un comportement assez partagé que de reprocher ses propres turpitudes à ses contemporains. Le Point, qui n’est pas avare de dénonciations enflammées, notamment contre les administrations, est pourtant atteint de phobie administrative aigüe. L’hebdomadaire, après m’avoir congédié sans autre forme de procès pour une humeur publiée sur ce blog après douze ans de bons et loyaux services, se refuse à me délivrer un certificat de travail, gentiment demandé par courrier recommandé  le 29 juillet dernier.

déclarationNon que ce certificat me soit d’une grande utilité professionnelle, mais il se trouve que la maison qui conserve la misérable épargne salariale que le journal m’a fait souscrire d’office, exige ce certificat pour m’autoriser à récupérer mes billes. Ce dont le modeste pigiste que je suis a un besoin criant après s’être fait limoger sans le moindre fifrelin d’indemnité. Ajoutons que sans certificat de travail, le salarié est privé de toute prétention au chômage.

 Selon la loi de la République, tout employeur est contraint de délivrer  ce certificat à un employé dont il se sépare, quelle qu’en soit la cause (licenciement, démission, rupture conventionnelle…). Il est vrai que là on ne sait pas trop où on est puisque le journal me présente toujours comme faisant partie de ses effectifs, après m’avoir confirmé le fait qu’il ne faisait plus appel à mes services. Et donc ne m’emploie plus. Allez comprendre.persecutes_

 On peut toutefois esquisser une hypothèse. En refusant de me délivrer ce certificat de travail, l’hebdomadaire, propriété du milliardaire François Pinault – il est amusant de le rappeler – joue la montre, à l’image d’un Thévenoud, en tablant sur l’impunité dont il est sûr de bénéficier. Et économise ainsi  « le solde de tout compte » dont il est redevable. Par bonheur, la loi n’est pas la même pour tous. Entre un malheureux pigiste, qui n’a pas même les moyens d’engager un procès et un grand journal, il n’y a pas photo. Continuons donc à donner des leçons à la terre entière, à dénoncer les chômeurs indélicats, l’incurie des administrations, la malhonnêteté des politiques à longueur de colonnes.

C’est ça le journalisme contemporain coco.

Illustrations : DR

de l’art de virer un journaliste

Patron de presse n’est pas un métier facile. Comment virer un pigiste* à qui l’on n’a pas grand-chose à reprocher sinon un billet impertinent sur un blog improbable, tout en s’asseyant sur le droit du travail. La solution est un peu byzantine mais peut s’avérer efficace. Il suffit de faire comme si de rien n’était et de ne plus lui donner de travail. Juridiquement, l’animal ne peut rien reprocher à son employeur, il est toujours officiellement collaborateur du support, comme en atteste sa présence dans la liste des journalistes maison. Il suffit de laisser s’éteindre progressivement ses revenus pour qu’il ne puisse plus arguer d’une collaboration régulière (l’une des particularités du statut de journaliste-pigiste étant que ses bulletins de paie font office de contrat de travail).

le point

En publiant le 14 février, un billet d’humeur intitulé « Les sous-doués de la presse parisienne » dont les familiers de ce blog se souviennent peut-être, je ne méconnaissais pas le risque de déplaire à la rédaction parisienne du Point, pour laquelle je travaille – travaillais devrais-je dire – depuis plus de douze ans. Mais je ne m’imaginais pas que les choses prendraient une tournure aussi curieuse : viré dans les faits mais non pour la galerie. La rédaction en chef du Point n’est pas avare de critiques acerbes à l’égard de la terre entière, mais supporte très mal la critique à son auguste encontre, sans oser l’avouer.

Bien que l’on ne m’en ait pas informé, mon affaire était pliée au lendemain de la publication du billet (je suis au passage flatté par la puissance de feu de ce modeste blog). Cet impertinent devait être licencié sans autre forme de procès. Problème toutefois : quel motif allait-on invoquer ? Douze années de collaboration régulière attestée par autant de bulletins de paye, sans pouvoir arguer d’une faute grave, voilà qui risquait de faire grimper l’ardoise des indemnités. La meilleure solution était donc de ne pas bouger et de faire comprendre, en creux, au coupable, qu’il était désormais indésirable.

