de l’habillage de la copie

Le grand public ne le sait pas toujours, ce ne sont pas les journalistes qui « habillent » leur copie à paraître dans les journaux ou les magazines. Ce sont les secrétaires de rédaction (ou secrétaires d’édition) qui choisissent les titres, rédigent parfois les chapeaux (ou chapôs), souvent les inter-titres, qui taillent au besoin dans les textes et insèrent les illustrations. Bref qui mettent en scène la copie dans la page. C’est un métier à part entière, qui bénéficie d’ailleurs du statut de journaliste. Pour mémoire, le célèbre « J’Accuse » de Zola n’est pas de Zola, qui avait titré « Lettre au Président de la République ».

j'accuse La mission du secrétaire de rédaction est d’attirer l’attention du lecteur sur tel ou tel papier. De faire en sorte qu’il soit lu, si possible en entier. L’offre et la demande sont en effet extrêmement déséquilibrées dans un journal ou un magazine. Si l’ensemble de la copie représente une, deux, voire trois heures de lecture, on sait que le lecteur n’y consacrera guère, en moyenne, qu’une petite vingtaine de minutes (d’où le nom du quotidien gratuit 20 minutes). Les articles sont donc en concurrence les uns avec les autres. La plupart des titres seront parcourus, les chapeaux un peu moins, quelques accroches parfois (toujours l’info en début de papier coco) et au bout du compte seuls quatre ou cinq sujets seront lus in extenso.

Cette mise en scène est une gymnastique périlleuse, qui fait courir le risque de « survendre » un papier en musclant sa titraille. Mais la signature reste celle du journaliste. Il m’est ainsi arrivé une histoire étonnante il y a une dizaine d’années : celle d’être poursuivi devant la XVIIème chambre du tribunal correctionnel de Paris pour un chapeau artificiellement gonflé que je n’avais pas écrit, lequel accusait Philippe de Villiers de « corruption », alors qu’il était question dans le papier d’une observation de la chambre des comptes lui reprochant en jargon financier un « saucissonnage » de marché public. Nuance. Le journal a été beau joueur, a assumé la boulette, et le tribunal a relaxé le signataire du papier. Merci.

 valeursSi certains supports, réputés sérieux, ont longtemps résisté à l’attrait de la titraille racoleuse, les digues ont peu à peu cédé devant la religion de l’émotion, apparue avec la télévision. Et aujourd’hui, rares sont les supports qui échappent à cette surenchère. Les papiers ne cessent de raccourcir et « les angles » deviennent de plus en plus aigus : un papier une idée, si possible des bons et des méchants, des riches et des pauvres, des tricheurs et des gens bien, des exploiteurs et des exploités, des bosseurs et des fainéants, c’est selon. Les journaux sont emportés par la logique binaire qui s’est emparée d’internet. C’est, il est vrai, une question de survie. Au risque de céder à l’implacable logique marketing, qui veut que plus on caresse son lecteur dans le sens du poil, plus on colle à ses représentations, plus on confirme ses idées reçues, plus il sera tenté de passer à l’acte d’achat. La presse est un miroir.

Du coup les supports en rajoutent, enfoncent des portes ouvertes, renoncent à certaines précautions élémentaires et participent de la confusion des esprits à laquelle nous assistons. Quand vous vous énervez devant cette surenchère, il y aura toujours un chef pour vous répondre, une Une racoleuse à l’appui  : « regarde ce qui se vend et ce qui ne se vend pas ».  De fait France Dimanche, dont la fiabilité des informations est légendaire, vend 370 520 exemplaires par semaine, quand Le Monde Diplomatique en vend 142 000 chaque mois (source OJD 2012/2013).

Les médias peuvent et doivent, bien sûr, être mis sur la sellette. Mais les consommateurs d’information sont aussi autorisés à s’interroger sur leur mode de consommation, sur la manière dont cette information leur est vendue (ou pas d’ailleurs, rappelons que quand un produit est gratuit c’est le consommateur le produit), comment elle est mise en scène. Ce devrait presque faire partie des fondamentaux de l’éducation.

Série d’été dernière, cette humeur a été publiée une première fois en novembre 2013.