Intrigué par ce licenciement qui ne disait pas son nom, j’ai dans un premier temps tenté d’en savoir plus auprès de mon chef de service, sans succès. Silence radio. Je viens de mener une petite enquête qui confirme le scénario : « Tu n’es pas officiellement viré parce qu’ils ne veulent pas te payer d’indemnités. Ils jouent la montre. » Mes amis pigistes me conseillent de monter au créneau, bulletins de paye en bandoulière et lettres recommandées au poing. Je ne le ferai pas. Pour avoir déjà mené un combat comme celui-ci, je sais toutes les prises de tête, les nuits sans sommeil qu’impliquent une guerre de tranchées. Montaigne a raison quand il dit qu’il vaut souvent mieux « perdre sa vigne que la plaider ».

Et puis me lancer dans une procédure m’aurait muselé. Le droit est une matière subtile, où l’intox joue un grand rôle. Alors qu’aujourd’hui je peux allègrement me libérer d’une étiquette devenue de plus en plus pesante, de plus en plus infernale à assumer. Les patrons du Point, reclus dans leur tour d’ivoire, avenue du Maine, ne le mesurent pas encore mais, à coup de Unes grotesques et méprisantes, l’image du journal s’est singulièrement dégradée ces dernières années. Confessons-le : je serai content de ne plus y être associé quand le journal aura l’amabilité de me rayer de ses tablettes.

 

*Le pigiste est un journaliste indépendant payé à la ligne.

 

Les sous-doués de la presse parisienne

L’arrogance de la presse parisienne, dont certains éminents représentants ont dû être remis à leur place par le service d’ordre de la Maison blanche lors du récent voyage de François Hollande, n’a d’égale que son incapacité à affronter la crise qui la secoue. Baisse inexorable du lectorat, effondrement des ventes, inaptitude à gérer le passage au numérique, comme le relève l’ami Eric Chalmel… La solution trouvée est une surenchère dans la caricature, l’aboiement systématique et l’exploration de la vie privée des personnages publics, tout en appelant au secours le Pouvoir pour boucher les trous béants de sa trésorerie.

ayrault

Son incapacité à se pencher sur les questions de fond, bien illustrée par le traitement des municipales, pour lesquelles Paris n’a pas encore découvert que les enjeux n’étaient plus communaux mais métropolitains, devient de plus en plus embarrassante pour ces braves donneurs de leçons. Marseille c’est la mafia, Nantes un aéroport, Toulouse, du cassoulet à la viande de cheval… N’en jetez plus. Les médias audiovisuels ne sont pas en reste. Même France-Inter devient inaudible le matin, engoncé dans la suffisance de ses éditorialistes, l’agressivité systématique de ses interviewers, qui coupent la parole en permanence à leurs invités ne laissant jamais une réponse se déployer.

 Du coup les politiques se réfugient dans la langue de bois, ne fonctionnent plus que par petites phrases, et le débat s’appauvrit chaque jour un peu plus. J’ai décliné l’invitation à participer aux dossiers que prépare Le Point sur les municipales, dont les angles sont, de mémoire : les abus de pouvoirs des maires et leurs réalisations pharaoniques. On n’est pas loin du « tous pourris », tous bons à jeter. Voilà qui va relever le niveau du débat démocratique. Sans doute cela va-t-il booster les ventes artificiellement à court terme, mais il est vraisemblable que le calcul ne sera pas payant sur la durée. C’est presque triste à dire, mais seule la presse économique, pour laquelle j’ai travaillé pendant huit ans, respecte la province, s’intéresse aux aspects concrets de la vie hors du périphérique, à ce qui fait le pays. Ne parlons évidemment pas de la culture, chasse gardée d’un cénacle de chroniqueurs parisiens. En province d’ailleurs « la création » n’existe pas. On rôde un spectacle à Rennes ou à Lyon. On le « crée » à Paris, même s’il a été déjà été joué cent fois.

Basta. Il est possible que je brûle mes vaisseaux en publiant une telle humeur. Si quelque chef zélé du Point tombe dessus, ma collaboration à ce grand magazine pourrait faire long feu. Mais pour tout dire, je m’en moque un peu. Ce sont eux qui sont venus me chercher il y a un peu plus de dix ans. La vie est ailleurs désormais, et la presse se réinvente autrement. Amen.